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15 / 04 / 2016 | 219 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Fraudes, malversations, détournements constatés en entreprise : quel rôle pour le CHSCT ?

Médiator, Spanghero, UBS, HSBC, Luxleaks, NSA et plus récemment Volkswagen et Panama papers… Les affaires de corruption, de malversation ou de détournement et d’évasion fiscale touchant des entreprises se succèdent et les lanceurs d’alertes font régulièrement la une des médias.

 

Loi Sapin : la protection des lanceurs d’alerte reste à inventer

C’est dans ce contexte que le projet de loi « Sapin II » sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique a été exposée en conseil des ministres, mercredi 30 mars 2016. Or, compte-tenu des attentes fortes sur ce sujet, ce projet ne représente pas encore (à ce stade du moins) l’avancée escomptée. S’il a évidemment le mérite de proposer un statut protecteur au lanceur d’alerte, force est de constater que ce dernier n’est pas aussi ambitieux que celui contenu dans la proposition de loi déposée en décembre dernier par le député socialiste Yann Galut.

Certes, le projet prévoit que la mission d’accueil, d’orientation et de protection des lanceurs d’alerte pourra signaler une atteinte à la probité à la nouvelle Agence nationale de prévention et de détection de la corruption (et pas une agence nationale de l’alerte). Charge à celle-ci de les protéger. Pourtant, la définition des principes de la protection du lanceur d’alerte et, en particulier, la définition même du lanceur d’alerte ne sont pas encore dans cette loi même si la discussion devant les parlementaires aboutira certainement à de nouvelles avancées.   

De plus, le projet  évoque un régime spécifique de protection des lanceurs d’alerte dans le secteur financier, ce qui irait à l’encontre d’un statut unique. Ne sont pas non plus repris les principes de création, la protection du lanceur d’alerte face à toutes mesures de représailles suite au signalement de l’alerte avec, en cas de licenciement, la possibilité de recours à des mesures de référé conservatoire dans l’emploi, son indemnisation au regard du dommage moral et financier subi suite au signalement ou à la révélation de l’alerte. Le projet prévoit en revanche que les frais de justice en cas de poursuite ne seraient plus à la charge du lanceur d’alerte cependant aucune sanction pénale et disciplinaire n’est prévue pour ceux qui entraveraient l’alerte !

Enfin, le rôle du CHSCT n’est pas évoqué en tant que tel, alors que son action en matière de lancement d’alerte se révèle éminemment importante. Et pertinente.

 

Plus d’un tiers des salariés constate des pratiques qui vont à l’encontre de la loi.

Dans ce contexte, les amendements à venir constitueront un peu plus que de simples amendements puisqu’il revient aux parlementaires d’écrire en grande partie le statut protecteur du lanceur d’alerte.

Selon la récente définition du Conseil de l’Europe (adoptée le 30 avril 2014), « toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail » est un lanceur d’alerte. Ils ne sont donc pas des professionnels de l’alerte à l’instar des  journalistes, des avocats, voire des juges ou des policiers.

Pourtant, les lanceurs d’alerte jouent un rôle essentiel, la plupart du temps au risque de leur carrière et de leur équilibre personnel et familial. Derrière ces scandales ou la personnalité de ceux qui alertent l’opinion, des salariés et des collectifs de travail sont avant tout concernés, montrés du doigt ou emportés dans la tourmente. Avant d’être des faits divers, ces histoires sont d’abord affaires de travail.

À quoi les salariés sont-ils confrontés dans leur travail quotidien et ont-ils les moyens de lancer l’alerte ? Sur qui s’appuyer ? Comment éviter les représailles ? Le CHSCT, fort de ses nouvelles prérogatives en matière de santé publique ou d’environnement, exerce-t-il son droit d’alerte ?

L’ampleur du phénomène interpelle d’abord : selon l’enquête menée en 2015 par le cabinet Technologia, 36 % des salariés ont constaté des décisions et des pratiques qui vont à l’encontre de la loi, du Code du travail ou des règles de leur profession.

Faisant état de comportements anormaux, 42 % des salariés insistent sur le non-respect de la sécurité ou de la réglementation. Viennent ensuite les mensonges, les dissimulations et faux rapports pour 37 %.

