Organisations
La souffrance au travail à travers les rapports d'activité des acteurs de prévention de Bercy
Rapport annuel d’activité des inspecteurs de santé et sécurité au travail (ISTT)
Pour la première fois, une rubrique consacrée aux risques psychosociaux fait son apparition dans le rapport annuel 2014.Pour la première fois, une rubrique consacrée aux risques psychosociaux fait son apparition dans le rapport annuel 2014. La légitimité du principe d’intervention des ISST en la matière découle de l’article L 4121-1 du code du travail qui impose aux employeurs d’assurer la protection de la santé physique et mentale des agents placés sous leur autorité. En effet, dès qu’une disposition réglementaire existe, les ISST sont tenus de veiller à ses conditions d’application dans les services.
Néanmoins, une fois cette règle générale posée, en l’absence de dispositions réglementaires précises complétant l’article précité, il est rapidement apparu que les modalités d’intervention pratiques en matière de RPS n’étaient pas évidentes pour les ISST.
La situation s’est notamment éclaircie grâce à la nécessaire distinction à faire entre la dimension de risques psychosociaux (RPS) et celle de troubles psychosociaux (TPS). La première revêt une portée générale et une dimension collective, abordée sous l’angle du danger et du risque pour lequel l’ISST a une pleine légitimité.
- S’agissant des troubles psychosociaux, il s’agit d’une conséquence individuelle dont la gestion relève essentiellement des acteurs médico-sociaux (médecins de prévention et assistante sociale) aux côté des chefs de service.
Dès lors qu’au cours d’une visite d’inspection, des agents s’ouvrent spontanément sur des difficultés relevant du thème de RPS, les ISST entament un dialogue pour cerner la situation du service avec plus de précision, en s’appuyant sur les 6 critères « Gollac » : exigences du travail ; exigences émotionnelle ; conflits de valeurs ; insécurité de l’emploi et du travail ; rapports sociaux et relations de travail ; marges de manœuvre et autonomie.
En partant d’une seule base de ressenti, les ISST ne se situent pas strictement dans la conduite d’une démarche d’évaluation des RPS, qui relève de la seule responsabilité de l’employeur mais situent leur intervention comme le signalement d’une expression de difficultés, pour lesquelles il paraît utile de conseiller au chef de service de prévoir une intervention spécifique.
Il appartiendra alors à ce dernier, s’il le juge pertinent, de mobiliser ses ressources internes et/ou externes sur la situation de travail en intégrant, au-delà du seul ressenti des agents, des éléments objectifs permettant de mieux cerner le niveau de risque réel (données du TBVS, effectif réel / effectif théorique, données chiffrées sur les aspects opérationnels etc.). La gestion des RPS implique donc de la méthode pour être efficace et lisible. Les ISST constatent encore un réel besoin en la matière.
Témoignages
- « Les agents soulignent les difficultés rencontrées notamment du fait d’effectifs insuffisants. Ils indiquent devoir travailler dans « l’urgence de l’urgence ». Le jour de la visite il manquait 2,4 agents dans l’effectif de 10 agents du poste, dont un en arrêt de travail depuis peu (accident de service ayant nécessité l’intervention des pompiers). Un agent de l’équipe de renfort est affecté régulièrement mais pour de courtes périodes. Un espace de dialogue animé par deux facilitateurs a eu lieu en mai 2014 ».
- Ce compte-rendu mentionne une mauvaise ambiance de travail au sein de l’équipe « depuis de nombreuses années » que ne fait qu’accentuer le sous-effectif. Par ailleurs, les points « peur au travail » et « reconnaissance » alertent sur le manque de respect qui semble être devenu un mode de management au fil du temps. Cette situation délétère se trouve confortée par la fiche de signalement en date du 28 octobre dernier de laquelle il ressort des injures et menaces parmi le personnel ». Or, le recueil des risques du DUERP relatif au poste, s’il mentionne les facteurs d’expositions aux RPS, ne décrit aucune situation d’exposition ni aucun de ces faits et indique un nombre d’agents concernés entre 1 et 3 ».
- « Les agents s’inquiètent du départ en retraite non remplacés de 3 agents en 2014. Ils soulignent que le formalisme lié à des procédures lourdes et à un indicateur de traitement de dossiers génère de la pression et une perte de l’intérêt du travail. D’autres indiquent avoir perdu leur autonomie (programmation des activités) depuis la mise en place d’un planning décidé par la direction régionale ».
- Par ailleurs, au sein d’un service, « il a été noté que le changement d’applications informatiques, notamment le passage des logiciels de bureautique de type Microsoft (Word, Excel) à des logiciels de libre droit, avait des conséquences sur l’édition des documents types à destination des partenaires, comme les collectivités locales. Dans le rapport de visite, il a été noté que des logiciels et programmes informatiques inadaptés peuvent être sources d’inconfort et de perte de temps pour les agents et ainsi augmenter le temps de travail sur écran. Dans ce cadre, il est recommandé de faire remonter aux bureaux informatiques de la direction générale les conséquences non anticipées de cette mesure de simplification sur les métiers ».
