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Le « vol » de documents à des fins probatoires
- Dans l’affaire en cause, un directeur général délégué d’une entreprise pharmaceutique (la société Centre spécialités pharmaceutiques) pressent qu’il va bientôt être licencié. En effet, les résultats financiers de l’entreprise se détériorent, et sa place de cadre supérieur est un vrai siège éjectable.
- Anticipant le conflit à venir, ce cadre transfère sur sa messagerie personnelle des informations, afin de pouvoir prouver que la cause réelle de son éviction est la baisse des résultats et qu’il n’est pour rien dans cette détérioration. Le 17 mars 2006, il reçoit effectivement une lettre de licenciement faisant référence à son activité quantitativement insuffisante.
- Parallèlement, l’entreprise porte plainte contre son ex-salarié pour vol et abus de confiance, du fait du transfert de documents vers l’adresse électronique personnelle du salarié.
L’employeur s’appuie pour ce faire sur une jurisprudence ancienne des juridictions pénales, interdisant l’appréhension de tout document de l’entreprise, peu important le mobile du salarié, l’absence de valeur du document dérobé (Cass. crim., 8 décembre 1998, RJS 6/99 n° 790 p.483) ou l’utilisation qui en est faite (Cass. crim., 16 mars 1999, n° 97-85.654). La même incrimination de vol (c'est-à-dire soustraction frauduleuse de la chose d’autrui, au titre de l’article 311-1 du code pénal) a été retenue en cas de photocopiage desdits documents de l’entreprise, même si la chose appréhendée a ensuite été remise à son propriétaire (Cass. crim., 8 janvier 1979, Bull. crim. n° 13).
Il est à noter que dans le même temps, les juridictions sociales ont estimé que le salarié était tout à fait en droit d’utiliser des documents de l’entreprise dans le cadre de l’instance prud’homale sans commettre la moindre faute. La contradiction était alors flagrante : le salarié pouvait produire des éléments provenant de l’entreprise dans le cadre du procès civil, mais il risquait une sanction pénale pour avoir produit ces documents. En outre, il y avait une disproportion manifeste dans la conduite du procès, l’employeur ayant accès à toutes les informations qu’il estimait utiles, et le salarié risquant l’emprisonnement s’il produisait ne serait-ce qu’une copie de ces documents.
Heureusement, par un arrêt fortement remarqué et salué, la chambre criminelle a harmonisé sa position avec celle de la chambre sociale. Des arrêts de chacune des chambres prévoient désormais que la production en justice de documents ou de copies appartenant à l’entreprise dont le salarié a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ne constitue ni une cause réelle et sérieuse de licenciement, ni un vol, tant que cette production est strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense du salarié (Cass. soc., 30 juin 2004, n° 02-41720, et Cass. crim., 11 mai 2004, n° 03-85521).
- L’arrêt du 16 juin 2011 ici commenté, destiné à une publicité maximale (PBRI), va encore plus loin, en autorisant le salarié à préparer son litige, alors qu’aucun conflit n’a encore éclaté lorsque les documents sont détournés.
Également, sur le principe, les juges acceptent le transfert de documents sur la messagerie personnelle du salarié (la retranscription sur clef USB ou CD-Rom serait tout aussi valable). Toutefois, ils continuent d’assortir de deux conditions fondamentales ce détournement de documents :
- D’une part il faut que la soustraction de documents s’avère strictement nécessaire pour exercer sa défense dans le cadre d’une procédure prud’homale. Il importe peu que la procédure n’ait pas commencé au jour du litige, le fait qu’elle débute « peu après » suffit pour exonérer le salarié de sa responsabilité pénale. Mais il est hors de question d’utiliser ces documents à des fins autres (ex : monter sa propre structure, donner ces informations aux concurrents…).
- D’autre part, le salarié doit avoir eu connaissance des documents à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.