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19 / 06 / 2023 | 72 vues
Sandrine Lhenry / Membre
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EDF : l'urgence est de retrouver des marges de manœuvre

Alors que la France est en train de négocier auprès de Bruxelles sa feuille de route énergétique, dont le groupe EDF a besoin pour mener à bien sa stratégie industrielle, l’OPA de l’État sur EDF touche à sa fin.

 

C’est désormais acté : depuis le 8 juin, date du retrait obligatoire, l’État est le seul actionnaire d’EDF. Pour autant, des questions structurantes demeurent quant à l’avenir de l’entreprise.

 

EDF, toujours dépendante de la régulation française et européenne, aura la tâche de construire en un temps record de nouveaux EPR2 afin d’éviter la pénurie d’électricité latente. Elle devra recruter massivement dans un contexte de défaut de main-d’œuvre important. Et enfin, il lui faudra aussi retrouver un équilibre financier lui permettant d’investir dans la transition énergétique.

 

Mais est-ce que son actionnaire unique va le lui permettre ? Le destin d’EDF est désormais entre les mains de l’État.

 

Avec près de 65 milliards € de dettes, nous sommes en droit d’attendre de la part de l’État une véritable recapitalisation. Cela permettrait à EDF de faire face au mur d’investissements que la transition énergétique du pays lui impose. Au lieu de cela, il semble que nous nous acheminons vers une autre solution, dont l’État, engoncé dans ses injonctions contradictoires, a le secret. La régulation imposée par le gouvernement français et la direction générale de la concurrence européenne, en cours de discussion, nous fait craindre un «produit» de sortie post-Arenh 2025 défavorable à EDF.

 

Il n’est, en effet, pas garanti que le retour des contrats à long terme de vente d’électricité, désormais portés par nos dirigeants, en lieu et place du mécanisme ubuesque de l’ARENH, trouve un écho favorable auprès de l’Europe. D’autant que le calendrier politique est contraint. Il faut que toutes les décisions passent cet été, afin de donner de la visibilité au marché, en préparant la sortie du mécanisme en cours et en déterminant la feuille de route énergétique française. De plus, face à la crise, il était «convenu» que le marché de l’énergie devait être revisité en profondeur.


Seulement le discours de Bruxelles est passé du besoin de «réforme en profondeur» à un simple «ajustement» du marché. Ceci nous laisse présager, pour le 19 juin prochain (date du conseil des ministres de l’Énergie consacré à la révision du marché de l’électricité), une réforme a minima et quasiment sans impact sur l’organisation actuelle du marché européen. Le risque est de voir voler en éclats la volonté affichée de nos dirigeants de promouvoir les contrats à long terme, qui auraient pourtant donné de l’oxygène à EDF, et donc de repartir sur de l’ARENH réajusté…

 

Une entreprise pas comme les autres

 

EDF est la seule entreprise en mesure, tant du point de vue technologique qu’humain, de relever l’enjeu de la transition énergétique grâce à son caractère intégré. Ce dernier lui permet d’assurer la continuité du service public de distribution de l’électricité et de construire des moyens de production de grandes capacités pour satisfaire les besoins en consommation.
 

Une question demeure : le groupe demeurera-t-il intégré?
 

En effet, si l’entreprise ne retrouve pas rapidement des marges de manœuvre en augmentant sa production d’électricité et en stabilisant son endettement, nous pouvons craindre la séparation de nos activités avec des cessions d’actifs, aboutissant à une possible désintégration d’EDF. Cette perspective nous semble la plus défavorable et nous n’en voulons surtout pas. La désintégration de notre groupe et la vente à l’encan de nos actifs stratégiques pourraient mettre à mal à la fois la compétitivité de l’entreprise et la pérennité des missions de service public, sans oublier l’impact néfaste que cela aurait sur le corps social de l’entreprise, mais aussi tout simplement sur l’économie nationale. Notre groupe tire sa force de son caractère intégré qui lui apporte un véritable avantage compétitif par rapport à ses concurrents, comme cela se confirme dans les appels d’offres sur le nucléaire dans les pays d’Europe de l’Est (exemples : République Tchèque, Pologne, etc.). Ce caractère intégré lui permet également de mieux appréhender les nombreux et coûteux défis, auxquels il sera confronté à l’avenir.

