Organisations
IRP : mort sur ordonnances ?
Renforcer : « donner de la vigueur, une intensité accrue » et « rendre plus fort ce qui l'est naturellement déjà ».
Dialogue social : « échange, négociation menée avec la volonté commune d'aboutir à une solution acceptable par les deux parties en présence ».
Donc, cette loi serait alors généreuse en apportant une « intensité accrue » aux « échanges et négociations menés ».
C’est pourtant le contraire en conséquences. Plutôt que de rendre « plus fort l’état de la situation » du dialogue social dans les entreprises, ces ordonnances révèlent en elles-mêmes un affaiblissement de l’existant, en nombre d’élus, par le renforcement de la délégation patronale et la limitation au recours à l’expert économique et santé au travail.
Moins d’élus de terrain
Les délégués du personnel (DP) portent les réclamations des collègues d’atelier, de bureau ou de tout groupe de métier. C’est l’expression journalière du terrain. Le CHSCT protège contre les risques professionnels et œuvre pour la sécurité dans l’entreprise. Le maillage et le réseau de ces élus de proximité est aujourd’hui une force pour l’entreprise en tant que relai de l’expression collective. Il est supprimé. En quoi effacer cette strate d’élus locaux renforce-t-il le dialogue social ?Les décrets vont définir le nombre de délégués dans l’instance unique, le futur comité social et économique (CSE). Il ne fait aucun doute qu’il sera en réduction sensible, du seul fait de l’abandon des DP et du CHSCT.
Délégation patronale pléthorique, la salariale réduite
Dans un CE, le président n’avait droit qu’à deux personnes pour l’assister en réunion. Dans le futur CSE, ce nombre peut devenir égal à la délégation du personnel. Les ordonnances renforcent ici surtout la présence patronale et créent une distorsion en défaveur des élus. Ces derniers auront face à eux tous le personnel de l’entreprise. L’ordonnance cite même une assistance patronale avec « des collaborateurs », ainsi ces personnes pourront venir de l’extérieur.Depuis des dizaines d’années, pour assurer la continuité de l’instance, les élus suppléants siègent toujours en réunion. À présent, ils en sont exclus, sauf pour remplacer le titulaire. Ainsi, en réunion, la délégation salariale du CSE est divisée en deux. Renforcement ?
Experts, recours maintenant limité
L’entreprise, elle, a tous les moyens nécessaires avec avocats, conseils, experts ou consultants de tout ordre pour étudier et faire valoir son point de vue sur un projet ou sa stratégie. Son budget est illimité au besoin.
L’élu, lui, est seul, souvent sans connaissance initiale, sans expertise et pratique professionnelle avérée. En effet, comment des élus conducteurs routiers, seuls, peuvent-ils s’insérer dans un dialogue loyal et technique avec le PDG, le DRH et le directeur financier ? Il y a besoin et nécessité d’être assisté.
Aujourd’hui, CE et CHSCT peuvent s’attacher des services d’experts économiques, en organisation ou en santé au travail. L’employeur en assure le financement, comme en Allemagne. Normal, c’est lui qui détient le capital et le chiffre d’affaires. Demain, la loi prévoit un cofinancement à 80/20. Le CSE (nouveau comité d’entreprise) devra trouver dans ses comptes les 20 % pour rémunérer la mission d’assistance ou d’expertise. Mais avec quel budget ? Sur les cadeaux de Noël ? Sur la mutuelle ? C’est délicat.
En proportion comparative des budgets, la facture du CSE devient 2.000 fois plus importante que celle de l’entreprise.Prenons un exemple. Le budget de fonctionnement d’un CE d’une entreprise de 200 salariés est de 18.000 euros pour 9 millions d'euros de masse salariale. Budget, aujourd’hui largement consommé et sans marge de manœuvre. La part de 20 % du coût de la mission pour le CSE peut approcher cette somme. En proportion comparative des budgets, la facture du CSE devient 2.000 fois plus importante que celle de l’entreprise. Par cette mécanique financière, les ordonnances limitent le recours à une assistance d’un cabinet CHSCT ou CE. Les élus seront maintenant quasiment nus, sans assistance experte, devant un employeur hyper représenté.
« Renforcement » ou « mise en ordre » du dialogue social
Il est difficile pour un pouvoir politique d’afficher la réalité du sens d’une loi. Ici, la volonté est de limiter, voire d’affaiblir, la présence syndicale dans l’entreprise et sa pertinence d’intervention, nommé toutefois « renforcement ».C’est assez peu compréhensible. Les CE, les DP et les CHSCT, jusqu’à présent, ont pourtant peu de pouvoir, sauf celui de la parole et de l’argument. Dans 95 % des entreprises, le dialogue est bien présent et positif. Alors qu’en Allemagne, pays de comparaison récurrente, ce pouvoir des élus est tout autre. Pour moitié, par exemple, ils composent le conseil de surveillance, organe suprême d’une entreprise. L’avis d’un ouvrier, élu de base, à la même valeur dans l’entreprise outre-Rhin que celui du maire de l’une de nos communes devant le préfet. C’est respecté !
Le projet sociétal nous propose un renforcement du dialogue social. Soyons réalistes. En choisissant le recours par ordonnance le gouvernement a plus voulu, par référence étymologique, le « mettre en ordre » mais surtout pas le renforcer.
On revient donc aux dispositions d’avant 1982, voire avant 1968, avec l’effacement des DP. Dommage. La France de l’entreprise est passée à côté d’une éventuelle belle aventure moderne de dialogue social. Le fossé avec l’Allemagne vient de s’élargir sensiblement sur ce thème, en prenant encore quelques dizaines d’années de retard avec ce pays.