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07 / 01 / 2011
Rémi Aufrere-Privel / Membre
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35 heures : Manuel Valls (PS) propose de « déverrouiller » et provoque un débat contradictoire

Était-ce un positionnement médiatique opportuniste dans le calendrier de ce début d'année et/ou la volonté de provoquer un débat fort peu actuel selon les nombreuses réactions?

Telle est sans doute la question majeure provoquée par la proposition du Député-maire socialiste d'Evry, Manuel Valls (classé « à droite » du parti), qui a indiqué la nécessité de « déverrouiller les  heures ». Il a ajouté défendre l'idée « d'augmenter de 2 ou de 3 heures la durée légale du travail et donc le salaire d'autant, en supprimant également le dispositif sur les heures supplémentaires, en tout cas une partie ».

Les réactions n'ont pas manqué. D'abord côté gouvernemental, plusieurs ministres (MM. Baroin, Bertrand...) n'ont pas manqué d'indiqué que les 35 heures (« façon Aubry ») étaient déjà mortes et enterrées avec les nombreux assouplissements contenus dans les nouvelles lois depuis 2007 (notamment la loi TEPA), qui encouragent les heures supplémentaires en subventionnant à un niveau élevé les entreprises (par suppression de cotisations sociales patronales).

Le Ministre du Travail, Xavier Bertrand, n'a pas manqué de souligner qu'avec un relèvement de la durée légale du travail au-delà de 35 heures, les salariés y perdraient « dans la minute sur leur fiche de paie », jugeant que le « vrai débat » devait plutôt porter sur le coût du travail.

Il se met ainsi en opposition avec le dirigeant de l'UMP, Jean-François Copé, qui prône la mort des 35 heures sans préciser les moyens d'y parvenir.
 

  • Car force est de reconnaître que le débat très iconoclaste posé par Manuel Valls n'est demandé par personne, en tout cas chez les partenaires sociaux (patronat et syndicats).

Côté syndicats


Côté syndicats, la réplique a été à la hauteur de l'attaque et probablement amplifiée par le récent et long conflit sur les retraites.

François Chérèque, secrétaire de la CFDT, conseille ni plus ni moins à Manuel Valls, qui « voudrait faire en sorte que les gens puissent travailler plus longtemps sans faire d'heures supplémentaires, pour une fois dans sa vie, de passer quelque temps dans les entreprises et d'en parler avec les salariés ».

Et il complète en précisant que « quand une bêtise est abordée par un homme politique de droite, elle reste une bêtise quand elle est abordée par un homme politique de gauche ». Puis il conclut que « ces propositions (étaient) celles d'apprentis sorciers, ambitieux pour eux, mais dangereux pour le pays et l'économie ».

« Augmenter le temps de travail dans un pays qui compte quatre millions de chômeurs, dans une Europe où la croissance est atone, c'est provoquer une explosion du chômage, accroître l'exclusion sociale, éloigner les jeunes de l'emploi », selon lui.

La CGT n'est pas en reste en répondant au parlementaire socialiste (par ailleurs candidat déclaré aux primaires pour l'élection présidentielle) en dénonçant « avec la plus grande fermeté cette offensive visant une fois encore à culpabiliser les salariés en arguant des coûts excessifs du travail » et appelé « à résister à toute velléité d'aggravation des conditions de vie et de travail qu'entraînerait la remise en cause des 35 heures ».

Pour la CGT, il faut « revoir les politiques de l'emploi, de conditions de travail et du temps de travail », ainsi que « les exonérations de cotisations dont bénéficient les entreprises », plutôt que de lancer « une attaque en règle sur le temps de travail et les salaires ».

Quant à FO, son secrétaire général, Jean-Claude Mailly, s'est également élevé contre la remise en cause de la durée légale de 35 heures, « déjà détricotées », en défendant une révision de la politique d'allègements de cotisations sociales, et en affirmant son opposition à une éventuelle suppression de la durée légale au profit de négociations syndicats-patronat.

Côté patronat

Côté patronat, le silence domine compte-tenu des subventions que les entreprises perçoivent. Une situation évoquée sans détour par le président (libéral) du groupe UMP au Sénat, qui dévoile le silence car la situation actuelle « les arrange d'avoir des subventions ».

Et de poursuivre son raisonnement : « le contribuable peut-il indéfiniment payer en lieu et place des entreprises (...) les exonérations concédées soit par Mme Aubry entre 2000 et 2002, soit en 2003 par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, lorsque François Fillon était Ministre du Travail ? C'est une somme difficile à évaluer, qui, selon les points de vue, varie entre 15 et 20 milliards d'euros ».


Et de prendre date : « la question du temps de travail sera forcément au cœur des problématiques de 2012, pratiquement 40 % de l'impôt sur le revenu sert à payer les exonérations de charge liées aux 35 heures ».

