Négociations salariales : c’est le moment ou jamais
Sortie de crise sanitaire, croissance économique forte, baisse du chômage, inflation élevée et pénurie de personnel : c’est le moment pour syndicats et salariés de négocier des hausses de salaires. Cette inversion du rapport de force entre salariés et employeurs ne s’était pas présentée depuis très longtemps.
Un contexte économique et social propice
La sortie de la crise sanitaire du covid-19 s’accompagne d’une forte croissance économique. Selon la Banque de France, la croissance économique devrait être de 6,25 % en 2021. Selon l’OCDE, la croissance économique de la France devrait être de 4,2 % en 2022. L’activité économique est donc particulièrement dynamique. Cette croissance a un effet positif, la baisse du chômage, des effets négatifs, une inflation forte et une pénurie de main-d’œuvre.
Après une année 2020 avec des prix pratiquement stables, l'indice des prix à la consommation suit de nouveau une progression régulière depuis quatorze mois. L’inflation pour 2021 devrait être de 2,6 %. Cette inflation forte et inédite depuis très longtemps ronge le pouvoir d’achat des ménages. Ce phénomène est la conséquence du rebond économique.
Les tensions sur le marché du travail sont importantes. Près de la moitié des dirigeants d’entreprises a du mal à recruter et 400 000 postes ne trouvent pas preneur. Parmi les secteurs concernés : le bâtiment et la restauration mais pas uniquement. La pénurie est généralisée. Il faut également ajouter la forte mobilisation du personnel pendant la pandémie qui crée une attente. La conjonction de tous ces phénomènes rééquilibre le dialogue social en faveur des salariés.
Salariés et négociation salariale
L’institut de sondages Opinion Way vient de publier une étude sur les salariés et la négociation salariale. Selon cette étude, 52 % des salariés envisagent de demander une augmentation de salaire d’ici la fin de l’année et 47 % des salariés souhaitent en demander une supérieure à 5 %. Les salariés justifient cette demande principalement par deux éléments : l’implication personnelle dans le travail et les résultats obtenus.
Par ailleurs, les salariés souhaitent négocier sur plus de formations, des primes sur objectifs personnels, la qualité de vie au travail et le télétravail.
Comment mener les NAO ?
Cette période est aussi l’occasion pour les représentants du personnel de se préparer aux négociations annuelles obligatoires (NAO). Alors, comment aborder cette négociation dans la sérénité, faire valoir son point de vue et éviter toute fin de non-recevoir de la part de l’employeur ? En développant les arguments expliqués ci-dessus.
La négociation annuelle obligatoire sur les salaires concerne toutes les entreprises dans lesquelles une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives de salariés sont constituées. Cette négociation est imposée par le Code du travail : article L2242-1, modifié par l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 - art. 7 :
« Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives, l'employeur engage au moins une fois tous les quatre ans :
1° une négociation sur la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l'entreprise ;
2° une négociation sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et la qualité de vie au travail ».
Un accord collectif peut fixer une périodicité différente. À défaut, cette négociation a lieu chaque année. L’employeur qui ne prend pas l’initiative d’engager cette concertation s’expose à des sanctions financières et pénales. Il lui appartient donc de convoquer les organisations syndicales pour négocier.
Les thèmes suivants sont obligatoirement abordés lors des NAO :
- rémunération, temps de travail et partage de la valeur ajoutée ;
- salaires bruts, primes, avantages en nature et. à l’exclusion des décisions individuelles en matière de rémunération ;
- durée effective et organisation du temps de travail ;
- intéressement, participation et épargne salariale ;
- égalité professionnelle entre hommes et femmes et qualité de vie au travail ;
- articulation entre vie personnelle et vie professionnelle ;
- objectifs et mesures permettant d’atteindre l’égalité professionnelle ;
- possibilité de maintenir l’assiette des cotisations des salariés à temps partiel au niveau de ceux des salariés à temps plein pour l’assurance vieillesse ;
- mesures pour lutter contre la discrimination ;
- mesures concernant l’emploi des handicapés ;
- assurance pour frais de santé ;
- exercice du droit d’expression directe et collective des salariés ;
- droit à la déconnexion ;
- prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ;
- gestion des emplois et des parcours professionnels (entreprise d’au moins 300 salariés) ;
- mise en place d’un dispositif de gestion des emplois et des compétences (GPEC) ;
- mobilité professionnelle ou géographique interne ;
- grandes orientations à trois ans de la formation professionnelle ;
- recours aux différents contrats de travail, au temps partiel et aux stages ;
- et déroulement de la carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales.
Comment se déroulent les NAO ?
En général, plusieurs réunions sont nécessaires. Lors de la première, le calendrier des réunions et la liste des documents qui seront remis aux délégués syndicaux sont déterminés. Pour négocier, les délégués syndicaux peuvent également s’appuyer sur les documents contenus dans la base de données économiques, sociales et environnementale (BDESE). Ils y trouveront de nombreuses informations utiles.
Rappel : les employeurs d'au moins 50 salariés doivent mettre cette BDESE à la disposition du comité économique et social (CSE) et des représentants du personnel. Elle rassemble les informations sur les grandes orientations économiques et sociales de l'entreprise.
La ou les réunions suivantes doivent permettre aux pourparlers d’avancer. Il importe à ce stade que les élus avancent des revendications crédibles et argumentées, c’est-à-dire en phase avec les réalités économiques et financières de l’entreprise. Un argumentaire construit et étayé sera plus difficilement contesté par l’employeur, sauf mauvaise foi... Trop souvent, les élus se présentent devant l’employeur sans éléments concrets !
Tant que la négociation dure, l’employeur ne peut prendre aucune décision unilatérale sur les sujets abordés.
Il n’est pas obligatoire d’aboutir à un accord. Si les NAO aboutissent, un accord écrit est signé entre les parties. En l’absence d’accord, un procès-verbal (de désaccord) est établi ; il rappelle les propositions de chaque partie et les décisions unilatérales de l’employeur éventuellement prises.
Quels arguments faire valoir pour 2022 ?
Vous l’avez compris, les représentants du personnel seront en position de force.
En premier lieu, les élus du personnel doivent mettre la situation économique et sociale actuelle (forte croissance économique, inflation, pénurie de personnel et implication des salariés pendant la pandémie) en avant pour défendre leurs revendications.
Ils doivent mesurer les efforts réalisés par les salariés pendant cette pandémie pour obtenir un « juste retour sur investissement ».
Les élus doivent ensuite analyser l’évolution des salaires des dernières années : les salaires ont-ils été gelés ? Ont-ils bénéficié d’un coup de pouce ?
Les élus doivent également intégrer la prise en compte des résultats du calcul de l’index d’égalité homme/femme par des mesures de correction des écarts de rémunération.
Une attention particulière devra être portée sur l’évolution de la rémunération des dirigeants. Ont-ils fait des efforts pendant cette période difficile ?
On le voit, les négociations annuelles obligatoires 2022 s’annoncent plus faciles que lors des années précédentes. Les entreprises n’auront pas le choix et devront lâcher du lest. Les syndicats patronaux en ont bien conscience.
« Il y a, je pense, beaucoup d'entreprises qui augmenteront les salaires, parce que, d'abord, les salaires en 2020 et 2021 ont été peu augmentés, parce qu'il y a de l'inflation, et parce qu'on a du mal à recruter », a déclaré Geoffroy Roux de Bézieux (président du MEDEF) sur RTL. « Il y a des accords d'entreprise, il y a des négociations. Il y a, en ce moment, 57 branches qui négocient et il y aura beaucoup de négociations en début d'année », a-t-il détaillé. (article de Magazine Challenges).