L’apport des ergonomes de Bercy : l’accueil et l’avènement du numérique
Le lien entre contexte organisationnel et pertinence d’un système est souligné dans Le rapport de la DGT/CAS effets des TIC sur les conditions de travail : « L’ignorance ou la sous-estimation des liens entre les technologies et l’organisation est à l’origine de nombreux échecs ou dysfonctionnements lors de la mise en place de nouveaux systèmes, pourtant techniquement irréprochables ».Les nouvelles technologies ont un effet profond sur le travail et ses conditions de réalisation. La généralisation de l’informatisation ainsi que la fréquence des évolutions technologiques bouleversent les organisations, les activités, les modes de relations... À cet égard, la place de la prévention des risques professionnels est déterminante pour intégrer au mieux ces évolutions et préserver les conditions de travail liées à l’usage de ces nouveaux dispositifs.
Les conséquences des nouvelles technologies sur les conditions de travail sont nombreuses : intensification du travail ; réduction de l’autonomie et affaiblissement du collectif : augmentation de la charge de travail ; objectifs ; répartition des tâches ; contenu du travail ; gestion du temps ; communication ; articulation sphère privée/sphère professionnelle ; environnement de travail ; manque d’analyse critique de certains dispositifs. Dans ce domaine, les ergonomes constatent que la prévention des risques professionnels est trop souvent sous-estimée car pris en compte trop tard.
Le rapport annuel médecine de prévention
Les consultations spontanées sont de plus en plus nombreuses. Par ordre de fréquence, les motifs de ces visites sont les suivants :- plainte au travail : troubles psychosociaux ;
- demandes d’aménagement matériels de poste de travail, de mutation pour raison de santé, dossiers CRIPH, demandes d’information pour une reconnaissance en tant que travailleur handicapé ;
- avis médicaux dans le cadre de la médecine statutaire ;
- problèmes de vie privée ;
- problèmes de santé, justifiant un arrêt maladie long ; demandes de conseil pour CLM, temps partiel thérapeutique, demandes d'autorisation d'absence pour des examens complémentaires pendant les horaires de travail.
Facteurs RPS les plus exprimés lorsque les agents sont déjà en souffrance
Les médecins de prévention constatent davantage de situations de souffrance au travail exprimées pour les collectifs que de manière individuelle.
Tous les niveaux hiérarchiques sont touchés. Ont été recensés les facteurs d’exposition et les situations d’expositions les plus fréquemment relevés dans les remontées des observations en province et qui occasionnent le plus de trouble dans l’expression de la souffrance des agents. Il a paru intéressant de les mettre au regard des situations relevées dans le DUERP au niveau national. Les situations d’exposition énoncées sont les suivantes : la quantité et la complexité du travail et les relations avec le public.
Facteurs aggravants : pathologie antérieures notamment psychique, handicap, problème de perte des repères : agent primo-affectant (éloignement, double résidence, pas de possibilité de retour rapide) les agents ; difficultés personnelles (aidant familiaux conjoints ou parents et enfants)
Constatations relatives aux troubles en eux-mêmes
Les situations d'épuisement professionnel ou « burn-out » concernent les agents de l’accueil, les services surchargés et les cadres de proximité.
Des syndromes post-traumatiques ont été observés : suite à l'assistance à un blessé qui est décédé, agression entre collègues, accident de train (trajet), agression de la part du public.
Les revendications de FO finances
Pour notre fédération, les diminutions des moyens de fonctionnement, les suppressions d’emplois (30 000 emplois en 10 ans), les restructurations permanentes et les objectifs inatteignables aggravent les conditions de travail des agents des ministères économique et financier et génèrent de plus en plus de souffrance au travail. Les rapports annuels des médecins de prévention, des inspecteurs de santé et sécurité au travail (ISST) et des ergonomes ne cessent de l’attester mais les ministres n’en tiennent pas compte et persistent à diminuer les effectifs et à réduire les moyens !
Notre organisation syndicale rappelle les obligations de l’employeur en particulier l’obligation de sécurité de résultats en matière de protection de la santé physique et mentale qui incombe à l’ensemble des employeurs (publics et privés), pour l’ensemble des salariés et des agents publics, quel que soit leur statut professionnel.
