Comment les MDPH traitent les demandes des usagers ? Les hypothèses de transformation du modèle proposées par l'IGAS
La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a créé les MDPH en leur confiant des objectifs ambitieux en matière d’accueil et d’information des usagers, d’évaluation de leurs besoins et d’ouverture de droits.
En vue des 20 ans de la loi de 2005, L’IGAS a souhaité évaluer la manière dont les MDPH traitent les demandes qui leur sont adressées. Son rapport, publié il y a quelques mois sous le titre « Accueillir, évaluer, décider : Comment les maisons départementales des personnes handicapées traitent les demandes des usagers ? » est accessible en suivant ce lien.
La mission IGAS a fondé ses analyses sur des déplacements en MDPH et l’exploitation de données collectées auprès de la CNSA. Le rapport tient compte des évolutions intervenues depuis 2005 : création de la branche autonomie, montée en charge de l’école inclusive, renforcement du rôle de France Travail et transformation à l’œuvre de l’offre médico-sociale.
Mettant l’accent sur les progrès accomplis, mais également les difficultés à tenir les promesses de la loi fondatrice face à l’augmentation continue de la charge de travail des MDPH, le rapport formule une trentaine de recommandations, classées en 6 chapitres : Indicateurs / Évaluation, formulaire de demande / Organisation et fonctionnement des instances / Relation aux usagers / Outillage, système d’information et partenariats / Pilotage national .
Sur cette base, le rapport invite les décideurs à se pencher sur une transformation plus poussée du modèle des MDPH, pour mieux répondre aux attentes des usagers.
Vous trouverez ci-après les éléments que nous relevons plus particulièrement dans chacun des 6 chapitres évoqués plus haut et en annexe les préconisations du rapport, reprises sous forme de tableaux auxquels nous avons ajouté les colonnes « Exposé des motifs » et « Source » pour s’y retrouver. Un glossaire figure également en fin de circulaire.
Indicateurs
En 2022, les MDPH ont traité près de 5 millions d’avis et de décisions, ce qui représente une augmentation de 12% depuis 2015. Les demandes concernant les RQTH et les CMI représentent près de la moitié des droits ouverts.
Les MDPH emploient 5 700 Emplois équivalent Temps Plein (ETP) en 2022 (12 % de plus qu’en 2015). Les MDPH s’appuient sur des professionnels internes ou mis à disposition. Elles rencontrent des difficultés sur le plan des ressources humaines (turn-over, absentéisme, difficultés de recrutement en particulier).
Les délais de traitement des demandes sont stables par rapport à 2015 même si la moyenne de 4,4 mois (5,7 mois pour la PCH) est supérieure à la norme légale de 4 mois, avec des disparités constatées « qui restent à expliquer ».
Les indicateurs relatifs à la qualité de service et les taux de satisfaction des usagers sont questionnés par l’IGAS.
Évaluation, formulaire de demande (dossier MDPH)
Le formulaire de demande, introduit en 2019, est souvent mal compris et insuffisamment complété par les demandeurs (de même pour le certificat médical). Le rapport préconise l’actualisation et l’allègement du formulaire de demande et de mieux associer les usagers pour les situations qui le nécessitent.
Les évaluateurs doivent combiner différents référentiels complexes pour déterminer l’octroi de droits. Le rapport interroge l’impact de la coexistence de ces différents référentiels sur les pratiques professionnelles.
De plus, selon l’IGAS, les équipes d’évaluation peinent à adopter une approche pluridisciplinaire et globale. L’expertise médicale tend encore à jouer un rôle prééminent. L’IGAS préconise la mobilisation des médecins plutôt en expertise de second niveau.
Avec une augmentation des demandes, les CDAPH valident les listes et ne reçoivent que très peu les usagers. Cela a notamment un impact sur des dossiers de RSDAE (qui conditionne l’accès à l’AAH 2) dont la complexité des dossiers est difficile à apprécier.
Aussi, l’IGAS recommande d’associer France Travail et Cap emploi à l’appréciation (très complexe) de la RSDAE avec les référents d’insertion internes de la MDPH. S’agissant de la RQTH, le rapport préconise d’ouvrir son attribution aux médecins du travail pour les personnes qu’ils accompagnent.
Organisation et fonctionnement des instances
Faisant le constat des limites du rôle de la CDAPH, le rapport préconise de compléter ses missions. Il préconise par ailleurs une clarification de la présence de représentants de l’État, et une meilleure collaboration entre MDPH et Service public de l’emploi.
Relations aux usagers
Les MDPH assurent un accueil sans rendez-vous, à la différence des autres branches de Sécurité sociale. Mais si elles assurent un accueil physique, les MDPH ne répondent pas suffisamment aux attentes des usagers notamment sur les délais.
