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24 / 03 / 2020 | 3385 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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« Je vais vous cracher à la gueule ! » : transmission volontaire du coronavirus et accident du travail ?

Les études en prévention des risques démontrent que l’être humain redoute surtout ce qu’il ne comprend pas. L’instinct de survie a conduit l’espèce humaine, à amplifier la gravité des risques potentiels qu’elle a dû affronter siècle après siècle. L’épouvante de la mort, en particulier, les craintes, les frustration multiples, ont constitué de tous temps un effet de « loupe émotionnelle ». Pour se protéger de cette angoisse de l’extinction, l’humain à développer des connaissances scientifique et technologique. La science a donné accès à une maitrise des risques efficiente. Plus l’exposition au risque est connue, même si elle peut générer un préjudice énorme, c’est le cas par exemple de la rougeole en matière de santé ou de la production d’énergie nucléaire, en matière de sécurité industrielle, plus le risque est toléré car contrôlable et moins l’anxiété et l’appréhension apparaissent.
 

La méconnaissance actuelle du virus et la crainte de ne pas pouvoir le contrôler et d’y succomber débouchent sur la psychose actuelle. Celle-ci est alimentée par une multitude d’informations souvent exactes parfois erronées des réseaux sociaux et des médias. Sans doute le confinement a-t-il aussi des effets délétères sur le plan psychologique (mais aussi physique). La réponse à cette psychose suppose d’indiquer rapidement un horizon de sortie compréhensible pour tous, tant dans les modalités de sortie que dans la temporalité.

 

La prolifération du virus conduit à interroger notre rapport à la mort dont on parle peu dans nos sociétés. La peur de la contamination, la crainte de se trouver souffrant et de ne pas pouvoir être pris en charge par les établissements de soin saturés conduisent à des comportements surprenants si ce n’est alarmants.

La transmission volontaire du Coronavirus

Scène réelle et vécue, samedi lors des courses hebdomadaires dans une grosse supérette à Paris. L’accès au magasin est régulé. Une file d’attente de trente mètres s’étire à l’extérieur. L’ambiance est plutôt à la gravité. Il n’est pas encore 20 H où dans cette même rue retentissent tous les soirs aux balcons un concert d’applaudissements, de tintamarres, de musique en tous genres pour rendre hommage aux soignants dont on redécouvre à l’occasion l’utilité sociale essentielle.


Pour l’instant les gens patientent dans la file, suspicieux, inquiets de qui pourrait les approcher de trop près. Au goutte à goutte, le va et vient s’organise. Une personne entre dans le magasin quand une autre quitte l’endroit. Pas plus de cinquante clients à l’intérieur des rayons. Interdiction de s’approcher des employés protégés par un masque, des gants et un plexiglas. Le responsable, un homme robuste et polyvalent, veille. Il va d’une caisse à l’autre. Et surtout c’est lui qui autorise les entrées et donne les consignes à respecter à chaque client « une distanciation de 1,5 m de sécurité à respecter ».
 

En cette fin d’après-midi deux femmes attendent au dehors, derrière moi dans la file. La première à peine sortie de l’adolescence, absorbée sur son portable avec une amie, indifférente à ce qui l’entoure, la seconde installée à la fin de la petite cohorte, âgée d’une quarantaine d’année bien habillée sans doute au retour de son travail, Cette dernière semble agitée, exprimant son inquiétude par les questions posées aux autres clients. « Combien de monde y a-t-il à l’intérieur ?   L’attente dure longtemps ? » « Non - 20 minutes pas plus, les gens vont sortir, ils ne sont pas si nombreux ! ». Un jeune arrive. Décontracté, habillé d’un pantalon et d’une veste en jean. Il sourit, amusé sans doute du rituel d’évitement et de tout ce monde qui attend. Il prend la dernière place dans la file.  Mais pas assez loin sans doute pour la dame agitée. Elle le lui fait remarquer « Pourquoi vous me collez ainsi ? Vous ne savez pas qu’il faut respecter une distance ?  Surpris le jeune lui répond « Mais je suis à un 1 mètre de vous ! » Elle le toise comme s’il n’était rien « Ce n’est pas suffisant ! Reculez ! Eloignez-vous de moi ! » Il se rebiffe « Mais calmez-vous ! Je vous dis que je suis à un mètre de vous ! c’est largement suffisant ! » Elle refuse l’argument « Vous devriez être à deux mètres au moins ! » L’autre commence à lui expliquer par le détail le processus de propagation du virus. « Les postillons à cette distance tombent par terre… » Elle le coupe avec mépris « Gardez vos explications cela ne m’intéresse pas ! Je connais parfaitement le sujet ! » Le jeune monte alors le ton « Vous n’y connaissez rien ! Sinon avec cette exigence de 2 mètres comment voulez-vous faire vos courses dans ces rayonnages ? Vous ne pourrez pas maintenir cette distance de 2 mètres pour vos achats ! » Elle le sèche à nouveau « Peut-être mais avec vous vraiment je veux être à deux mètres ! » Provoqué, le jeune s’approche. Elle se met à crier. Le responsable du magasin accourt ce qui calme en l’instant la dame et le jeune recule.
Le responsable nous fait enfin entrer tous les trois. Etant arrivé le plus tôt je passe en premier, puis les deux dames me suivent à bonne distance. Le responsable du magasin bloque le jeune homme à la porte et le réprimande. Je l’entends lui dire « Faut pas se conduire ainsi ! C’est déjà assez pénible comme cela ! Tu ne rentres pas ! » Le jeune se rebiffe. « Mais je n’ai rien fait ! Elle est complétement cinglée c’est tout ! »
 

