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28 / 08 / 2023 | 1820 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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« Le Flex Office m’a tuer ! »

Gommer

La vague de télétravail a mis en exergue une problématique : celle des espaces professionnels. Le Flex office encourage la dépersonnalisation, la déshumanisation au sein de l’entreprise. Symboliquement, le salarié n’y a plus sa place. Il ne fait que passer. Il efface ses traces… 


Début 2020, la pandémie du Covid 19 s'est abattue sur la vie des Français avec la mise en place du confinement et de son corollaire le télétravail. Cette modalité nouvelle de travail avait concerné jusqu’alors à peine 8 % des actifs, principalement des cadres, des professions libérales et des techniciens de maintenance. La France, accusait un retard sensible sur des pays tels que la Finlande (32 %) ou l'Allemagne (20 %), le pays a dû s’adapter brutalement en pleine crise. Près de 6 millions de salariés se sont retrouvés « en télétravail avec peur et fracas ». A travers parfois de pénibles épreuves, la population active a fait preuve d’une profonde résilience et s’est forgée en quelques mois, une nouvelle maturité numérique. Le plus étonnant dans cette évolution est que la revendication en faveur du télétravail, portée depuis quinze ans par les organisations syndicales, a été soudainement reconnue comme réaliste par les employeurs, balayant d'un revers de main les croyances patronales sur le télétravail, qu'ils jugeaient auparavant synonyme de « télévision ».


Le télétravail mesuré, à savoir d’une ou deux journées par semaine, se trouve désormais plébiscité. Il affiche des avantages indéniables : des trajets réduits, une diminution des émissions de gaz à effet de serre, moins de fatigue, de stress et de perturbations relationnelles. Une optimisation pour le salarié de l’articulation de ses diverses activités sociales et de ses rythmes sociaux. Ces facteurs séduisent une majorité d’employés bien au-delà des seules générations récentes sur le marché du travail. Le télétravail s’est donc installé comme une nouvelle composante de long terme. 


Les travers du télétravail ne doivent cependant pas être négligés afin d’être maîtrisés. Un télétravail trop prononcé compromet l'intelligence collective et la sérendipité, cette faculté de réaliser des découvertes inattendues. Le télétravail peut aussi contribuer à la montée de l’individualisme et à un recul du collectif au sein des structures. Il peut aboutir à une perte d’employabilité pour l’individu et à une fragilisation de sa relation avec la hiérarchie ou l’employeur. Enfin à ne pas négliger le télétravail est aussi une porte grande ouverte vers la délocalisation d’activités vers des centres de production à coûts de main d’œuvre plus modérés.


Le spleen des bureaux vides
 

Cette vague de télétravail a également mis en exergue une autre problématique : celle des espaces professionnels. Le spleen des bureaux vides a étreint les dirigeants qui ont voulu tirer profit de ce nomadisme professionnel en réduisant les surfaces allouées pour réduire la dépense immobilière. Le Flex office surgit alors telle une nouvelle ère, reléguant le concept de bureaux attribués au rang d'antiquité. Désormais, les salariés se déplacent sans cesse, leurs bureaux sont partout où ils se trouvent, telles des ombres égarées cherchant un coin où se poser. Point d'ancrage, point de repère, seulement une succession d'emplacements éphémères. Un ballet infernal pour s'installer, connecter l'ordinateur, puis repartir en effaçant toute trace de son passage comme un véritable fantôme. C’est d’ailleurs un second sujet d’étonnement que ce relâchement en matière d'hygiène qui survient juste après une pandémie...qui a causé des milliers de morts.


En général, le Flex office retient un ratio de 5 à 6 postes pour 10 salariés, ratio fixé à partir des pics d’assistance prévisibles. Il n’est pas rare que cette approche conduise à une réduction des surfaces de 40%, Les aires économisées sont alors remises sur le marché. Ainsi de 2,6 millions de mètres carrés de bureaux vides avant la crise, on est passé aujourd’hui avec ces restrictions, à 4,4 millions. Cet indicateur montre la profondeur de cette mutation renforcée par une exigence légale de frugalité énergétique. Ce concept « Flex office » ancré dans l’air du temps, accentue cependant les inconvénients de l’open-space – bruits et stress – tout en ajoutant une perte de repères pour ceux habitués à considérer leur aire de travail comme un deuxième espace de vie.


Le Flex office encourage la dépersonnalisation, la déshumanisation au sein de l’entreprise. Symboliquement, le salarié n’y a plus sa place. Il ne fait que passer. Il efface ses traces… L’attachement des salariés, l’ancrage émotionnel s’inscrivent dans l’espace physique, or tous se voient renvoyés à l’état de pion doté d’un casier… Quelques études démontrent déjà un recul du collectif. L’étude de Deskeo en février 2021 a montré l’éclatement des équipes après sa mise en œuvre. L’étude de la fondation Pierre Deniker, dès 2018, a établi chez les personnes travaillant en Flex office une augmentation de 11% des troubles psychosociaux. Ainsi, le Flex office s’avère nocif pour la santé mentale des salariés. 
 

Les facteurs aggravants du flex office


Technologia, dans ses études, a relevé des facteurs aggravants : l’infobésité des communications ; les déambulations, le bruit permanent des appels téléphoniques et des conversations qui accroissent la fatigue en obligeant à un effort de concentration amplifié ; l’implantation en micro-zoning sans cohérence avec les localisations préférentielles dictées par le bâtiment ; l’absence de considération des besoins des métiers et de ceux liés à tous types de handicap ; l’insuffisance de renouvellement de l’air intérieur dans des espaces densifiés…


Émerge alors une exposition à des risques circulaires : le bruit gêne la concentration, ce qui conduit à des erreurs, à des interruptions de tâches et à des efforts de remobilisation de l’attention. A la longue, cette situation délétère induit stress chronique voire épuisement, ce qui provoque en retour une difficulté à se concentrer... Pour faire face, les salariés portent communément un casque audio ou anti-bruit. Ils sont par là même totalement hermétiques à ce qu’il se passe autour d’eux, réduisant ainsi à néant l’idée de la fluidité des échanges que les concepteurs de l’espace avaient vendue au départ...


En cas de grosse affluence, les salariés ne trouvent pas toujours un poste à leur arrivée et doivent se replier au bistrot du coin ou sur les marches d’un escalier. Pour combler ces dérives, certaines entreprises mettent en œuvre des réservations, système qui peut être vécu comme une contrainte supplémentaire « Si on m’avait dit que je devrais réserver ma place pour venir travailler je n’aurais jamais intégré la boite ».  


Afin de se protéger, les salariés dans ces conditions se résolvent à un télétravail massif. Ce qui n’est pas sans générer d’autres difficultés en raison de la porosité avec la vie privée. Ce repli est d’autant plus impératif que certains s’habituent mal à un contrôle permanent qui s’exerce dans ces espaces. L’impression réelle ou ressentie d’être en permanence vu, entendu, contrôlé, provoque une anxiété menant jusqu’à un état d’hyper vigilance.


La centralité du travail est altérée par l’attrition des liens collectifs qu’impose le Flex office. Il en va de même avec la perte de créativité collective qui se mesure mal mais qui pénalise aussi bien les salariés que leur employeur. En bref, le retrait amotivationnel qu’il suscite par désenchantement se manifeste tant par l’absentéisme et le turn-over que par un recul de l’implication et de l’engagement des actifs dans leur mission. Or cet engagement demeure un moteur essentiel de santé, mais aussi de productivité. La grande démission de 2022 a vu 2,5 millions de salariés rompre leur CDI. La montée sensible de l’absentéisme épargne simplement les PME. Dans ces conditions dégradées, le repli vers la sphère privée en télétravail sert encore de soupape « je ne voulais pas ajouter la précarité du lieu à la précarité du travail ».


Le Flex office brosse un tableau de désolation subie par les salariés. Les médecins du travail constatent des symptômes de détresse chez les employés, les conduisant parfois au bord du gouffre. La santé mentale se fragilise, et les troubles somatiques se multiplient. L'agressivité ambiante génère une anxiété sourde.


Dans cet effet de mode les entreprises, aveuglées par cette tendance, se précipitent vers une pratique peu réfléchie, sans aucune expérimentation véritable, négligeant les études d'impact en santé et en profitabilité. Les surfaces sont calculées parfois sans discernement, les aménagements acoustiques oubliés, le renouvellement d'air négligé. Tout se fait dans la hâte, dans l'aveuglement, sans égard pour les conséquences à terme qui pourraient être désastreuses tant pour la santé des salariés concernés que pour les grands équilibres financiers des structures.

 

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