De plus, les notifications de décisions ne répondent pas au contenu minimal que l’on peut attendre de courriers administratifs. L’IGAS recommande de rendre les notifications de droits claires et intelligibles.
Le rapport préconise aussi de mieux accompagner les demandeurs et de mieux anticiper les renouvellements des droits.
Outillage, système d’information et partenariats
Les outils utilisés par les MDPH, très souvent construits au niveau local, ne sont pas suffisamment performants.
Le rapport préconise la mise en place d’outils nationaux et la construction d’une stratégie nationale de formation pour les évaluateurs.
L’hypothèse d’un SI national est abordée avec prudence dans le rapport. Au-delà du SI harmonisé, actuellement en place, et du SI évaluation en cours de déploiement, le rapport propose seulement d’évaluer l’opportunité d’un SI national.
Il recommande par ailleurs l’amélioration des échanges de données avec les partenaires (Caisse d’Allocations Familiales, France Travail, médecins…).
Pilotage national
Les financements sont issus des budgets alloués par l’État (82 M€ en 2024) et par la CNSA, via un concours, à la hauteur de 98 M€ en 2024. Les modes de calcul des financements sont contestés par les MDPH.
La création, par la loi n°2020-992 du 7 août 2020, de la branche autonomie conforte le rôle de la CNSA qui en assure la gouvernance. En pratique, la construction de la cinquième branche n’a pas remis en cause le mode de pilotage par la CNSA qui s’appuie essentiellement sur des recommandations ou des guides. Ainsi, le cadre de coopération entre : la CNSA, les ARS et les CD adopté en novembre 2022, positionne la CNSA dans un rôle de « pilotage national de l’animation ». Le rôle de la caisse consiste à harmoniser les pratiques professionnelles et d’en diffuser les meilleures, de créer une culture commune et de déployer des projets structurants : SPDA, SI.
La feuille de route 2022 était porteuse d’avancées vers un pilotage plus structuré. Elle a été déclinée dans des conventions départementales prévues par la loi… qui n’ont fait l’objet d’aucun suivi. Ces conventions 2020-2024 ne servent que peu de cadre à l’action des MDPH. Chaque convention est assortie d’un foisonnement d’indicateurs que la CNSA n’est pas en mesure de suivre pour la centaine de CD.
Les velléités de renforcement du pilotage national se heurtent donc, outre à la tutelle des MDPH par les CD :
- aux ressources limitées dont dispose la CNSA ;
- à l’absence de relais territoriaux, alimentant l’impression d’éloignement entre la caisse nationale et les MDPH qui regrettent parfois l’absence de relais régional.
Le rapport recommande de prioriser et de mettre en cohérence les objectifs et les indicateurs figurant dans l’ensemble des documents stratégiques liés aux MDPH.
Hypothèses de transformation du modèle
Selon le rapport, le modèle du guichet unique, malgré son intérêt pour les usagers, paraîtatteindre ses limites (délais, place insuffisante de l’usager, organisation et outils pas assez performants, complexité du fonctionnement du GIP…). Il esquisse deux axes alternatifs de transformation.
Le premier axe de transformation consisterait à aller au bout de la logique de branche, « dans une recherche de performance accrue des organisations ».
Deux grands domaines auraient vocation à être sécurisés :
- L’attribution du droit, recouvrant les processus d’instruction, d’évaluation et de décision, qui feraient l’objet de modèles homogènes définis et imposés ;
- La relation de service, recouvrant les processus d’accueil, d’aide aux démarches, d’appui à la mise en œuvre et d’accompagnement, qui ferait également l’objet d’une structuration type.
Plusieurs niveaux d’offres pourraient être définis à partir d’un socle commun, auquel s’ajouteraient des services complémentaires sur le territoire (en fonction de la taille du département et de l’historique).
Cet axe s’articulerait sur une échelle d’intervention entre d’une part, les activités qui ne peuvent être assurées qu’en proximité, d’autre part, les missions à faible valeur ajoutée (standard téléphonique, numérisation, mise sous pli…) ou à forte expertise (appui juridique, statistique et communication), qui pourraient faire l’objet d’une mutualisation inter MDPH.
Cet axe de transformation est porteur de plusieurs conséquences : pilotage du réseau par la CNSA, structuration du cadre de travail entre le national et le local, déploiement d’un SI national, transformation de chaque MDPH en un établissement ad hoc, autonome du Conseil Départemental (pour se rapprocher du modèle des autres caisses de sécurité sociale), ou rééquilibrage des pouvoirs au sein du GIP pour un véritable co-pilotage entre Conseil Départemental et Agence Régionale de Santé (représentant la CNSA).