Le calme revient. Après dix bonnes minutes je finalise mes courses à la caisse. Tout à coup, des hurlements de femme retentissent au fond du magasin. Tout le monde se fige. Le jeune homme qui a pu finalement entrer s’est approché de très près de la femme avec laquelle il s’était disputée , pour lui montrer dans les faits que tenir la distance de 2 mètres n’était pas possible et sans doute aussi pour la provoquer et lui dire ce qu’il pensait d’elle. Le ton monte très vite entre les deux. « Si vous m’aviez dit simplement que vous aviez la trouille j’aurais compris mais là vous avez voulu m’humilier devant tout le monde ! Alors vous savez quoi ? Je vais vous cracher à la gueule comme ça si j’ai le corona vous l’aurez aussi ! ».
 Aussitôt il se met à exécution, et éructe une série de crachats en direction du visage de la femme qui crie à n’en plus finir et cherche à se protéger comme elle le peut. « Il m’a craché au visage ! Il m’a craché dessus ! C’est une honte ! Je vais porter plainte ! » Clame-t-elle au responsable du magasin avant que ce dernier ne parvienne enfin à les séparer et à saisir le jeune au col afin de le pousser au dehors. Le jeune se débat « Vous n’êtes qu’un valet ! Un pantin ! Vous allez voir aussi votre gueule ! » et à nouveau il tord le cou et crache à plusieurs reprises sur le responsable du magasin. Ce dernier costaud, indifférent aux crachats de l’autre parvient manu militari à le faire sortir rapidement du magasin.
 

Mais la femme qui s’est reprise, l’accuse désormais alors qu’il retire son masque pour mieux s’essuyer les cheveux et le front maculés de salive « C’est insensé de l’avoir laissé entrer ! Vous vous rendez compte de votre responsabilité ? »  L’homme mutique ne répond pas. La femme paye ses courses et commence à sortir. « Je vais faire le test et si je suis positive je porterais plainte aussi contre vous ! » Le responsable lui répond à voix basse, presque en murmurant, abattu par ces évènements avec une sorte de résignation et d’accablement. « Vous savez je suis aussi victime de cette situation ! Si vous tombez malade, ce que je ne souhaite pas, je serais sans doute malade aussi et sachez-le certainement avant vous ! Et d’ailleurs je vais me déclarer en accident du travail en raison de cette folie ! J’en peux plus ! C’est dingue des jours comme cela ! ».

 

La reconnaissance comme accident du travail
 


Cette manipulation de la maladie pour la propager volontairement et porter ainsi atteinte par ce moyen à d’autres personnes a déja été constatée dans d’autres circonstances, les policiers ayant semble-t ‘il, subis des crachats au cours de leurs interpellations.


La reconnaissance en accident du travail obéit à un processus précis dans lequel toutes les parties prenantes ont des obligations. A savoir le salarié, l’employeur et la caisse d’assurance maladie (la CPAM).
 

  • La victime, le responsable du magasin, doit déclarer l’accident du travail à son employeur dans un délai rapide soit dans ce cas, la journée même ou il s’est produit ou au plus tard dans les 24 heures. Il n’y a pas de force majeure ou d’impossibilité absolue à le faire comme parfois on peut le constater dans certaines circonstances qui empêchent cette déclaration.

