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26 / 09 / 2019 | 704 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Le suicide : un fait majeur de société qui touche toutes les régions du monde et tous les régimes

« Donnez-moi la démocratie ou donnez-moi la mort ! » le 15 juin 2019 un jeune de Hong Kong, Marco L se jetait dans le vide depuis l’échafaudage d’un immeuble après avoir déployé une banderole pour affirmer son opposition à la loi organisant les extraditions vers la Chine continentale. Ce suicide dédié à suscité une très vive émotion et déclenché des hommages collectifs de la part de ses concitoyens. Quelques heures après le décès de Marco des centaines de milliers de personnes descendaient dans la rue pour exiger le retrait de la loi d’extradition.  Depuis ce drame 8 autres personnes se sont donné la mort en imitant Marco. Ces sacrifices sont devenus partie prenante de la lutte pour la démocratie. Marco est devenu une icône à Hong Kong.


Autre lieu en Asie. Autre temps. Le 11 juin 1963, un moine bouddhiste âgé s’immole à Saigon pour protester contre les exactions commises envers sa religion par le président Diem. Ce dernier dictateur autoritaire bénéficie du soutien des américains qui l’encourage à lutter contre la progression de l’emprise communiste. La photographie de l’horreur, de cet homme qui brule sans exprimer la moindre plainte, fait le tour du monde. L’évènement dramatique sera imité par 5 autres moines. Kennedy s’exprime « aucune photo d’actualité n’a jamais généré autant d’émotion au niveau mondial que celle-ci » Les américains lâchent Diem qui est assassiné par ses généraux. S’ensuit une période de turbulences qui profitent à la force armée communiste. Quelques mois après les troupes américaines débarquent au Viet Nam. Une longue guerre commence.    

Autres temps autres Icones. Le 16 janvier 1969, Jan Palach s’immole par le feu sur la place Venceslas à Prague. Par ce suicide Jan Palach souhaitait protester contre l’invasion de son pays la Tchéquie à la suite du printemps de Prague, par les troupes du pacte de Varsovie.

 

Le 17 décembre 2010, désespéré, humilié publiquement suite à la confiscation de son outil de travail par les autorités Tarek Bouazizi, vendeur ambulant s’immole par le feu devant le siège du gouvernement à Tunis. Les émeutes qui s’ensuivent déclenchent la révolution tunisienne qui évince le président Ben Ali. Ce soulèvement populaire ouvrant la voie dans d’autres pays à ce qui allait devenir le printemps arabe.


La lutte politique pour la démocratie passe souvent par les suicides dédies pour affronter les régimes totalitaires. Faut-il pour autant en conclure que les suicides sont moins fréquents dans les démocraties qu’au sein des régimes totalitaires ?

 

En 2012 autour de 56 millions de personnes sont mortes à travers le monde. Parmi celles-ci, 620 000 ont été victimes de la violence humaine, la guerre en a tué 120 000 et le crime environ 500 000.  Mais une autre violence s’est imposée selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) car on a dénombré cette année-là plus de 800 000 suicides. Il est vraisemblable que ce chiffre soit minoré. Plusieurs spécialistes estiment à plus de 1 million de personnes en 2019 le nombre de morts par suicides. La violence que l’on retourne vers soi est devenue un fait majeur de société. Le suicide est un phénomène qui touche toutes les régions du monde et tous les régimes. Ce phénomène se retrouve aussi bien dans les sociétés dites développées comme la Suisse, la France, le Japon, la Corée du Sud que dans d’autres contrées moins avancées voire totalitaires.  


Il y a quelques mois à Tokyo, le 10 mai 2016, deux fillettes de treize ans se sont donné la mort ensemble. Ce drame, courant hélas au pays du soleil levant a bouleversé une nouvelle fois la population. Le pays s’est à nouveau interrogé sur les raisons qui poussaient sa jeunesse à une telle détresse.


