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09 / 12 / 2025 | 13 vues
Christian Babusiaux / Membre
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Ouverture des emplois dirigeants de l’Etat aux contractuels : 6 ans après la loi d’août 2019, une évolution en demi-teinte

La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique avait pour ambition de moderniser la gestion des cadres supérieurs en ouvrant significativement l'accès aux agents contractuels pour les emplois fonctionnels de cadre dirigeant ou de direction dans les trois versants (État, territoriale, hospitalière).


Pour l’Etat, six ans aprèset à la lumière des tendances observées par l'Observatoire des cadres supérieurs en 2025, le bilan est contrasté. Si l'assouplissement réglementaire est réel, la réalité du terrain montre une progression limitée du taux de contractuels dans ces fonctions stratégiques. Elle traduit des freins structurels et culturels persistants qui limitent l'impact de la réforme au sommet de la hiérarchie administrative, mais aussi l’utilité de clarifier les objectifs, d’assurer leur cohérence et de mettre en place les outils adaptés.

 

L'intention du législateur de 2019 était claire : injecter de nouvelles compétences, notamment issues du secteur privé, au niveau décisionnel. La loi a donc créé un cadre juridique beaucoup plus souple pour les nominations sur des emplois fonctionnels de direction, levant certaines restrictions et élargissant la possibilité de recruter directement des contractuels sans passer par la voie classique de lapromotion de hauts fonctionnaires.

 

L'Observatoire des cadres supérieurs, en consolidant les données au terme de l'année 2025, confirme la progression des contractuels dans la fonction publique en général, mais souligne la stabilité voire la faiblesse persistante de leur représentation aux postes de haute direction.

 

La prévalence statutaire : les emplois fonctionnels de direction restent massivement pourvus par des fonctionnaires. La primauté du statut, bien qu'affaiblie juridiquement, conserve presque toute sa force dans les faits. La nomination sur ces postes est, dans une grande majorité des cas, le fruit d'une carrière statutaire ou d'un détachement à partir d'un corps prestigieux.

 

Des poches d'ouverture ciblées : l'Observatoire met en évidence que l'augmentation du recours aux contractuels est surtout visible sur des fonctions d'expertise très pointue et spécialisée (ex: systèmes d'information, cybersécurité, grands projets de transformation). Pour les fonctions de management généraliste et de pilotage stratégique de l'administration centrale, le taux de contractuels reste nettement en deçà des attentes initiales de la réforme.

 

Ce constat s'explique par des obstacles qui transcendent le simple cadre réglementaire.

 

Malgré l'assouplissement des règles de rémunération post-2019 (qui permet de mieux prendre en compte l'expérience antérieure et les résultats), l'administration publique est structurellement limitée dans sa capacité à rivaliser avec les salaires du secteur privé pour des profils de direction équivalents.L'Observatoire des cadres supérieurs 2025 confirme que, même avec la souplesse accordée, l'écart de rémunération pour un dirigeant expérimenté entre le public et le privé constitue un obstacle majeur à l'attractivité des emplois fonctionnels.

 

Pour un dirigeant quittant le secteur privé, le poste de direction public, même contractuel, offre une sécurité d'emploi inférieure à celle d'un fonctionnaire détaché. Les emplois fonctionnels sont soumis à la possibilité de retrait d'emploi (fin anticipée de la mission) et le contrat n'offre pas les mêmes garanties de reclassement qu'un corps de fonctionnaires. Cette précarité relative des très hautes fonctions dissuade certains candidats de haut niveau de franchir le pas.

 

Du côté des employeurs publics persistent souvent des réflexes culturels forts. Une tendance naturelle à privilégier les profils internes parce que familiers avec la culture de l'administration, la déontologie du service public et les complexités des fonctionnements administratifs. L'intégration des contractuels de direction nécessite de surmonter ces résistances implicites qui favorisent la reconduction de schémas de recrutement statutaires éprouvés.

 

Mais il existe aussi une question de fond dont le poids ne peut être négligé : l’engorgement des corps de fonctionnaires qui ont vocation à alimenter ces nominations, résultant du maintien d’un nombre élevé des entrées dans ces corps via l’ENA puis l’INSP et de celles en milieu de pyramide, dans le contexte de la décentralisation et de la réduction du format des administrations centrales.

 

Dans ce contexte, l’ouverture accrue des emplois dirigeants à des contractuels est porteuse d’une embolie des carrières. Pour fonctionner, le souhait d’ouverture doit s’accompagner d’un recalibrage d’ensemble, notamment des entrées à l’INSP, des entrées par d’autres voies et du « vivier » géré par la DIESE, dans le cadre d’une gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences qui reste à mettre en place. En prévoyant et organisant un bref temps de préparation avant la prise de poste pour éviter le risque d’échec. Et sans négliger la voie d’accès qu’est l’existence des « 3èmes concours » présents dans de plus en plus d’écoles de service public.

 

L'enjeu pour les pouvoirs publics réside désormais dans la capacité à sécuriser les parcours des contractuels dirigeants pour les rendre plus attractifs, tout en veillant à l'intégration de la culture déontologique et au maintien de l'équité interne, si l’orientation est confirmée que l'ouverture réglementaire doit se traduire par une diversification effective qui ne soit plus occasionnelle mais stratégique des emplois dirigeants de l’Etat.

A fortiori dans les perspectives actuelles des finances publiques et de recherche d’économies, ce volet de la réforme de 2019 appelle à un cap d’ensemble et à une mise en cohérence.

 

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