 

Il lui faudra :
 

  • Assurer la transition énergétique, tout en anticipant les effets climatiques qui s’accélèrent et impactent nos moyens de production;
  • Devenir leader, entre autres, dans la construction de nouveaux réacteurs de 4e  génération et dans le développement de l’éolien flottant.


Et il y a véritablement urgence! En effet, les besoins en énergie sont en forte augmentation comme le prouvent les scénarii de RTE et d’ENEDIS.

 

RTE et Enedis portent des scénarii de consommation à la hausse

 

Dans son nouveau bilan prévisionnel pluriannuel de l’équilibre offre-demande présenté le 2 mars dernier, RTE intègre 3 trajectoires pour 2035, comme suit :
 

  • Une haute sur la consommation entre 600 et 620 TWh;
  • Une moyenne de l’ordre de 540 TWh,
  • Une basse, fondée sur la sobriété, permettant de limiter l’envolée de la consommation, à 490-500 TWh.

 

Dans tous les cas de figure, il faudra des moyens de production supplémentaires, d’où la nécessité impérieuse de construire de nouveaux EPR2. De son côté, Enedis fixe un scénario unique à 645 TWh de besoins à 2050, lui aussi à la hausse et impliquant également des moyens de production plus nombreux. Ainsi, le plan d’investissement d’Enedis exige-t-il des investissements de l’ordre de 96 milliards € d’ici à 2040 sur la base de 42 GW de photovoltaïque et de 28 GW d’éolien terrestre, et plusieurs millions de points de recharge pour l’usage de près de 13 millions de véhicules électriques et hybrides en 2032 ? À l’instar de ceux de RTE, le scénario d’Enedis lui aussi démontre l’urgence de la situation, à savoir le besoin de construire de nouveaux moyens de production rapidement, en plus de la prolongation du parc nucléaire existant.

 

Une volonté tardive de construire de nouvelles centrales

 

Il nous faudra « tenir » pendant plus de 10 ans avec les moyens de production existants pour arriver à assurer les besoins énergétiques du pays. En effet, le décalage entre les besoins, comme évoqué précédemment, et la réalité de la production se creuse dangereusement. Pour avoir une idée du degré critique de la situation, rappelons que nucléaire, hydraulique, ENR, gaz, charbon et fioul ont produit au total 431,7 TWh d’électricité en 2022.
 

Aussi, les 6 nouveaux EPR2, dont la première paire ne devrait voir le jour qu’à compter de 2035-2037 au mieux, et ce malgré l’adoption de la loi d’accélération du nucléaire, arrivent-ils bien tard ?


Cette situation, maintes fois dénoncée par FO , est le fruit de l’inconséquence politique depuis plus de 30 ans. Il n’y a jamais eu ni consensus, ni constats partagés, ni réel bilan. Encore une fois, nous subissons l’héritage de politiques d’austérité au sein de l’entreprise et du désamour de nos gouvernants pour la filière nucléaire souvent lié à des enjeux politiciens dans le cadre notamment des élections présidentielles. La mesure tristement emblématique de ces politiques est la fermeture de la centrale de Fessenheim, pourtant jugée sûre par l’ASN à l’époque. La conséquence de cette déshérence politique est à présent ostensible, à tel point que les parlementaires se sont saisis du problème au travers de la commission d’enquête sur la souveraineté énergétique du pays. Cette dernière a révélé la pénurie organisée de l’énergie dans notre pays.

 

La conséquence étant l’augmentation hallucinante de son prix de vente sur le marché. Les consommateurs en font le triste constat avec des factures d’énergie qui ont explosé et ne baisseront pas de sitôt. Le tableau ne serait pas complet sans évoquer la situation des salariés du secteur. Ces derniers devront déployer toute leur force de travail, afin de garantir la production face aux besoins énergétiques croissants. Dans un tel contexte de pression, il est à redouter leur exposition à des contraintes excessives ou à de possibles arbitrages incohérents.

