Organisations
Le mouvement mutualiste, un acteur majeur en mouvement
Étienne Caniard, président de la Mutualité Française, a bien voulu répondre à nos questions à quelques semaines de sa dernière assemblée générale.
Votre mandat s’achèvera le 23 juin. Quelles sont les principales réalisations que vous voudriez que l’on en retienne ?
Il est toujours délicat de résumer six ans d’action dans un secteur aussi riche que le nôtre. Je serais toutefois tenté de retenir trois axes.
Le premier d’entre eux est l’adaptation de notre mouvement aux mutations en cours. Notre environnement a énormément changé ces dernières années : concurrence accrue entre les acteurs, inflation réglementaire, recomposition des groupes, évolutions des frontières au sein des acteurs non lucratifs, révolution numérique… Voilà quelques mutations auxquelles nous sommes confrontés. Pour y faire face, les mutuelles ont besoin d’une fédération experte sur le modèle économique, souple et qui puisse agir rapidement pour porter la voix du mouvement sur l’offre de soins et sur les enjeux assurantiels. J’ai entrepris d’importantes rénovations de notre mode de fonctionnement. Elles commencent aujourd’hui à porter leurs fruits. Il fallait aussi adapter le cadre juridique des mutuelles. Cela a été fait ponctuellement lorsqu’il y avait urgence, comme la mise en place des mécanismes de coassurance, qui a permis par exemple aux mutuelles de proposer une offre adaptée aux besoins des bénéficiaires de l’ACS et, bien sûr, avec la réforme du code de la mutualité qui doit nous doter d’un nouveau cadre à la fois identitaire et propice à notre développement.
Le deuxième axe est la réaffirmation de la place de la mutualité comme véritable acteur de la régulation. Pourquoi parler de régulation ? Simplement parce que c’est aujourd’hui un enjeu majeur, celui de l’organisation autant que celui de la solvabilisation. Sans régulation, nous assisterons à l’augmentation des renoncements aux soins. Sans capacité de contractualiser avec les acteurs, les mutuelles et donc leurs adhérents verront les coûts augmenter sans garantie sur la qualité des prestations... Nous sommes parvenus à faire reconnaître que les complémentaires sont indispensables à l’accès aux soins et qu’elles ne pouvaient répondre à leurs missions sans outils de régulation : la contractualisation avec les professionnels de santé est l’un d’eux. La loi Le Roux et la possibilité de mettre en place des réseaux de soins sont donc une avancée pour l’ensemble de nos mutuelles, même si elle ne concerne qu’un champ réduit. Les bénéfices pour leurs adhérents sont déjà visibles : baisse des restes à charge et accroissement de la qualité des soins en optique, dentaire et audioprothèse.
Enfin le troisième axe concerne notre action en tant que mouvement social et au service de l’intérêt général. La Mutualité Française a cette spécificité que d’autres fédérations n’ont pas. Elle est traditionnellement très impliquée dans les débats de société. Notre voix a porté au cours de ces six années. Je pense en particulier à notre demande relative à la mise en place du tiers-payant et notre mobilisation avec l’Assurance-maladie et les autres familles de complémentaires pour bâtir une solution commune simple et sûre. Autre exemple : la régulation des dépassements d’honoraires avec la mise en place du contrat d’accès aux soins (CAS) et de plafonds de remboursement dans le cadre des contrats responsables. Ces dispositifs fonctionnent. Prenons l’exemple du CAS : entre le premier semestre 2014 et le premier semestre 2015, le montant moyen des dépassements par médecin [i] a baissé de -5,5 % pour les adhérents au CAS alors qu’il a augmenté de +3,8 % pour les non adhérents [ii].
Certains soulignent vos désaccords avec le gouvernement sur la généralisation de la complémentaire de santé en entreprise ou encore la mise en place d’une labellisation des offres pour les plus de 65 ans…
Les pouvoirs publics ont reçu le message mais se sont trompés de méthode.
Rappelons le contexte. Ces deux réformes résultent de nos prises de position et de nos alertes. Lors de notre congrès de Nice en 2012, j'ai dit que la Sécurité sociale ne suffisait plus et qu’une généralisation de la complémentaire de santé était indispensable. J’ai alerté les pouvoirs publics lors de notre congrès de Nantes en 2015 sur les difficultés rencontrées par les chômeurs à bénéficier de soins de qualité. Les pouvoirs publics ont reçu le message mais se sont trompés de méthode. Un défaut de concertation et une tendance à l’hyper-réglementation expliquent sans doute cela. Pourquoi contestons-nous les deux dispositifs que vous évoquez ? Parce qu’ils « segmentent » la population. Or, pour être efficace et solidaire, une assurance doit s’étendre à la population la plus large possible. Que crée-t-on avec des offres visant des populations spécifiques ? De l’exclusion. Les opérateurs les moins solidaires vont se diriger vers les populations présentant le moins de risque : les jeunes cadres actifs en bonne santé de préférence. Ce n’est pas acceptable. C’est pourquoi nous demandons une remise à plat de l’ensemble du système afin de rendre l’accès à la complémentaire de santé plus simple, universel et juste.
Votre mandat aura été marqué par l’émergence de grands groupes. Certains y voient la fin du modèle mutualiste…
L’émergence de grands groupes nationaux change clairement la physionomie de notre mouvement mais ce dernier était nécessaire dans un contexte de concurrence accrue. Il permet aujourd’hui de maintenir le premier rang de la mutualité dans l’assurance santé. Rappelons les derniers chiffres de la DREES : 9 mutuelles font partie des 20 organismes les plus importants (aux côtés de 7 sociétés d’assurance et de 4 institutions de prévoyance). Par ailleurs et j’insiste sur ce point, ce n’est pas au détriment des liens de proximité ! Ne nous y trompons pas, 60 % des mutuelles de notre mouvement sont des mutuelles « locales ». Par ailleurs, avec leurs 2 500 établissements de soins et services d’accompagnement, les mutuelles représentent une offre de santé de proximité irremplaçable sur l’ensemble du territoire, le plus souvent en zones péri-urbaines ou rurales.
Je sais aussi que certains pensent que l’émergence de grands groupes a fait « pencher » la fédération vers les intérêts des grandes mutuelles. Mon travail a au contraire été de préserver les intérêts des mutuelles. Un exemple : sur Solvabilité II, nous sommes parvenus à faire admettre aux pouvoirs publics qu’il n’était pas justifié d’imposer à une petite mutuelle des contraintes prudentielles aussi importantes qu’à une mutuelle de dimension nationale. C’est le principe de proportionnalité. Nos efforts de conviction ont été très importants et le résultat à la clef est une meilleure prise en compte de la situation des petites mutuelles.
Tout est donc « sur des rails »…
Il reste énormément à faire et beaucoup de défis à relever pour la nouvelle équipe qui va prendre les rênes de la fédération [NDLR : un seul candidat à la présidence s’est pour l’instant déclaré : Thierry Beaudet, vice-président de la FNMF et président de la MGEN et un nouveau directeur général, Albert Lautman arrivera début juillet].
Je pense notamment à l’accompagnement par la Fédération de la transition vers les technologies numériques et l’élargissement de l’activité des mutuelles. Par ailleurs, il y aura des élections au cours de l'année qui vient et la mutualité devra évidemment être aux avant-postes pour faire des propositions.
[i] En secteur 2, c’est-à-dire pratiquant des dépassements d’honoraires.
[ii] Source : données CNAMTS – calculs FNMF.
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