Les politiques... suite

Pour les dirigeants socialistes et toute la gauche, cette sortie de M. Valls est véritablement un affront caractérisé.

Et de noter l'hommage « du vice à la vertu » (des 35 heures) concrétisé par les nombreuses félicitations des ministres du gouvernement Sarkozy-Fillon et des dirigeants politiques libéraux et conservateurs.

Ainsi, la liste des encouragements est un catalogue des principaux dirigeants de droite tels François Baroin, porte-parole du gouvernement, qui voit en Manuel Valls un « socialiste éclairé », ayant  « bien compris l'évolution de la société », et qui « n'a fait que déposer un bouquet de roses sur la tombe des 35 heures qui sont mortes et enterrées depuis longtemps ».

Il conclut en déclarant qu'il s'agit « d'une victoire idéologique pour Nicolas Sarkozy, pour la droite en général qui, dans l'opposition, a voté contre la loi imposée de manière doctrinale unilatérale... ».

Il a vite été rejoint par Alain Juppé, qui veut « abandonner purement et simplement » les 35 heures.

La Ministre de l'Apprentissage et de la Formation professionnelle, Nadine Morano, a déclaré « préférer l'autocritique de Manuel Valls à la mauvaise foi de Martine Aubry », estimant que le Député-maire socialiste d'Evry faisait « preuve de lucidité ».

Côté salariés


Personne ne peut encore dire ce que deviendra ce débat. Les salariés seraient sans aucun doute les premiers perdants de la fin des 35 heures, même « assouplies » par les textes récents.

Qu’adviendrait-il des réductions hebdomadaires du temps de travail et/ou des journées de RTT obtenues, dans le collège ouvrier comme chez les cadres, qui par ce biais, ont retrouvé un peu plus de temps libre (et souvent choisi comme des congés payés par accord d’entreprise ou par textes conventionnels) dans un temps de travail de plus en plus important au quotidien ?

Il ne faut pas oublier le contenu de la loi Aubry sur les 35 heures. D’abord, en privilégiant la négociation de son application dans chaque entreprise avec la désignation de salarié mandaté par les organisations syndicales.

Ces dernières ont souvent été contactées par les dirigeants d’entreprise pour mandater un de leur salarié pour négocier l’application des 35 heures (en l’absence de représentation syndicale). On ne compte plus les demandes patronales surtout auprès des syndicats les « moins représentés » dans certains secteurs (comme la CFTC, la CFE-CGC et FO). Si FO avait été prudente en instaurant le double mandatement (négociation puis signature, si accord), d’autres ont fait preuve d’une plus grande souplesse, ce qui n’a pas été à l’avantage des salariés.

Car les salariés ont bien payé l’application de la loi Aubry sur les 35 heures. D’abord par une plus grande flexibilité dans l’organisation du temps de travail avec la quasi généralisation de l’annualisation.

Ce qui a été longtemps en contradiction directe avec la revendication syndicale et progressiste d’une réduction hebdomadaire du temps de travail, en faisant remarquer qu’ainsi la pénibilité physique et mentale du travail est de facto réduite.

Ensuite, parce qu’une réduction hebdomadaire impliquait des créations plus nombreuses d’emplois, même s’il est reconnu que la loi Aubry a été créatrice de plus de 300 000 emplois nets.

La loi prévoyait aussi la « modération salariale », qui s’est souvent traduite dans les faits par un gel salarial sur une période allant d'une à trois années.

Sans omettre la fin de nombreux accords d’entreprise sur l’organisation du temps de travail.

S’il est vrai que la loi sur les 35 heures a renchéri le coût du travail de près de 14 % pour les entreprises, la productivité dégagée par les éléments de flexibilité et de « modération salariale » a gommé en un temps très court « l’effet 35 heures », pour ensuite devenir un élément dynamique de la productivité française. Ce n’est pas le moindre des paradoxes mais c’est une réalité qu’il convient de souligner.

Ainsi, les obsèques des 35 heures devraient être compensées par une augmentation salariale, puis une organisation plus rigide et plus favorable aux salariés du temps de travail pour ne pas sombrer dans un recul social et économique sans précédent. Sur ce sujet, la réaction syndicale et le silence prudent du patronat (qui perçoit aussi de larges aides publiques par réductions de cotisations sociales) sont symptomatiques du débat.

Quant à l’idée chère à la gauche (et aux syndicalistes) d’une plus juste répartition des profits en faveur des salariés, notamment par la réduction du temps de travail à 35 heures et en deçà, par un mouvement qui s’est dessiné aussi chez certains de nos partenaires européens (allemands etc.), Manuel Valls vient d’en exprimer son rejet, rejoignant sur ce point les dirigeants politiques les plus libéraux.

Il risque fort d’en payer le prix politique prochainement. À moins d’être un futur ministre de la majorité présidentielle actuelle.

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