 

Le manque d’effectifs et le dévouement sans faille des salariés actuels risquent de déclencher une «épidémie» grandissante de risques psycho-sociaux (burn-out, dépression…), déjà présents au sein de notre entreprise.

 

Face à ce contexte, est-il raisonnable de demander dans l’urgence, voire du jour au lendemain, une hausse de la production de 30 %?Est-ce raisonnable de demander de produire 100 TWh de plus, tout en ignorant les défis technologiques et industriels du nucléaire tels que la crise de la corrosion sous contrainte (CSC), le grand carénage et le lourd programme de maintenance?


Pour parvenir à satisfaire la demande de la ministre de la Transition Energétique (produire 100 TWh de plus afin d’atteindre 380 TWh à horizon 2030), il faudra réduire les arrêts de tranche de 4 semaines et mettre à l’étude l’augmentation de puissance des réacteurs existants. Et cela ne se fait pas d’un coup de baguette magique, contrairement à ce que peut penser la ministre. Pour rappel, la production nucléaire 2022 est tombée à 279 TWh, soit un résultat de 58 % pour la disponibilité de notre parc. La prévision 2023 de l’entreprise oscille entre 300 et 330 TWh. Elle fait suite au programme de réparations approuvé par l’ASN.
 

Aussi, revenir au niveau de 2019 est-il difficilement envisageable dès 2024, et ce malgré l’immense exploit des salariés en passe de résoudre la crise de la CSC dans un temps encore plus réduit que prévu ?
 

Certes, ils savent relever les défis et sont excellents en période de crise, mais à quel prix…Ainsi conscient du mur qui s’avance, l’autre levier concocté et actionné par le gouvernement est la sobriété énergétique.

 

La sobriété : un leurre politique 

 

Compter sur le levier de la sobriété, comme évoqué dans l’un des scénarii de RTE, qu’elle soit imposée ou souhaitée, est un leurre politique. En effet, la dernière étude IPSOS/EDF révèle que la proportion de climatosceptiques a bondi de 10 points et que 37 % des Français n’adhèrent pas au discours du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Les écogestes s’en ressentent et peinent à se généraliser. Ce dernier bilan vient contrecarrer la thèse soutenue cet hiver sur la responsabilité citoyenne au rendez-vous de l’appel de l’exécutif à moins consommer… Si les Français ont moins consommé, c’est bien en raison de la flambée des factures et d’un hiver plus doux, et non d’un appel à la conscience civique…

 

En effet, contrairement à ce que peut prétendre le gouvernement, la baisse de consommation est moins la résultante de l’adhésion citoyenne à la sobriété que du contexte économique et géopolitique. Pour rappel, la facture gazière de 2022 a été multipliée par 10 par rapport à celle de 2020. Et l’hiver prochain risque de ne pas être meilleur avec un gaz naturel liquéfié (GNL) américain toujours plus cher en raison de la rareté du gaz, notamment russe sur le marché mondial. À cela s’ajoute une demande japonaise élevée, une économie chinoise en redémarrage post-covid et la fermeture des 3 derniers réacteurs nucléaires allemands sur la plaque européenne.

 

D’ailleurs, le ministre allemand de la Transition Energétique a déclaré qu’après le conflit en Ukraine, les prix de l’électricité (article AFP «fil-green» du 05.05.2023) ne reviendront pas au prix d’avant-guerre. Ils atteindront même un prix qui sera doublé, voire triplé par rapport à 2021! Et comme le prix de gros de l’électricité est déterminé par les coûts de la dernière centrale appelée pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande, il s’aligne donc sur le cours du gaz…

 

Mais, là encore, il n’est pas certain que la «réforme» du marché de l’énergie révolutionne cet aspect pourtant essentiel. Pour mémoire, ce marché indexé sur le gaz est totalement décalé avec le mix énergétique français, dominé par le nucléaire et l’hydraulique, contrairement à la majorité des autres pays européens, très dépendants du gaz et du charbon.

