Les défis partagés de la base de données unique
Le défi de la construction
La construction de la base va constituer en soi un exercice d’anticipation alors que celle-ci devrait se déployer dans les entreprises de plus de 300 salariés d’ici fin 2016. « Un décret d’application définira la structure de la base que l’on retrouve d’ores et déjà dans les annexes du projet de loi mais sa constitution devra être négociée pour adapter sa structure et la façon de présenter les données à la situation de l’entreprise. Cette base sous-entend un exercice de rationalisation des informations en partant des besoins des élus », souligne Jean-Paul Raillard, directeur de Syndex.
Il ne serait effectivement pas très pertinent de chercher à placer un maximum de données sociales et économiques dans la base au risque de noyer tout le monde. « Il ne faut pas demander des chiffres pour des chiffres ou empiler les indicateurs. Les données doivent servir à quelque chose. C’est pour cela que le cadre de cette base doit être flexible. Il faut laisser des portes ouvertes », rebondit Virginie Labrousse, secrétaire adjointe du CE du T-systems France (la filiale informatique du groupe Deutsche Telecom). Alors que la maison mère laisse très peu de marge de manœuvre à sa filiale, en lui imposant notamment tous les outils de reporting, la mise en place de la base va être vécue comme une contrainte par la direction centrale. Le périmètre de celle-ci restera en outre français car pas question pour T-systems de décliner l’approche dans toutes ses filiales en leur permettant de se comparer entre elles. La dimension internationale est une limite de la base pour des groupes dont les centres de décision se trouvent à l’étranger. Voilà qui ne sera pas le cas du groupe Thales. « La base représente l’occasion d’harmoniser le mode de restitution des données entre les différentes entités du groupe. On attend un tableau de bord prévisionnel plus facilement lisible car notre problème est d’avoir plutôt trop que pas assez d’informations. On a des photos, on attend un film, quelque chose de plus dynamique », explique Marc-Antoine Marcantoni, élu CFE-CGC au CCE de Thales communications & security.
Le défi de l’anticipation
« Il nous semble par conséquent intéressant de débattre à partir de scénarios alternatifs » - Jean-Paul Raillard À l’instar de beaucoup de directions, Thales n’a pas attendu l’ANI du 11 janvier pour présenter des données prévisionnelles aux syndicats. « Le budget pluriannuel sur dix ans nous est présenté mais nous ne pouvons pas discuter de la stratégie dans le cadre, par exemple, d’une obligation de résultat sur l’emploi. Il ne faut pas se borner à l’analyse des comptes passés et au respect des procédures », considère Marc-Antoine Marcantoni qui compte profiter de la base pour accéder plus uniquement au plan de charge industriel mais également à celui relatif aux études. L’objectif de la base vise bien à servir de support pour dépasser le cadre des rendez-vous périodiques du CE qui confinent parfois à la routine. Un nouvel agenda social est ainsi envisagé, avec une réunion de l’instance au deuxième trimestre où il serait question de la situation financière, puis d’une nouvelle rencontre en septembre sur les sujets sociaux et enfin d’une dernière séance en fin d’année pour mettre sur la table le sujet de l’anticipation. « La base est là pour déboucher sur les questions de GPEC alors que les lignes directrices des groupes sont un peu brouillées. Il nous semble par conséquent intéressant de débattre à partir de scénarios alternatifs », propose Jean-Paul Raillard. Cette volonté de graver dans le marbre une projection sur trois ans des données constitue en effet l’un des paradoxes de cette base. Pour Dominique Olivier, DRH de Bosch France, « en 2000, nous savions faire une projection à trois ans. Aujourd’hui, c’est fini. On fait un plan économique à un an maximum. Il y a encore six mois, nous ne pouvions pas savoir qu’il faudrait restructurer notre site de Rodez ».
Le défi de la confiance et de la loyauté
La base porte donc les ingrédients d’un contentieux potentiel en matière de délits d’entraves du fait justement de son ambition projective. « Le plus important ne réside pas dans les données mais dans la loyauté des acteurs de l’entreprise, dans la capacité des directions à dire les choses, quitte à admettre qu’elles se sont trompées. Là où il n’y aura pas de confiance, il y aura beaucoup de délits d’entrave », confirme Dominique Olivier. Les représentants de T-systems ne se font pas trop d’illusions sur les apports de la base de données. Il y a peu de chances que la direction de la société mère se montre plus transparente sur les reports de marges. « C’est se tromper de combat que de s’évertuer à jouer le délit d’entrave. Avoir d’avantage d’informations ne nous permettra pas de changer les choses pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de stratégie adaptée à notre filiale qui enchaînent les PSE sans se soucier de leur efficacité. On peut parler d’une maltraitance organisationnelle et organisée », déclare Virginie Labrousse.
Le défi de la formation
L’ANI du 11 janvier ne prévoit pas de moyens spécifiques pour que les délégués syndicats et les élus puissent se former à l’interprétation de la base de données unique. L’accord prévoit certes une mission nouvelle d’accompagnement des représentants des salariés par un cabinet d’expertise mais « nous ne devons pas nous substituer à eux », déclare Jean-Paul-Raillard qui voit dans cet ANI du 11 janvier l’occasion de repenser les moyens de l’expertise pour jouer encore davantage un rôle de facilitateur du dialogue social. « Imposer la constitution d’une telle base sans intégrer le besoin de formation est inquiétant. Les élus doivent être capables de s’approprier les données et ne pas se cacher derrière l’expertise », considère Virginie Labrousse tandis que Marc-Antoine Marcontoni estime qu’il est effectivement temps que les élus s’investissent davantage dans leur mission. Et Jean-Paul Raillard de conclure que « l’on passera à côté de quelque chose en faisant l’impasse sur les moyens de formation ».