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La formation tout au long de la vie n'est-elle qu'un slogan en France ?
Dépêche AFP du 20 mars 2012 : « La CFE-CGC métallurgie a tiré le signal d'alarme aujourd'hui au sujet de l'emploi dans cette branche, qui va de l'automobile à l'aéronautique en passant par la sidérurgie et les semi-conducteurs, en faisant état de pertes prévisibles de 13 000 et 18 000 [emplois] par an d'ici 2020 [soit plus de 100 000 emplois au total]. La formation tout au long de la vie n'est aujourd'hui qu'un slogan », a déploré Gabriel Artero (critiquant « la vampirisation » des mécanismes de formation au profit de l'insertion), le président de la CFE-CGC métallurgie.
La formation tout au long de la vie est-elle donc condamnée à rester en France un slogan vain, le titre d’une loi de la République, un pseudo accord social et politique mais sans effet sur le sort professionnel des travailleurs ?
Même s’il faut laisser du temps au temps (comme le disait jadis un président de la République) force est de constater que le droit individuel à la formation est parvenu à ses limites il y a déjà 2 ans, sans provoquer de réel changement en formation. Tout s’est passé comme si l’univers professionnel, après s’être étonné de sa propre audace de 2003-2004, s’était employé à étouffer cette fameuse réforme de la formation pour continuer sur sa lancée des années 1970 à former peu, à former mal et à ne pas modifier ses modèles éducatifs et professionnels.
Il faut désormais se poser la question de comprendre pourquoi le droit à la formation (expression citée près de sept fois par le Président de la République dimanche 18 mars dans l’émission « Capital » de M6) pourquoi donc ce droit (individuel) à la formation, qui a pour mission de refonder la formation, ne prend toujours pas en France (ou si peu, dans de rares entreprises concernées et à des doses homéopathiques) ?
Les raisons sont sans doute multiples mais on peut avancer que le DIF (bien plus qu’un simple dispositif de formation nouveau) est le révélateur des conformismes, archaïsmes et peurs d’un univers professionnel construit aux XIX et XXèmes siècles et qui n’a toujours pas intégré les changements induits par la société de la connaissance et de l’information.
Les principaux obstacles au développement du droit à la formation :
Une déresponsabilisation de tout le corps social
Les Français se sont habitués à disposer d’un État interventionniste, contrôleur et administrateur de tous les apprentissages via ce méga-organisme de formation (très sollicité) qu'est l’Éducation nationale. Celle-ci est censée tout faire et tout financer (les apprentissages initiaux, les remises à niveau, la formation professionnelle, les reconversions…). Le monde professionnel ne s’est donc guère impliqué dans les apprentissages (toujours faiblement développés en France), la formation tout au long de la vie ou l’insertion des diplômés.
Le manque d’appétence d’un nombre important de salariés face à la formation
Le goût d’apprendre n’est pas inné, il vient en apprenant. Que veulent, que peuvent et que souhaitent apprendre des salariés peu qualifiés dont l’entreprise n’aurait jamais rien proposé durant 20 ou 30 ans de travail ? la réponse est banale et trop simple : ils ne veulent rien, ne souhaitent rien anticiper de leur vie professionnelle. On ne leur a jamais proposé de développer leurs compétences et les doter d’un droit à la formation de 20 heures n’a pas suffi à leur faire prendre conscience des dangers professionnels qu’ils courent à ne pas se former en permanence.
La société française n’a pas encore intégré qu’on doit apprendre tout au long de la vie
Le matérialisme ambiant (je veux consommer et gagner plus mais sans travailler plus ou mieux) nous place en porte-à-faux dans un univers professionnel mondialisé et concurrentiel. Des milliards de travailleurs sont en concurrence, des continents entiers progressent à grands pas, les réseaux de télécom apportent l’information à tous. Les anciennes traditions industrielles sont remises en question (une usine tournevis peut en quelques mois fabriquer des produits de qualité), une soif d’apprendre, de progresser, de mieux vivre (parfois de simplement manger à sa faim) s’est emparée d’une grande partie de l’humanité.
Le modèle social français n’est plus adapté à son culte du diplôme, ses séparations entre travailleurs manuels et travailleurs intellectuels, ses statuts et ses corporations.
Les temps sociaux eux-mêmes explosent sous nos yeux : on peut passer 20 ans à l’école sans apprendre grand-chose, on peut reprendre des études (moins de 1 % des travailleurs français actuellement) tout au long de sa vie, on peut retravailler après 60 ans. Les cloisonnements n’ont plus lieu d’être (CDD-CDI, ouvriers-cadres, fonctionnaires-salariés du privé...) mais ils structurent toujours une société tout aussi bloquée qu’en 1970 (La société bloquée de Michel Crozier, éditions du seuil). Pouvoir, innovation et participation restent le fait d’une petite minorité, d’une pseudo-élite (sociale, médiatique, politique) qui a préempté le pouvoir et parle au nom de la majorité censée rester silencieuse et laborieuse.
L’audace dont avaient fait preuve les partenaires sociaux en 2003 puis le législateur en 2004, est pour l’heure restée sans lendemain. Le bouchon formation professionnelle (les 3 C de la commission Carle : cloisonnement, corporatisme et complexité) résiste plus que jamais. En 2004, le peuple des travailleurs a été doté d’un droit à la formation qui peut encore faire sauter tous ces blocages, conformismes et corporatismes. Un milliard d’heures de DIF sont à la disposition des travailleurs de France, six ans de capitalisation en formation alors que cette crise structurelle de notre économie pourrait remettre en question l’emploi et la position sociale de millions de nos compatriotes.
En 2012, seront-ils capables de se saisir de leur droit à la formation ?