 

Rappelons qu’une large partie de l’électricité dans l’UE des 27, est produite avec des énergies fossiles, à hauteur de 20 % en gaz et de 13  % en charbon. Ainsi, l’augmentation des prix du gaz, du charbon et du CO2 , se répercute sur le coût de production de l’électricité et pénalise la France. Ce mécanisme défavorable contribue à l’augmentation des coûts de l’énergie sans considération des réalités physiques et historiques des mix énergétiques des différents États membres. Il ne permet pas d’investir davantage dans la production décarbonée. Et génère des hausses spectaculaires du coût de l’énergie que le consommateur peine à payer, ce qui ne lui permet plus de pouvoir se chauffer suffisamment…

 

Selon le baromètre 2021 du médiateur national de l’énergie, 12 millions de Français ne peuvent plus se chauffer comme ils le souhaitent. Finalement, la sobriété imposée n’est pas une solution efficace et efficiente; baisser l’empreinte carbone des moyens de production l’est beaucoup plus. Seulement, comme on peut le constater, les intérêts divergents des pays de l’UE ne nous permettent pas de sortir de ce scénario obsolète. Alors l’autre ressort du politique est d’en demander plus à EDF et d’augmenter la puissance des réacteurs existants… 

 

Quelle sera la prochaine feuille de route ?

 

Même si la trajectoire industrielle du nouveau nucléaire semble tracée par les annonces d’Emmanuel Macron à Belfort en février2022, de grandes questions structurelles s’imposent à l’entreprise. Elles doivent donc se retrouver dans la feuille de route de Luc Remont :
 

  • Quels seront les moyens et modes de financement des EPR2?
  • Quels sont les investissements nécessaires face au changement climatique, au vieillissement du parc et aux raccordements au réseau des ENR ?
  • Quelle chaîne de valeur possible face à la réglementation européenne et à la raison d’être de l’entreprise désormais 100 % «étatisée»?
  • Quelles seront les mesures régulatoires imposées à EDF?
  • Quelles sont les réelles capacités d’EDF à réaliser ses ambitions?

 

Sur ce dernier point, le capital humain pourtant essentiel est trop souvent négligé depuis le passage en société anonyme et la mise en bourse, qui ont contribué à la mise en place d’une culture de gestionnaire de coûts au détriment d’une culture industrielle. Pour enrayer ce phénomène, il est nécessaire de donner du sens et des garanties sociales élevées à tous les nouveaux embauchés de la filière. Il est également indispensable de résoudre les problématiques présentes avec le personnel actuel, en matière de plan de formation, de rémunération, de montée en qualité, de transmission des compétences et des savoir-faire.

 

100.000 salariés à recruter jusqu'en 2033 pour toute la filière nucléaire française 

 

Le rapport du GIFEN (Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire) du 21 avril dernier remis aux ministres de la Transition Energétique et de l’Industrie est sans appel ; la filière a besoin de recruter massivement et dans tous les secteurs près de 100.000 salariés jusqu’en 2033. Ce chiffre comprend électriciens, ingénieurs, régleurs instrumentistes, soudeurs, chaudronniers, RH, managers, commerciaux, etc., qui sont appelés à renforcer en grande partie les effectifs d’EDF.

 

Ce vaste plan de recrutement devra relever 3 défis majeurs, à savoir la formation, l’attractivité d’une filière, dont on savonne la planche depuis plus de 20 ans, et les rémunérations.


Alors qu’en interne les salariés bataillent face à l’inflation, il faudra donner de sérieux gages pour attirer de nouveaux salariés… Près de 50 % des ingénieurs nucléaires de 2030 ne sont pas encore dans la filière. Nous subissons déjà un turn-over important sur ce type de métier.


Ainsi, le «logiciel» de réduction des coûts doit-il être mis sur pause pour longtemps : il faut réinvestir dans les compétences humaines au sein de la filière. Espérons que le rapport du GIFEN ainsi que celui de l’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique fassent leur effet et se traduisent par la réinternalisation d’activités essentielles à notre rôle d’architecte-ensemblier.

 

Il est plus que jamais nécessaire de raisonner en filière et non en activités démantelées, afin que l’entreprise assure sereinement tous les défis essentiels pour l’avenir énergétique du pays et de ses citoyens

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