Dans ce contexte particulièrement difficile, la prévention des risques psycho-sociaux passe, pour nous par :
- l’arrêt des suppressions d’emplois et de moyens ; un plan pluriannuel de recrutement permettant d’assurer l’indispensable adéquation missions/moyens ; l’arrêt des restructurations ;
- la préservation et le renforcement plus que jamais nécessaire, du réseau des acteurs de prévention (ISST ; ergonomes ; médecins de prévention ; secrétaires-animateurs ; ARMP ; infirmières ; assistants de prévention...) dont les charges ne cessent d’augmenter, comme, le mentionnent ces mêmes rapports annuels. Notre fédération s’oppose aux recrutements par redéploiements qui « déshabilleraient Pierre pour habiller Paul » et demande un véritable plan de recrutement.
Dans ce cadre, une urgence particulière :
- recruter des médecins de prévention : dix départements en sont encore dépourvus et dans une douzaine de départements, leur nombre est encore insuffisant. Sans nier le contexte national de pénurie, tout doit être mis en œuvre pour garder et recruter des médecins de prévention. Pour nous, il faut agir à la fois sur leur rémunération et sur leurs conditions d’exercice : équiper les cabinets médicaux du matériel médical nécessaire, les doter de logiciels et d'un véritable secrétariat nécessaires à l’exercice de leurs missions ; renforcer le réseau des infirmières dont les départs en retraite ne sont pas remplacés.
Pour notre fédération, les conventions passées avec les services inter-entreprises ne doivent pas se substituer aux recrutements de véritables médecins de prévention contractuels.
- Un réel accompagnement des agents en difficultés ou malades : organiser les visites de pré-reprises et de reprises après congés de longue maladie (CLM) et congés de longue durée (CLD) ; mettre en œuvre des aménagements de postes ; accorder l’imputabilité au service des actes suicidaires en lien avec le travail (reconnaissance des accident du travail) ; suite à expositions à l’amiante et aux CMR : organiser des visites médicales post-exposition et post-professionnels pour les retraités.
- Le recensement des cas d'épuisement professionnel au sein des MEF et leur reconnaissance en tant que maladie professionnelle.
- La mise en œuvre de mesures de prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) et des risques liés à l’amiante et aux CMR.
- L’octroi de moyens et de marges de manœuvre à l’encadrement qui est lui-même concerné par les RPS.
- L’amélioration des conditions de travail des agents par l’entretien des bâtiments dans lesquels ils travaillent : hygiène des locaux; mise en conformité électrique, incendie, suppression des « open-spaces » ; attribution de surfaces de travail suffisantes pour chaque agent ; mesures d’amélioration des conditions d’accueil du public ; accessibilité des sites pour les handicapés. Les rapports des ISST en ont démontré toute l’importance en mettant en évidence l’important mal-être généré par ces points noirs.
- La consultation des représentants du personnel et des acteurs de prévention le plus en amont possible en cas de projets importants de travaux, de restructurations, de déménagements qui affectent fortement les conditions de travail des agents.
- L’amélioration des logiciels de travail des agents dès leur phase de conception permettant une utilisation efficace en recourant aux pôles de métiers (informaticiens et ergonomes).
- Améliorer la reconnaissance de la technicité et des qualifications des agents à travers l’accès à la formation, aux promotions (PRO/PRO) etc.
- Supprimer les inégalités et toute forme de discrimination (genre, santé, handicap, implication syndicale…).
- Mettre en place une véritable filière de formation en santé et sécurité au travail pour tous les agents, les cadres des directions (formation initiale, formation continue) et pour les acteurs de préventions.
- L’indispensable formation du personnel des services de RH à la médecine statutaire, qui permettra notamment, d’améliorer l’utilisation de la fiche de liaison entre les services de RH et les médecins de prévention. Elle facilitera ainsi la mise en place d’un bon suivi médical professionnel et post-professionnel pour les agents. Les agents en congés de longue maladie et de longue durée pourront ainsi obtenir des renseignements fiables et complets.
- Donner des moyens supplémentaires aux CHSCT afin qu’ils puissent remplir leurs missions, vis-à-vis notamment de la montée en puissance des risques psycho-sociaux et des problématiques de santé mentale.
- La nécessité de véritables études le plus en amont possible concernant les projets de réorganisation, restructurations comme le prévoit les textes pour évaluer l'effet des projets sur la santé physique et mentale des agents et sur leurs conditions de travail ; à cet égard, la fiche d’impact est insuffisante.
Sur le dossier de l’amiante : éradication de l'amiante dans tous les bâtiments dans lesquels travaillent les agents est une priorité, ainsi que la mise à jour des dossiers techniques amiante.
- La reconnaissance comme maladie professionnelle au bénéfice de tous les agents exposés ; reconnaissance comme site amianté pour le Tripode.
Notre fédération rappelle son attachement indéfectible à une véritable politique ministérielle en santé et sécurité au travail avec de vrais moyens humains et budgétaires, le nécessaire engagement des ministres et des directions générales, indispensables dans l’intérêt des agents.
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia