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La biomasse : comment miser sur une ressource rare et intermittente ?
La biomasse, qui, jusqu’à peu, n’intéressait guère que les agriculteurs et les forestiers, commence à être considérée comme une ressource stratégique pour atteindre la neutralité carbone. C'est le sujet abordé par François Challet et Arthur Fourny, ingénieurs des mines, dans le dernier numéro de "La Gazette de la Société et des Techniques" éditée par les Annales des Mines avec le concours du Conseil général de l’Économie et de l’École de Paris du management. (1)
Différents secteurs lorgnent avec intérêt vers cet “or vert” pour toutes ses formes d’énergie renouvelable : matériaux de combustion, biocarburants et biogaz.
Pourtant, toutes les études prospectives s’accordent à dire que la quantité de biomasse disponible pour l’énergie restera limitée, laissant présager des problèmes de bouclage et des tensions sur la ressource.
Facteur plus grave, car totalement absent des stratégies actuelles, la quantité de biomasse agricole pour l’énergie va fortement fluctuer d’une année à l’autre, notamment du fait du changement climatique et des autres usages prioritaires.
- Quels sont les risques de cette variabilité pour le système agroénergétique ?
- Comment s’y adapter pour planifier au mieux la transition écologique ?
Telles sont les principales question auxquelles les auteurs essayent de répondre....
Un défi pour l’État : inciter les acteurs à s’engager sur une voie incertaine Pour répondre aux enjeux de la variabilité de la biomasse, le rôle de l’État sera double : assurer le risque en temps normal et réaliser des arbitrages en cas de crise.
La récente réforme de l’assurance récolte est un premier pas dans la bonne direction. Les pertes de récoltes accrues et de plus en plus irrégulières ayant rendu de nombreuses exploitations non assurables par le secteur privé, l’État a choisi de venir en renfort en prenant en charge une part plus importante des dommages des assurés au-delà de 50 % de pertes.
En contrepartie, les agriculteurs non assurés par le privé sont moins bien couverts, ce qui les incite à s’assurer.
Le but est de renforcer la contribution de chaque acteur, à son niveau : l’agriculteur qui mettra tout en œuvre pour rendre sa production la plus résiliente possible, les assureurs qui devront couvrir un plus grand nombre d’exploitations, et l’État qui devra assurer à tous un filet de sécurité. Ce système, aujourd’hui pensé dans un cadre agricole alimentaire, devra être étendu aux productions pour l’énergie, voire amélioré pour rendre économiquement incitatives certaines mesures préventives (stockage, pratiques agroécologiques, etc.).
Un tel dispositif, qui couvre financièrement les acteurs, n’a en revanche qu’un effet limité sur la production finale de biomasse et ne permettra donc pas d’éviter les pénuries.
Quand la ressource manquera, on ne pourra faire confiance aux lois du marché pour répartir son usage entre les acteurs.
L’objectif à atteindre est, d’une part, éviter une remise en cause non souhaitable de la hiérarchie des usages – on ne veut pas affamer les troupeaux si les prix de l’énergie sont hauts – et, d’autre part, éviter des faillites en cascade des acteurs économiques de petite taille, incapables de sécuriser des approvisionnements de long terme comme ceux aux grandes ressources en capital. Il faudra donc un arbitre capable de trancher sur une répartition de la biomasse disponible au nom de l’intérêt général et qui, dans la continuité du rôle renforcé de l’État comme assureur, devra fournir une compensation aux acteurs qui auront consenti un effort.
Du fait de la diversité et de la complexité de nos territoires, nous pensons que de tels arbitrages ne pourront être faits qu’à l’échelle locale et proposons de renforcer le rôle des cellules biomasse existantes pour assurer ce rôle.
Aujourd’hui surtout responsables de la préparation des schémas régionaux biomasse qui visent à planifier et à orienter la production et les usages énergétiques de la biomasse à l’échelle régionale, ces organes à la main des préfets devraient voir leur compétence étendue à tous les usages de la biomasse.
Ces organes pourraient alors constituer un outil adapté pour acquérir la réactivité nécessaire à la gestion des crises qui ne manqueront pas de se présenter 1
(1) Gazette_123_09_23.pdf (annales.org)
Pour en savoir plus : François Challet, Arthur Fourny, « La biomasse : une énergie intermittente à horizon 2050? », mémoire de troisième année du Corps des Mines, 2023 – https://mines-paristech.hal.science/hal-04166035