Organisations
Clients et salariés : personne ne gagne au démarchage
Souvent critiqués (voire sanctionnés) pour leurs pratiques de démarchage, les énergéticiens d'Engie et d'Eni ne semblent pas enclins à mettre un terme à leur mode opératoire. Seul un encadrement législatif strict est à même de protéger les consommateurs et les démarcheurs, poussés au crime par leur système de rémunération à la commission.
Cette histoire en rappelle d’autres : « Deux démarcheurs sont passés à la maison », témoignait une auditrice prénommée Betty sur l’antenne de la radio RTL, le 4 octobre 2019. « Ils m’ont proposé une offre sans augmentation d’électricité. (…) Quand je me suis aperçue que c’était sûrement une arnaque, j’ai appelé Engie et Engie m’a dit que j’avais signé un contrat. J’ai dit : « Non, je n’ai rien signé ». Là, ils m’ont envoyé le duplicata de mon contrat qui était signé et ce n’était pas ma signature ». Contactée par la radio, la responsable de la communication de l’énergéticien reconnaît que ce sont là « des affaires très regrettables (…), inacceptables (…), que nous condamnons ».
Engie et Eni condamnés
Si l’entreprise « condamne » officiellement les dérives de ses propres démarcheurs à domicile, en attendant, elle collectionne bien les condamnations judiciaires. Le 12 mars 2019, Engie a ainsi écopé d’une sanction record d’un million d’euros de dommages et intérêts au profit de son concurrent EDF. La Cour d’appel de Versailles a estimé que l’énergéticien ne mettait pas les moyens d’un suivi et d’une surveillance efficaces de ses démarcheurs en œuvre, lesquels démarcheurs qui n’hésitaient pas à prétendre qu’Engie était le nouveau nom d’EDF ou qu’il s’agissait d’une seule et unique entreprise, auprès de leurs victimes.
En octobre de la même année, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a condamné Engie à près de 900 000 euros d’amende. En cause, cette fois, « des manquements de la part d’Engie quant aux obligations réglementaires visant à protéger les consommateurs dans le cadre d’un démarchage téléphonique ». De plus, « des contrats de fourniture d’énergie ont été conclus sans que la confirmation de l’offre faite par démarchage téléphonique ait été transmise au consommateur sur support durable », estime la DGCCRF, qui a également jugé qu’Engie avait refusé des droits de rétractation « à plusieurs reprises » et omis d’informer ses clients de l’existence d’un médiateur de l’énergie, l’instance en charge du règlement des litiges.
L’Italien Eni a lui aussi été épinglé pour des pratiques similaires. Au début de l’année, l’énergéticien a ainsi écopé d’une amende, là encore infligée par la DGCCRF, de 315 000 euros pour n’avoir pas respecté le droit de rétractation des clients démarchés. Cette pratique abusive dure depuis de nombreuses années.
Particuliers et démarcheurs, victimes de mauvaises pratiques
Pour sévères qu’elles soient, ces condamnations ont-elles un effet autre que financier sur les mauvaises pratiques encouragées par Engie et Eni ? On est en droit d’en douter, le montant des amendes infligées aux énergéticiens pesant peu au regard de leur chiffre d’affaires et les dérives liées au démarchage ne semblant en rien reculer en nombre ou en gravité (même en période de confinement). Bien entendu, les particuliers sont les premières victimes de ces abus, surtout s’ils appartiennent à des franges de la population considérées comme vulnérables : handicapés, personnes âgées (comme cet octogénaire avouant s’être « fait berner comme un bleu » par un commercial d’Engie) et ménages défavorisés...
Les salariés ou indépendants démarchant pour le compte des énergéticiens (ou leurs sous-traitants) ne sont pas mieux lotis. La plupart du temps rémunérés à la commission, leurs revenus sont conditionnés au nombre de contrats qu’ils arrachent à leurs victimes. La porte ouverte à toutes les dérives, comme le concède ce commercial témoignant anonymement auprès de l’association UFC-Que Choisir : « on invente la date et le lieu de naissance » des clients, explique celui qui, après quelques jours de « doutes » liés à ces pratiques aussi illégales que répandues, « gagne tellement bien sa vie (qu’il) oublie tout ».
Vers une interdiction de la rémunération à la commission...
Que faire pour enrayer ces dérives ? Pour l’ancien médiateur de l’énergie, Jean Gaubert, « le véritable problème réside dans le fait que les démarcheurs, dans leur quasi-totalité, ne sont payés qu’à la commission. Je préconise donc l’interdiction de la rémunération totale à la commission ». Une analyse partagée en tous points par le député du Nord, Dimitri Houbron, qui déplore « le type de pression qui pèse sur les épaules de ces gens » et par son collègue du Palais Bourbon, Christophe Naegelen, qui s’insurge contre « un dispositif légal pas assez dissuasif ».
... et du démarchage ?
D’autres, en revanche, prônent une interdiction pure et simple du démarchage. C’est notamment le cas du député Les Républicains, Marc Le Fur, pour qui « la mesure souhaitable demeure l’interdiction totale du démarchage » et du nouveau médiateur de l’énergie, Olivier Challan Belval, qui affirme avoir « été frappé par le nombre de consommateurs qui me signalent des abus de toutes sortes concernant le démarchage et plus particulièrement celui pratiqué à domicile » et qui souhaite ainsi « interdire le démarchage à domicile pour la fourniture de gaz et d’électricité ». Au regard des dérives auxquelles cette pratique est en proie, malgré les « avancées » législatives, l’interdiction semble s’imposer comme l’unique solution à même de protéger les consommateurs autant que les salariés impliqués.