Organisations
La « cross fertilisation » au service de l'insuffisance professionnelle chez Canal+
« Des mots encore des mots, toujours des mots… », comme le dit si bien la chanson.
Mais ces mots-là traduisent avant tout une volonté d'accélérer l'évolution des organisations sociales et managériales, en ce début d’année 2012. Un concept négatif contre un semblant d’idée positive et l’équilibre serait ainsi respecté. Insuffisance professionnelle, un concept très en vogue en ce moment. Il s’agit de repérer les faiblesses (et tout le monde en recèle) pour les extirper, les mettre en jachère et, au besoin, les utiliser afin de justifier ici une mobilité, là un départ… Car, en ce début d'année, le volume des départs et des licenciements atteint un rythme de croisière digne de la Route du Rhum…
- Il faut bien faire des économies et préparer l’arrivée de nouveaux salariés (Direct 8, Direct Star ou d’autres entités), tout en conservant un périmètre aussi réduit que possible…
Dès lors, tout est bon pour procéder à des réductions d’effectifs. De très nombreux postes ne sont pas remplacés ou disparaissent des organigrammes, comme le plus emblématique de ces dernières semaines, celui du directeur des affaires sociales… Volatilisé…
Ce concept d’insuffisance professionnelle devrait permettre de maintenir un rythme de départs acceptables. Sans nécessiter d’enquête approfondie, sans attendre l’erreur majeure, ce concept permet de se séparer d’un salarié sans trop de risque juridique… et surtout, il peut concerner n'importe qui, n’importe quand !
Il manquait le formidable vocabulaire anglo-saxon, cache-sexe d’une politique sociale en mutation…
- La « cross fertilisation », c’est l’idée qu’en envoyant un salarié dans un endroit qui lui est inconnu, à mille lieux de son entreprise, parfois de son cœur de compétences, on va faire de lui un « geek » régénéré et génial. Il serait alors capable d’affronter et de relever des défis immenses, de surmonter les difficultés quotidiennes, le tout pour son bien et celui de l'entreprise…
Le dictionnaire nous donne comme traduction brassage, fécondation, métissage…
Finalement, ces termes nous conviennent lorsque nous dénonçons par exemple le conformisme du recrutement de Canal+ depuis 4 ou 5 ans, lorsque nous revendiquons la diversité dans les organisations (parité bien sûr) ou diversité des formations, des âges, des origines…
Mais ici, à cette date, à Canal+, ces termes de jeunes traduisent en fait une volonté éculée, celle de « mettre l'entreprise en mouvement ». Nos DRH sont ainsi transformées en « cross fertilisatrice »… « Allez mesdames, repérez, proposez, accompagnez, au besoin, forcez un peu la main… Rappelez-vous nos objectifs, nos ambitions, faites-moi exploser le turn-over, multipliez les mobilités, mettez en mouvement ce corps social inerte… »
Il y avait une volonté, il y avait des outils mais des concepts simples et forts manquaient pour passer à la phase industrielle de ce projet managérial. Ce manque est en parti comblé. Mais croit-on sincèrement que le capital humain va ainsi être valorisé ? Croit-on que l’on va favoriser l'entreprise et la réussite individuelle ou collective ? Dans un cas, il sera trop tard et certains de nos concurrents se réjouiront en accueillant à bras ouverts ces compétences remerciées. Dans l’autre cas, ce sera souvent une mise en abîme parfois dangereuse et risquée, pour les personnes concernées et pour l'entreprise…
Pourquoi cette nécessité d’angliciser le vocabulaire RH ? Pourquoi ne pas revenir à des notions simples et compréhensibles de tous ? Pourquoi cacher les objectifs, refuser d’effectuer de véritables accompagnements professionnels, une gestion des carrières digne, transparente et respectueuse ?