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25 / 09 / 2018 | 49 vues
Laurent Aubursin / Abonné
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De la non-conformité du droit français en matière de temps de trajet des salariés itinérants

L’alinéa 1er de l’article L 3121-4 du code du travail précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. En parlant du temps de déplacement professionnel, l’article L 3121-4 vise le temps de déplacement entre le domicile et le lieu d’exécution du contrat de travail. Les heures de trajet pour se rendre de son domicile personnel à son lieu habituel de travail ne peuvent être considérées comme des heures de travail effectif. Ce temps n’ouvre droit à aucune rémunération ni contrepartie, sauf dispositions conventionnelles, contractuelles ou usage plus favorable. Cette règle s’applique quel que soit l’éloignement existant entre le domicile et le lieu habituel de travail.

Par exception, l’article L 3121-5 du code du travail prévoit que si le temps de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail est majoré du fait d’un handicap, il peut faire l’objet d’une contrepartie sous forme de repos. Au regard de la rédaction de ce texte, il semble que ce ne soit qu’une possibilité laissée à l’employeur.

Le principe, qui veut que le trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ne donne lieu à aucune rémunération, connaît deux tempéraments.

1. Si le temps de déplacement professionnel pour se rendre à un lieu de travail inhabituel dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l’objet d’une contrepartie, soit sous forme de repos, soit financière. En d’autres termes, le temps de trajet pour se rendre de son domicile à un lieu d’exécution du travail n’est jamais un temps de travail effectif mais doit donner lieu à des contreparties lorsqu’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail. Cette règle vaut quels que soient la nature et le lieu du déplacement (déplacement exceptionnel ou fréquent, en France ou à l’étranger).

2. Lorsque le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d‘exécution du contrat de travail coïncide avec l’horaire de travail, le salarié ne doit subir aucune perte de salaire. Autrement dit, la part du temps de trajet incluse dans l’horaire de travail doit être payée comme du temps de travail mais ne peut être considérée comme tel. Si les conditions sont remplies, cette règle du maintien de salaire peut se cumuler avec la contrepartie accordée pour le temps de déplacement inhabituel.

Ces temps de déplacement, qu’ils soient ou non compris dans l’horaire de travail et quelle que soit leur durée, ne peuvent pas être considérés comme du temps de travail effectif et n’ont donc pas à être pris en compte pour le calcul des heures supplémentaires ni, apparemment, pour le calcul des durées maximales de travail.

Une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche prévoit des contreparties lorsque le temps de déplacement professionnel mentionné à l’article L 3121-4 dépasse le temps normal de trajet (art. L 3121-7 du code du travail). Un accord collectif peut, bien entendu, prévoir que les contreparties accordées sous forme de repos se cumulent avec des contreparties financières.

À défaut d’accord, l’employeur détermine, après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’ils existent, les contreparties (art. L 3121-8 du code du travail).

En l’absence de toutes contreparties prévues, le juge peut lui-même les fixer en fonction des prétentions respectives des parties. La charge de la preuve incombe spécialement au salarié en matière de demande de contrepartie.

Au contraire, un déplacement professionnel du domicile à un lieu de travail inhabituel ne donne droit à aucune contrepartie lorsque ce déplacement ne dépasse pas le temps normal de trajet domicile-lieu habituel de travail.

  • Le code du travail ne vise que les temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail et non en revenir mais il s’agit d’une erreur purement textuelle sans volonté d’exclure les trajets retours.


Par exception, la Cour de cassation considère que le temps de trajet entre l’entreprise et le domicile peut être qualifié de temps de travail effectif lorsque les salariés sont soumis à de fortes contraintes et ne peuvent vaquer à des occupations personnelles (en l’espèce, le salarié disposait de la plage horaire allant de 17h00 à 18h00 pour se rendre de son lieu de travail à son domicile afin d’être en mesure de commencer une astreinte à 18h00, était tenu d’utiliser le véhicule de l’entreprise et d’effectuer le trajet le plus court, sans pouvoir transporter une personne étrangère à l’entreprise).

