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Émergence de travailleurs nocturnes : illustration de la non-application du droit à la déconnexion
La crise liée au covid-19 affecte notre quotidien de bien des manières. Le monde professionnel a dû s’adapter aux évolutions imposées par les décisions gouvernementales pour tenter d’endiguer l’épidémie. Depuis plus d’un an maintenant, certaines mesures du code du travail sont connues du grand public comme la mise en œuvre de l’activité partielle, entre autres. De plus, un mode d’organisation du travail qui était auparavant essentiellement déployé à l’égard des cadres a pu être transposé à de nombreux métiers : le télétravail.
En propos introductifs, il convient de rappeler que le télétravail tel qu’il est mis en œuvre aujourd’hui n’est pas le télétravail tel qu’il devrait l’être. Il s’agit davantage d’un travail à domicile contraint. Mais, ce télétravail généralisé n’est pas toujours bien encadré ; plus précisément, il met des difficultés pragmatiques sur le devant de la scène, dont certaines ont toujours existé et ont été exacerbées par la crise.
Le télétravail est un mode d’organisation qui déplace le travail des locaux de l’entreprise à la sphère privée du salarié (ou, en période ordinaire, dans tout autre lieu qui n’est pas la propriété de l’employeur).
Aujourd’hui, les outils professionnels intègrent et s’immiscent dans le salon des salariés (ou dans leur cuisine). Pourtant, lorsqu’il est déployé correctement, le télétravail offre de nombreux avantages. Les salariés peuvent plus facilement concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle et accroître leur productivité, ce qui sert simultanément et par jeu de ricochets les intérêts de l’entreprise etc.
Cependant, même s’il présente des qualités particulières, la prudence est de mise (notamment pour les employeurs) au regard de l’effectivité du droit à la déconnexion (introduit en 2016 par la loi sur le travail et réaffirmé dans les ordonnances de septembre 2017) qui répond à trois objectifs : assurer le respect des temps de repos, garantir l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle/familiale et protéger la santé des salariés. Un problème s’accentue avec la crise sanitaire : la confirmation de l’existence de « travailleurs nocturnes ».
Comme la terminologie employée le souligne, ce sont des salariés qui, a priori, travaillent en dehors des horaires de travail pour diverses raisons : certains considèrent qu’ils sont plus productifs la nuit, d’autres parce qu’ils n’ont pas pu travailler en journée parce que leurs voisins étaient trop bruyants ou parce qu’ils ont dû garder leurs enfants, d’autres enfin parce que leurs employeurs les contactent à tout moment. Sacrifier ses nuits est-il un choix ?
Pour certains, il semblerait que oui parce qu’ils ont un rythme décousu (ce qui peut également poser quelques inconvénients avec le collectif de travail et également à l’égard du droit au repos) ; pour d’autres, cela fait clairement état d’une surcharge de travail. Au lendemain du premier confinement, un fort taux de « non-déconnexion » a été constaté. En effet, la communication numérique a connu un essor considérable.
Pourtant, le droit à la déconnexion est un droit essentiel qui mérite une effectivité absolue quel que soit le contexte dans lequel nous nous inscrivons. Ainsi, dans les entreprises de plus de 50 salariés, l’employeur est tenu de négocier un accord sur ce point (1).
- Mais les accords collectifs semblent seulement incitatifs. Autrement dit, l’objectif mis en avant est celui de sensibiliser les managers et les salariés au respect de ce droit.
Aujourd’hui, lorsque les directions se rendent compte du non-respect (récurrent) du droit à la déconnexion, elles se contentent d’envoyer un courriel pour dire que la situation n’est pas « normale » sans proposer d’alternatives ou d’envisager des sanctions à l’égard des managers qui continuent (2).
Dès lors rien ne bouge, d’autant plus qu'une valorisation de la réactivité du collaborateur prévaut dans le monde du travail car tout semble devenir urgent. Cependant, les entreprises confondent deux choses : les urgences et les actions importantes car impératives.
Finalement, tout devient urgent aujourd'hui car nous sommes dans une société de l’immédiateté. Preuve en est que lorsque nous ne répondons pas instantanément à un courriel ou à un appel, la première chose que nous faisons lorsque nous contactons l’interlocuteur consiste à nous excuser. Nous nous excusons de ne pas avoir été disponibles parce que nous étions en train de travailler sur autre chose… Cette croyance numérique selon laquelle si nous ne sommes pas immédiatement joignables, c’est parce que nous ne travaillons pas, a la vie dure.
Cependant, elle est aussi entretenue par le comportement que nous abordons. Mais, si les salariés doivent être connectés en permanence, il convient de passer à un autre régime, qui n’est clairement pas celui du télétravail mais du temps d’astreinte. Celui-ci qui permet aux salariés attendant une éventuelle sollicitation de l’employeur de bénéficier d’une compensation pour ce temps spécifique.
De plus, l’hyper-connexion créée inévitablement des inégalités entre collègues entre ceux qui « peuvent » répondre en dehors de leurs horaires de travail et ceux dans l’incapacité matérielle (car ils ont par exemple une maîtrise sommaire des outils numériques) ou temporelle de le faire (enfants ou charges domestiques).
Pourtant prohibée, cette situation met des espaces de discussion non inclusifs en avant et réaffirme simultanément l’inégalité entre hommes et femmes dans la sphère professionnelle au regard des contraintes personnelles pesant davantage sur les femmes.
Pour finir, il convient de souligner que le téléphone portable est un outil de communication bien plus intrusif qu’un courriel. En effet, en appelant quelqu'un, on l’interrompt dans l’action qu’il est en train d’exécuter au moment où on l'appelle. Un courriel est moins envahissant quand bien même la demande de l’interlocuteur est aussi pressante. Preuve en est que si notre n+1 travaille le week-end, il n’hésitera pas à nous envoyer un courriel (sans se demander si on consulte ou non notre boîte professionnelle) ; en revanche, il est certain à 99,9 % qu’il ne nous appellera pas.
Le droit à la déconnexion semble mis à mal en période de confinement et de télétravail généralisé. Mais n’oubliez pas que vous avez des droits et la déconnexion en fait partie. Elle est nécessaire! !
1) Cela ne signifie en aucun cas que les entreprises de moins de 50 salariés soient dispensées d’appliquer ce droit puisque celui-ci est inséré dans le code du travail.
2) Pourtant, il faudrait anticiper les conséquences de l’envoi d’un courriel en dehors des horaires de travail.