En Corée du Sud comme au Japon le suicide est la première cause de mortalité dans la tranche d’âge des jeunes adultes de 15 à 34 ans censés représentés l’avenir du pays. La Corée du Sud à la fin des années 1970 était un pays relativement pauvre. Le dictateur Chung- Hee régnait d’une main de fer imposant le travail forcé à ses concitoyens tout en interdisant les organisations syndicales. Aujourd’hui la Corée du Sud est devenue un pays prospère qui se classe au onzième rang mondial par son PIB avec l’affirmation d’une volonté de leader chip en matière d’innovation symbolisée par le géant Samsung qui rivalise avec l’américain Apple dans la téléphonie. La démocratie y est stable. La population bénéficie d’un niveau d’éducation très élevé. Pourtant si 9 personnes sur 100 000 se donnaient la mort en 1985, le taux annuel de suicide atteignait en 2012, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 36 décès par suicide pour 100 000 habitants. Soit l’un des taux les plus importants des pays développés. L’Organisation de coopération et de développement (OCDE) établit un classement de ses pays membres touchés par le suicide la Corée du Sud y est en première place devant la Hongrie et le Japon.   



Le Japon lui aussi a connu une évolution similaire. En 1947 les américains imposent une monarchie constitutionnelle. La constitution cependant reconnait la souveraineté du peuple et limite l’empereur à un rôle purement symbolique. La démocratie parlementaire participe alors à un très fort développement économique. Cette croissance de la production n’évite pas un niveau élevé de crises suicidaires qui dépasse les 30 000 pertes humaines par an pendant plusieurs décennies.
Pour mesurer le phénomène du suicide en dictature relativement à la démocratie la comparaison des situations dans les deux Corées aurait pu livrer une clef d’interprétation. Les statistiques hélas peu fiables en Corée du Nord ne permettent pas de tirer de réels enseignements. La Corée du Nord selon les chiffres disponibles, ne semble pas faire mieux que la Corée du Sud.


En matière de prévention des suicides, il faut se garder de conclusions hâtives. Les dictatures sont elles aussi, peu propices à la prévention. La Chine compte chaque année aux alentours de 300 000 décès par suicide. Soit environ le quart des décès recensés par l’OMS. Là encore le suicide est la première cause de mortalité chez les 15 -34 ans. La Russie si on considère que ce pays est dirigé d’une main de fer ne propose pas des taux moins élevés.  L’OMS classe ainsi  la Russie au 3 -ème rang mondial en ce qui concerne le suicide des jeunes  qui  atteint 32 décès pour 100 000 jeunes. La Russie néanmoins a vu se réduire fortement le nombre de suicides depuis quinze ans ; Cette réduction de 6 % pour un nombre de décès qui oscille autour de 25 000 par an s’explique en partie par la campagne contre l’alcoolisme lancé en 1985 par Gorbatchev.  


Au Pérou, aux Philippines, en Haïti, pays en voie de développement en proie à la pauvreté, à des troubles politiques moins de 5 personnes sur cent mille se suicident chaque année. Dans le film « La vie des autres » de Florian Henckel sorti en 2006, un chef d’œuvre relatant l’emprise de la police politique, la trop fameuse Stasi, sur la population en République Démocratique Allemande (RDA) on découvre que dans leur lutte contre la dictature stalinienne, les dissidents tentaient de faire passer à l’ouest des informations sur le nombre de suicides survenus en Allemagne de l’est. Pour eux ces statistiques affolantes sur le nombre de suicides étaient de nature à ouvrir les yeux des pays de l’ouest sur la nature totalitaire et la déréliction des relations sociales à l’Est. Le plus vraisemblable est que l’on se donne la mort pour des raisons bien différentes dans les pays dit avancés sur le plan économique, démocratique et dans les pays totalitaires.

 

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Bonjour,

Je découvre, avec étonnement, que le développement de l'usage de la philosophie du suicide dans l'anthropocène et concomitant au développement, non moins étonnant, des artifices : les arcs & les flèches, les curares, les algorithmes neurologiques adaptatifs en télémédecine.

Où en est le scepticisme raisonnable le Pyrronisme d'Hume, Kant & Rousseau, en 2020 sur la réelle nature de l'acte?