 

  • Le responsable du magasin doit faire constater son état de santé par le médecin de son choix. Ce médecin établit après examen un certificat médical en trois volets. Les volets 1 et 2 sont à destination de la CPAM. Le volet 3 doit être conservé par la victime. La lésion n’est pas à ce stade d’ordre corporel mais plutôt d’ordre psychologique : un choc émotionnel consécutif à une agression commise dans l'entreprise. Un préjudice d’anxiété pouvant être évoqué en raison de la crainte de la maladie. Mais il conviendra dans ces circonstances de réaliser aussi rapidement un test de dépistage du Coronavirus que le médecin traitant pourra ordonner. Il pourra de plus délivrer un certificat d’arrêt de travail qui pourra le cas échéant être prolongé.

 

  • Ces démarches permettent au responsable du magasin d’être pris en charge à 100 % pour ses frais médicaux liés à l’accident. L’employeur ayant été informé, sera tenu à son tour de déclarer l’accident du travail à la CPAM dans les 48 heures (dimanche et jours fériés non compris). L’employeur pourrait s’il le souhaite émettre des réserves motivées sur le caractère professionnel de l’accident du travail; cela ne parait pas souhaitable en l’état, dans le cas présent. A l’évidence l’agression a eu lieu à l'occasion du travail et sur le lien de travail. Le responsable du magasin, cadre salarié a été victime de ce fait accidentel en raison de son activité professionnelle. Le fait accidentel a entraîné un choc émotionnel. L’agression a été soudaine et plusieurs témoins peuvent en relater la chronologie.

     
  • Si l’employeur ne réagit pas et ne déclare pas l’accident du travail, le responsable du magasin pourra alors déclarer lui-même en direct, ce dernier à sa CPAM dans un délais qui court jusqu’à deux ans. La CPAM devra dans ce cas lui accuser réception de cette déclaration.

     
  • La victime dans le cas présent bénéficiant d’un arrêt de travail, l’employeur devra adresser également à la CPAM une attestation nécessaire au calcul des indemnités journalières auxquelles il a droit. Dans le cas ou le salaire est maintenu en totalité par l’employeur c’est lui qui percevra les indemnités journalières en remboursement de l’avance consentie.

 

  • La CPAM après réception de la déclaration d’accident du travail et du certificat médical initial dispose d’un délai de 30 jours pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident. La CPAM pourrait si elle le souhaite bénéficier de 2 mois supplémentaires pour procéder à des investigations complémentaires pour statuer plus en profondeur sur la nature professionnelle de l’accident. Ici les faits sont assez évidents et il est peu probable que la CPAM et l’employeur contestent l’agression.

 

  • Au retour au travail, l’employeur devra établir une nouvelle attestation de salaire pour le responsable du magasin sur laquelle sera indiquée la date de reprise effective de l’activité.

     
  • En l’état des connaissances scientifiques s’il s’avérait que le responsable du magasin tombe malade quelques jours après cette agression, un lien direct de cause a effet pourrait sans doute être évoqué par la victime

     
  • La reconnaissance de cet accident comme étant d'origine professionnelle lui ouvre droit à des indemnités en cas d'arrêt de travail, S’il s’avérait qu’il soit en incapacité permanente de travail, il pourrait percevoir de plus d’une indemnisation spécifique.

 

  • En revanche la question de la responsabilité en recherche de faute inexcusable de l’employeur pourrait être évoquée par le responsable de ce magasin. Les autres jours un vigile assurait normalement la sécurité à l’entrée du magasin. Le jour de l’agression ce professionnel était manifestement absent. Pour quel motif ? Est-ce pour une cause indépendante de la volonté de l’employeur ou relevant de son propre choix de décision ?  Entrait-il dans les obligations et donc dans la fiche de poste du responsable du magasin de faire régner l’ordre ?  A-t-il été formé en ce sens ?

     
  • La procédure si elle s’engage sera de plus amenée à analyser le document unique sur l’évaluation des risques professionnels ( DUER), obligatoire pour toutes les structures employant du personnel depuis le décret du 5 novembre 2001 pris en application de la loi de décembre 1991. Ce DUER a-t-il recensé les typologies d’agressions, les situations délétères sur le plan relationnel  et les moyens d’y faire face ?

     

Ce n’est qu’après avoir répondu à toutes ces questions qu’il pourra être décidé par un juge éventuellement si l’employeur à fait preuve de négligence, d’insouciance coupable ou simplement d’indifférence aux risques. Si tel était le cas sa responsabilité pourrait être engagée en raison de la non-satisfaction à l’obligation de garantir la santé et la sécurité des salariés dont le responsable du magasin. Dans ce cas la victime serait sans doute en droit fondée à poursuivre le propriétaire du magasin pour obtenir une indemnisation complémentaire en raison d’une faute inexcusable de l'employeur. Elle pourrait aussi poursuivre l’agresseur devant la juridiction pénale pour mise en danger de la vie d’autrui.

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