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26 / 04 / 2019 | 494 vues
Jérémy Girard / Membre
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« 100 % santé » et réseaux de soins : les verriers risquent de se tourner vers le bas coût


La loi « 100 % santé », votée à la fin de l’année 2018, se met progressivement en place. Cette réforme du système de prise en charge des soins prévoit que, d’ici 2021, les Français seront entièrement remboursés de certains frais dentaires, optiques et d’audiologie. Si la loi doit permettre de généraliser l’accès à ce type de soins, une mauvaise mise en place pourrait en fait pénaliser les patients.

Alors que des milliers de Français renoncent à acheter des lunettes, à bénéficier de soins dentaires ou encore à s’équiper en appareils auditifs pour des raisons financières, la loi « 100 % santé » doit permettre à tous d’avoir accès à ce type de soins. Cette loi prévoit en effet de mettre en place une prise en charge des prestations dentaires, d’optique et d’audiologie à 100 %, ce qui supprimera le reste à charge actuellement payé par les patients. Les difficultés de cette réforme résident dans le fait que, tout en imposant aux acteurs de ces filières de diminuer leurs prix pour que les sommes proposées par la Sécurité sociale et les mutuelles prennent en charge le total des dépenses, il est nécessaire de maintenir la qualité des lunettes, des soins dentaires et des prothèses auditives.
 

Une pression accrue sur les verriers
 

Afin de garantir le reste à charge zéro, des discussions sont actuellement en cours dans le domaine de l’optique pour déterminer où les économies pourront être réalisées et quels acteurs de la filière devront revoir leurs prix à la baisse, puisque ni la Sécurité sociale ni les mutuelles ne vont augmenter leurs taux de prise en charge.
 

En 2018, alors que la loi « 100 % santé » était en discussion au Parlement, le réseau de soins Itelis a préféré reporter son appel d’offres portant sur la désignation des verriers partenaires. Il s’agissait pour le réseau de déterminer comment absorber le coût de la réforme, en fonction du texte adopté.
 

Rassemblant des mutuelles, des opticiens et des verriers, les réseaux de soins permettent aux mutuelles partenaires de proposer des services de qualité à leurs bénéficiaires, d’acheter des verres à des tarifs préférentiels aux opticiens et aux verriers de vendre leur stock à grande échelle. Si, a priori, il s’agit d’un système où tout le monde trouve son compte, les réseaux de soins ont toutefois d’abord été mis en place pour sauvegarder les intérêts des mutuelles, officiellement pour lutter contre la fraude.
 

Mais selon nos sources, l’appel d’offres récemment lancé impose notamment aux verriers de réduire le prix de la deuxième paire de verres à 1 €. S’ils ne répondent pas à cette injonction, les verriers se verront exclus du réseau Itelis et perdront ainsi l’accès à plus de 2 500 opticiens partenaires et 8 millions d’assurés.


Si, à l’inverse, les verriers acceptent de se plier à une telle condition, ils devront nécessairement répercuter ce rabais sur les coûts de fabrication. En d’autres termes, ils risquent de se tourner vers le bas coût et ainsi proposer des verres de moins bonne qualité, un comble pour le pays qui a vu naître le leader mondial des verres, Essilor. Si l’on regarde plus loin, ces verriers seront-ils prêts à proposer des verres solaires à 1 € pour s’assurer un statut de partenaire ? Dans un tel cas, alors que les verres solaires répondent aux normes les plus strictes pour protéger nos yeux, qu’en sera-t-il des solaires à bas coût ?

 

Des consommateurs lésés
 

S’il est courant pour les réseaux de soins de négocier des tarifs préférentiels avec les fournisseurs, imposer de tels tarifs sur les verres menace l’indépendance des opticiens et, à terme, l’étendue de l’offre proposée aux consommateurs.
 

Avec la deuxième paire de verres à 1 €, les réseaux de soins poussent les consommateurs à se tourner vers les références qu’elles proposent et imposent ainsi aux opticiens leurs produits bas de gamme. Cela signifie que les consommateurs auront de moins en moins accès aux offres milieu et haut de gamme tandis que la diversité des offres sera aussi réduite. De plus, même si la réforme permettra de prendre l’achat de lunettes en charge, le consommateur ne pourra pas en changer chaque année. Or, avec des verres bas de gamme, le risque de rayures ou de casse augmente. L’émergence du bas coût signifie aussi une baisse des investissements dans la recherche et le développement alors que la France se distingue justement par la qualité des verres qu’elle met au point (traitement des traces, épaisseur).
 

En outre, alors que les opticiens sont souvent les derniers acteurs de la santé présents dans les déserts médicaux, ce nivellement par le bas de la filière optique pourrait contraindre de nombreux opticiens à la fermeture. Si l’enjeu de la réforme est de garantir l’accès aux lunettes à tous, une mauvaise gestion de sa mise en place, confrontée à la toute-puissance des réseaux de soins, pourrait toutefois sérieusement menacer la qualité et la diversité des soins optiques en France.

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