Le cas des salariés itinérants

Pour les salariés itinérants (prestataires de services à domicile, commerciaux, livreurs, techniciens de maintenance, formateurs…) n’ayant pas de lieu de travail fixe ou habituel, la CJUE considère que les temps de déplacements quotidiens de ces salariés entre leur domicile, et les sites des premiers et derniers clients de la journée constituent du temps de travail effectif au sens de l’article 2 de la directive 2003/88 CE du 4 novembre 2003. Ces temps de trajet devraient être pris en compte pour apprécier si le temps de repos minimal et la durée maximale du travail sont respectés. En revanche, ces temps ne donneraient pas lieu à rémunération. La question de la rémunération de ces temps n’est garantie ni par le droit national, ni par le droit européen. Ce dernier ne vise que les questions relatives aux respects des durées maximales de travail quotidiennes et hebdomadaires, à l’exclusion des questions de rémunération.

La décision de la CJUE n’a toutefois pas d’effet direct en droit interne dès lors que le litige oppose deux particuliers (un salarié de droit privé et une entreprise privée). C’est ce que la Cour de cassation a confirmé dernièrement. Dans un arrêt du 30 mai 2018, faisant une application stricte de l’article L.3121-4 du code du travail, la Cour de cassation considère que le temps de déplacement professionnel des salariés itinérants entre leur domicile et le site du premier et du dernier clients ne peut être assimilé à du temps de travail effectif (Cass. soc., 30 mai 2018, n° 16-20634).

Le législateur aurait ainsi pu profiter de la loi sur le « travail » du 8 août 2016 pour procéder à cette mise en conformité.
À l’opposé, si le litige oppose un particulier à une entreprise qui peut être assimilé à l’État, alors la décision de la CJUE est d’application directe en droit interne. La disposition d’une directive communautaire claire, précise et inconditionnelle produit un effet direct dès lors que le litige oppose un particulier à l’État : dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État lorsque celui-ci s’est abstenu de les transposer dans les délais ou en a fait une transposition incorrecte. La CJUE reconnaît la qualité d’État de manière très extensive. A la qualité d’État tout organisme, quelle que soit sa forme juridique, qui a été chargé, en vertu d’un acte de l’autorité publique et sous le contrôle de cette dernière, d’accomplir un service d’intérêt public et qui dispose à cet effet de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers.

En dépit des recommandations de la Cour de cassation sur la non-conformité du droit français en matière de temps de trajet (rapport annuel pour 2015), le législateur n’a toujours pas mis le code du travail (notamment l’article L 3121-4) en conformité avec le droit communautaire. Les occasions n’ont pourtant pas manqué... Le législateur aurait ainsi pu profiter de la loi sur le « travail » du 8 août 2016 pour procéder à cette mise en conformité.

Pour FO, il s’agit là d’une atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession, en raison de l’absence de transposition en droit interne de la directive précitée du 4 novembre 2003.

Notre organisation a adressé un courrier au Premier Ministre à ce sujet. Il n’y a eu aucune réponse du Premier Ministre, ni de la Ministre du Travail sur ce point. FO a donc saisi le tribunal administratif de Paris pour enjoindre le gouvernement de mettre sa législation en conformité avec le droit communautaire.

Le salarié itinérant qui ne voit pas son temps de déplacement professionnel assimilé à du temps de travail, contrairement à la position de la CJUE, peut uniquement, à l’heure actuelle, engager une action en responsabilité contre l’État devant le tribunal administratif pour transposition incomplète de la directive sur le temps de travail. L’employeur, lui, peut se contenter d’appliquer le droit français tant qu’une réforme législative n’a pas eu lieu sur ce point.

S’agissant du temps de trajet entre deux lieux de travail, celui-ci constitue un temps de travail effectif même si le trajet est effectué en dehors de l’horaire habituel de travail, le salarié se trouvant durant cette période à la disposition de l’employeur et ne pouvant pas vaquer librement à ses occupations personnelles. Ainsi, les déplacements effectués entre deux clients, entre deux missions ou entre deux chantiers doivent être assimilés à du temps de travail effectif. Solution identique s’agissant du trajet entre l’entreprise et le lieu du chantier ou de travail, sauf si le passage par l’entreprise n’est pas obligatoire.

Les temps de trajet qui constituent un travail effectif doivent être rémunérés comme tel. Ils rentrent alors dans le calcul des heures supplémentaires et doivent être pris en compte pour l’appréciation des durées maximales de travail.

À noter que le salarié peut cumuler une indemnité de trajet prévue conventionnellement avec la rémunération versée au titre du temps de trajet répondant à la qualification de temps de travail effectif, sauf disposition expresse de non-cumul.

Source : département des affaires juridiques confédéral de FO.

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