Selon le rapport, une telle structuration en branche aurait l’avantage de préserver la logique du guichet unique tout en renforçant la capacité des MDPH à améliorer leurs délais et à assurer un traitement équitable des demandes sur l’ensemble du territoire, répondant ainsi à ces deux sources d’insatisfaction récurrentes.
Pour notre organisation syndicale , cet axe de transformation paraît intéressant et mériterait d’être approfondi. Le deuxième axe consisterait à « assumer une offre de services différenciée et une responsabilisation accrue des acteurs d’aval ».
Il s’agirait de :
- prioriser l’attribution des droits les plus complexes (AEEH, AAH et PCH), et d’ouvrir à d’autres acteurs la possibilité d’attribuer des droits plus simples (RQTH, CMI) ;
- repositionner les MDPH, dans le système d’orientation, sur un aiguillage global dans le parcours de vie, à travers une notification générique du besoin, en laissant plus de souplesse aux opérateurs d’aval (Éducation nationale, ESMS…) en matière de mise en œuvre ;
- associer effectivement les usagers à l’évaluation de leurs besoins (au moins pour toute première demande d’AEEH, de PCH ou d’AAH) et pour élaborer des plans de compensation individualisés ;
- étendre la logique de la réponse accompagnée pour tous à des moments charnière et à des publics vulnérables (entrée dans le handicap, bascule entre l’enfance et l’âge adulte, approche de l’âge légal de la retraite, accompagnement des personnes sans solution).
Les MDPH, dans une fonction d’ensemblier, assureraient un rôle d’observatoire et de centre de ressources à l’échelle du territoire, partageant l'information disponible sur les dispositifs et sur les bénéficiaires. Elles impulseraient une stratégie d’accueil de proximité. Elles assureraient également une fonction de « corde de rappel » pour les usagers afin d’éviter les ruptures ou les situations sans solution.
Selon le rapport, une telle orientation présente l’avantage de positionner les MDPH sur « le cœur de leur plus-value » tout en responsabilisant les acteurs de premier niveau conformément au principe de l’inclusion des personnes handicapées.
Cette seconde orientation est compatible avec le maintien du GIP comme avec d’autres montages administratifs. Elle nécessitera de revitaliser les partenariats et de réaffirmer le principe d’une gouvernance partagée, garante du bon positionnement de chaque acteur, et assurant une place centrale aux usagers.
Nous exprimons notre méfiance vis-à-vis de cet axe, porteur d’inégalités encore plus importantes d’un département à l’autre.
À noter (Page 63 du rapport et page 228 des annexes) : L’hypothèse d’une suppression du GIP au profit d’une intégration dans les services du Conseil Départemental ne fait pas consensus : si elle est défendue par certains interlocuteurs de la mission IGAS (certains directeurs de MDPH ou représentants des départements) pour des raisons de clarification et de simplification de la gouvernance, d’autres (notamment les associations) craignent l’affaiblissement de la mobilisation des partenaires qui pourrait en résulter. Quelle que soit l’option retenue sur le devenir du GIP, une instance ad hoc devra nécessairement être maintenue pour faire vivre les partenariats.
Craignant une dilution de la question du handicap dans la politique départementale, notre confédération n’est pas favorable à l’intégration des MDPH dans les services du département.
Nos Revendications :
• Octroyer les moyens nécessaires aux MDPH/CDAPH pour rendre des avis dans des délais raisonnables.
• Harmoniser les décisions prises par les CDAPH sur le territoire.
• Conforter les CDAPH y compris dans leur mission d'orientation.
• S'agissant des nouveaux processus d'orientation vers le milieu protégé, ne pas alourdir encore le parcours de la personne en situation de handicap vers l'emploi protégé.
• Favoriser l’examen des dossiers individuels qui le nécessitent, et l’audition des demandeurs par la CDAPH.
• Organiser un véritable pilotage national des MDPH par la CNSA.
Glossaire
• AAH : Allocation Adulte Handicapé
• AEEH : Allocation d’Éducation de l’Enfant Handicapé
• ARS : Agence Régionale de Santé
• CARSAT : Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé Au Travail
• CD : Conseil Départemental
• CDAPH : Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées
• CMI : Carte Mobilité Inclusion
• CNSA : Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie
• ESMS : Établissements ou Services sociaux ou Médico-Sociaux
• GIP : Groupement d’Intérêt Public
• IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales
• MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées
• PCH : Prestation de Compensation du Handicap
• RQTH : Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé
• RSDAE : Restriction Substantielle et Durable d’Accès à l’Emploi
• SI : Système d’Information
• SPDA : Service Public Départemental de l’Autonomie