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Changement du lieu de travail : le salarié peut-il le refuser ?
Le lieu de travail n’est pas, en soi, un élément du contrat de travail. Il n’a, en principe, qu’une valeur informative. Toutefois, si le contrat mentionne clairement que le travail s’exécutera exclusivement dans un lieu déterminé, toute modification de ce lieu constitue une modification du contrat de travail et nécessite l’accord du salarié.
Le contrat de travail peut prévoir une clause de mobilité. L’insertion d’une clause de mobilité dans le contrat de travail permet à l’employeur d’imposer au salarié une modification de son lieu de travail, ceci même au-delà du secteur géographique dès lors que la nouvelle affectation ne dépasse pas le cadre de la clause de mobilité. Pour être valable, la clause de mobilité doit définir précisément sa zone géographique d’application et ne doit pas laisser à l’employeur le pouvoir d’en étendre la portée unilatéralement.
Secteur géographique
En l’absence de clause de mobilité ou de clause fixant précisément le lieu de travail, l’employeur ne peut imposer au salarié un changement de son lieu de travail que s’il se situe dans le même secteur géographique. Si tel est le cas, cette mutation ne constitue qu’un simple changement des conditions de travail s’imposant au salarié qui ne peut la refuser sous peine de licenciement. Si le nouveau lieu de travail se situe en dehors du cadre de la clause de mobilité ou, en l’absence d’une telle clause, en dehors du secteur géographique où le salarié travaillait précédemment, l’employeur doit recueillir l’accord exprès du salarié.
Même si le secteur géographique n’est pas précisément défini, la Cour de cassation prend le soin d’indiquer que cette notion doit s’apprécier objectivement, c’est-à-dire de la même façon pour tous les salariés sans tenir compte de leur situation personnelle (domiciliation, situation familiale, mode de transport utilisé, âge, ancienneté, appartenance ou non au statut de cadre, situation financière…).
La Cour de cassation précise également que le secteur géographique doit s’apprécier par rapport au dernier lieu de travail du salarié et non par rapport à son affectation initiale lorsqu’il y a eu plusieurs mutations successives.
Il apparaît clairement que le découpage administratif de la France (commune, communauté de communes, métropole, département, région…) ne doit pas entrer en ligne de compte pour la détermination du secteur géographique. Les juges raisonnent en tenant compte de la distance et de la situation du réseau de transport entre les deux sites.
Pour déterminer si le nouveau lieu de travail se situe ou non dans le même secteur géographique, les juges du fond tiennent compte de ces critères :
- le critère de la distance kilométrique entre deux lieux de travail est souvent retenu : une mutation distante de seulement 20 km ne constitue pas une modification du contrat. Dans le même sens, se situent dans le même secteur géographique deux sites distants de 25 km et reliés par une route expresse ;
- le critère lié à l’existence de moyens de transport et à la facilité des déplacements sert également aux juges du fond pour arrêter leur décision : s’il n’existe pas de facilités de transport et de liaisons directes entre les deux sites, les juges ont tendance à reconnaître qu’il s’agit d’une modification du contrat et ceci même si la distance entre les deux sites n’est que de 25 km (pour considérer qu’il y avait modification du contrat de travail, les juges avaient tenu compte du nombre de changements de ligne et du temps de transport de 1h20 entre les deux sites ;
- les magistrats tiennent également compte de la topographie du terrain : il y a modification du contrat lorsque le nouveau site, distant du premier de 43 km, est uniquement accessibles par des routes départementales et se situe largement dans l’intérieur des terres. Également, ne sont pas situées dans le même secteur géographique deux communes, distantes de 51 km, reliées par une route assez sinueuse et fortement exposée en hiver à des conditions de circulation difficiles en raison des intempéries. Le temps de trajet, de l’ordre de 55 minutes à une heure quand les conditions de circulation sont normales, était sensiblement supérieur pendant toute une période de l’année comprise entre le mois de décembre et le mois de mars.
Ces règles ne valent qu’en présence d’un changement définitif ou de longue durée du lieu de travail. Le régime juridique est différent lorsqu’il s’agit d’un changement temporaire du lieu de travail.
L’affectation occasionnelle d’un salarié en dehors du secteur géographique dans lequel il travaille habituellement, ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique, ne constitue pas une modification du contrat de travail dès lors que trois conditions cumulatives sont remplies.
1) L’affectation doit être motivée par l’intérêt de l’entreprise. Cette exigence découle du principe d’exécution de bonne foi du contrat de travail. L’employeur étant présumé de bonne foi, c’est au salarié de démontrer que la décision de l’employeur a été prise pour des raisons étrangères à l’intérêt de l’entreprise. Le détachement temporaire du salarié n’est pas justifié par l’intérêt de l’entreprise lorsque celui-ci n’est nullement indispensable, ni urgent dans la mesure où son équipe a continué à travailler sur le chantier auquel il était affecté, qu’il ne s’agissait donc pas de devoir renforcer des équipes. Lorsque le détachement temporaire porte atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale, l’employeur doit démontrer que l’atteinte à la vie personnelle et familiale est justifiée par la tâche à accomplir et est proportionnée au but recherché.
2) Elle doit être justifiée par des circonstances exceptionnelles. En exigeant de l’employeur qu’il justifie d’une circonstance exceptionnelle, les juges semblent limiter la possibilité d’imposer un changement temporaire du lieu de travail à des cas très particuliers. La fermeture d’un établissement pour travaux répond à cette définition. L’idée sous-jacente est que ces affectations temporaires ne doivent pas être utilisées comme un mode de gestion habituel du personnel.
3) Le salarié doit avoir préalablement été informé du caractère temporaire de l’affectation et de sa durée prévisible, dans un délai raisonnable. L’exigence d’information est donc double. Un délai raisonnable doit s’écouler entre le moment où le salarié est informé de son affectation occasionnelle et le moment où il est effectivement envoyé à son nouveau lieu de travail. Cette notion de délai raisonnable s’apprécie notamment en fonction de l’importance du changement et de sa durée. Plus le changement sera important (ex : une affectation occasionnelle très éloignée du lieu habituel de travail), plus l’affectation temporaire sera longue et plus le délai de prévenance à respecter devra être conséquent. En cas de retard dans la réaffectation du salarié dans son lieu de travail initial, l’employeur a tout intérêt à l’avertir, le plus tôt possible, de la nouvelle date prévisible de la fin de cette affectation. À défaut d’être prévenu dans un délai suffisant du prolongement de son affectation occasionnelle, le salarié pourrait exiger son retour dans son lieu de travail habituel.
Si l’une de ces trois conditions fait défaut, il s’agit d’une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié.
À l’opposé, si ces trois conditions sont remplies, le salarié ne peut, en principe, refuser l’affectation occasionnelle sous peine de licenciement.
Attention toutefois, si l’affectation occasionnelle modifie un élément du contrat de travail (rémunération, durée du travail, changement d’employeur…), l’accord du salarié est nécessaire.