Comment faire de l’environnement un enjeu partagé dans les entreprises ?
À chacun sa capacité à adopter (ou pas) des usages quotidiens de bas carbone dans sa vie personnelle. Face à cette très large palette de comportements, l’intégration des enjeux environnementaux sur les modèles économiques des entreprises est loin d’être naturelle. Comment les directions et les représentants des salariés peuvent-ils agir pour que la prise de conscience des changements qui s’imposent soit partagée avec un maximum de salariés ? Retour sur le direct du 7 décembre, parrainé par AXA Collective et Orseu.
Gare aux discours environnementaux hors sol des directions comme des syndicats qui peuvent facilement être en totale inadéquation avec la réalité vécue par les salariés ! « En tant qu’assureur, nous sommes bien placés pour mesurer l’interdépendance des conséquences économiques, sociales et sanitaires des changements environnementaux qui sont interdépendantes. L’entreprise est le lieu depuis lequel on peut vraiment agir pour réduire l’empreinte carbone mais à la condition de se donner les moyens d’impliquer un maximum de salariés dans des actions concrètes. C’est un levier de dialogue social pour mettre les contraintes économiques et sociétales, l'employabilité et les conditions de travail en perspective », considère Sophie Mandelbaum, experte du dialogue social en matière de protection sociale chez Axa santé et collectives, qui précise qu’il faut être prêt à recevoir les critiques quand on commence à mettre l’environnement en débat dans les entreprises, tant de de la part des salariés les plus écologiquement engagés et qui considèrent que l’on n’en fait pas assez que de celle des plus sceptiques qui trouvent au contraire que l’on en fait trop.
Le levier de la formation continue
Les leviers d’actions sont tangibles. « Tous les métiers sont concernés par la prise en compte de la réduction de l’empreinte carbone. L’approche doit être systémique et ne pas se focaliser sur l’émergence de nouveaux métiers, comme cela a été l’erreur avec la numérisation. Nous considérons que c’est par la formation continue que les entreprises peuvent permettre aux salariés de se sentir vraiment concernés », affirme Antoine Poincaré, responsable de la « climate school » d’Axa qui propose un catalogue de ressources en ligne pour accompagner les changements à l’œuvre dans les métiers comme l’informatique, les achats, le juridique, la finance ou les RH. Dans un premier temps, il s’agit de comprendre sur la base de données scientifiques pour ensuite agir sur des modules pédagogiques d’une durée de 30 à 60 minutes. Des formations certifiantes et qualifiantes sont dans les cartons au regard de la profondeur des transformations des métiers.
Quid du bilan carbone d’une délocalisation ?
Les représentants des salariés disposent aussi de leviers d’action avec des CSE dont les prérogatives environnementales ont été reconnues par la loi sur le climat. Reste à voir comment les intégrer, au bon moment, pour peser dans le rapport de forces avec la direction. Pour Stéphane Lamy (président d’Orseu Expertise), « les communications publiques de certaines entreprises cotées, très émettrices de carbone sur la déclinaison opérationnelle d’une stratégie alignée sur une trajectoire à 1,5 °C sont très intéressantes à suivre car elles illustrent des changements radicaux des modèles économiques. À partir de là, les élus ne doivent pas hésiter à s’opposer à des projets de délocalisation en projetant les bilans carbone très négatifs de celles-ci, par exemple. C’est désormais un axe d’analyse qui sera pris en compte ». À charge pour les experts des CSE d’être en capacité d’apporter des niveaux d’information très concrets sur les conséquences d’une non-réduction des émissions sur les emplois pour en faire des leviers de mobilisation du corps social.
Lean green pour tout le monde
« Les enjeux environnementaux ne passent pas au-dessus de la tête des salariés qui travaillent en production. La majorité est bien consciente des gaspillages que l’on pourrait limiter en production », explique Abdelkader Belbachir, élu au CSE de Visions systèmes, une PME industrielle de l'aéronautique employant environ 300 salariés près de Lyon. Adhérent à l’éco-syndicat Printemps écologiques, ce responsable de l’amélioration continue considère que l’on peut parfaitement décliner l’approche industrielle du lean en mode green pour intégrer la réduction des déchets. C’est le sujet de la thèse d’Alain Gercoq, soutenue en 2014 : « Modélisation de l’intégration lean green appliquée au management des déchets pour une performance équilibrée (économique, environnementale et sociale) », https://www.theses.fr/2014ENAM0004. « Une jeune ingénieur du bureau d’étude vient de démissionner car elle ne s’y retrouvait pas dans la façon de concevoir nos produits. mais il vaut mieux y aller progressivement tant au niveau des salariés de la production que de celui de la direction générale car rien aujourd’hui ne contraint une entreprise de notre taille à fondamentalement modifier son modèle pour s’engager au niveau de la RSE * », souligne Abdelkader Belbachir qui joue la carte du pragmatisme. Aujourd’hui, les deux syndicats représentatifs (FO et CGT) ont accepté sa demande d’instauration d’une commission environnementale dont la première mission a été de sensibiliser aux alternatives à la voiture pour venir travailler. Un premier pas pour revendiquer une prise en charge de l’abonnement aux transports collectifs à 100 %, sans revenir sur la prime de transport de 40 euros par mois, permettant de compléter les pleins de carburant.
Bonus-malus sur les ASC ?
Les leviers d’actions des élus ne manquent pas. Reste à les activer au bon moment. À l’INA, un collectif d’une dizaine de salariés s’est engagé il y a quatre ans pour promouvoir les éco-gestes, les circuits courts au niveau du restaurant d’entreprise et les conditions d’accueil des visiteurs sur un « campus » plus vert. « Le collectif initié avait tendance à s’essouffler. Notre objectif est d’aller au-delà des éco-gestes et de nourrir une réflexion pour engager nos métiers, très consommateurs de ressources, dans une démarche de réduction de notre empreinte carbone. Nos actions sont désormais portées syndicalement et cela va permettre de promouvoir les actions environnementales à tous les niveaux, par exemple en prenant nos responsabilités quant à la politique ASC du CSE », explique Christine Braemer, responsable pédagogique à l’INA, qui fait partie du réseau des Sentinelles vertes de la CFDT, initié par la fédération F3C. « Ce réseau a été l’occasion de trouver un nouveau souffle », note Christine, bien consciente que le changement ne peut être que progressif. Le CSE qui déciderait de ne plus subventionner le moindre séjour de vacances en dehors de France prendrait le risque de s’exposer à un retour de bâton au moment des élections professionnelles. Pour Stéphane Lamy, mieux vaut savoir se montrer pédagogue « avec un niveau de subvention qui dépendrait de l’empreinte carbone des activités proposées ».
* Seules les entreprises cotées dont le chiffre d’affaires dépasse 100 millions d’euros ou qui emploient plus de 500 salariés sont contraintes à la publication d’un rapport sur ces engagements de RSE.