53 % des salariés français qui dénoncent des malversations les associent à un « conflit éthique » original, c’est-à-dire une situation où le salarié se trouve dans l’obligation d’effectuer des tâches contraires à ses valeurs.

Le choix de révéler les malversations observées procède donc fréquemment d’une posture d’ordre éthique, moral ou au nom de valeurs personnelles et par refus de participer, même indirectement (en s’abstenant de parler) à ces pratiques.

Une grande majorité déclare faire confiance aux procédures existantes dans leur entreprise pour détecter ces fraudes. Ces salariés comptent tout simplement sur le bon sens et le soutien de leur collègue ou de leur manager pour être protégés s’ils devaient donner l’alerte. Les salariés ont donc globalement tendance à en parler : cela concerne 62 % des personnes ayant constaté des actes délictueux. Ce qui se passe dans l’entreprise a donc pour vocation de rester essentiellement dans l’entreprise ; on ne va pas chercher de l’aide à l’extérieur. C’est là que le CHSCT peut intervenir. Il doit d’autant plus intervenir que 26 % des salariés dans l’enquête déclarent avoir été l’objet de pressions pour couvrir ou même participer à des fraudes. Cette volonté des fraudeurs et de ceux qui enfreignent la loi d’associer malgré eux d’autres salariés se comprend aisément (quand chacun est mouillé) ; le risque se réduit pour ceux qui recherchent cette omerta. Pour ceux qui ont constaté ces dérives, en revanche, cela paraît plus compliqué en demeurant seul à porter cette dimension. Voilà pourquoi  le CHSCT a un grand rôle à jouer en traitant (y compris de manière préventive) ce type de risques psycho-sociaux. En effet, participer contre son gré à des agissements répréhensibles en se laissant entraîner par faiblesse peut être très dangereux pour la santé mentale des personnes concernées.

 

Le CHSCT lanceur d’alerte

Élaborées rapidement entre 2007 et 2013, cinq lois complexes et opaques n’offrent aux salariés des secteurs publics ou privés que des protections disparates, selon les secteurs d’activités, et ne protègent pas toutes le lanceur d’alerte du licenciement.

Ces lois ont certes le mérite de faire qu’un cadre légal existe mais, en pratique, les changements sont minimes. Les lanceurs d’alerte sont toujours confrontés à des procédures longues (entre cinq et douze ans), qui plus est coûteuses. Lancer l’alerte rime encore trop souvent avec une forme d’exclusion sociale.

La loi n° 2013-36 du 16 avril 2013 « relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte », dite « loi Blandin », offre néanmoins la première définition restreinte du lanceur d’alerte. Elle instaure une protection pour les personnes physiques et morales (art. L1351-1CSP) qui signalent « des faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l’environnement », même si le licenciement est omis de la liste des protections.

Avec cette loi, il s'agit aussi de créer une culture préventive de l'alerte avec notamment un droit d'alerte accordé au représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

L’article. L. 4133-2 du Code du travail dispose que « le représentant du personnel au CHSCT qui constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe un risque grave pour la santé publique ou l’environnement en alerte immédiatement l’employeur ».

L’employeur examine la situation conjointement avec le représentant du personnel au CHSCT qui lui a transmis l’alerte et l’informe de la suite qu’il réserve à celle-ci.

Ces nouvelles prérogatives sont assorties de mesures de protection spécifiques : le CHCT doit aussi être informé spécifiquement des alertes lancées et des suites données. S'il y a litige sur le bien-fondé ou la suite donnée à l'alerte par l'employeur, le représentant du personnel au CHSCT pourra même saisir le préfet.

Cette possibilité permet de dépasser le caractère individuel du lanceur d’alerte.C’est donc le maintien de la capacité des salariés à fournir un travail de qualité qui est au cœur de la transformation du CHSCT en lanceur d’alerte. Le CHSCT devient ainsi un peu plus un véritable lieu de débat et d’alerte sur le travail. En effet, instance représentative du personnel, le CHSCT est protégé et peut faire cesser des problèmes identifiés par des salariés en les portant à l’extérieur de l’entreprise. Cette possibilité permet de dépasser le caractère individuel du lanceur d’alerte et d’offrir un cadre collectif aux problèmes posés individuellement.

Bien sûr, ce nouveau rôle dévolu au CHSCT a ses limites, concernant son champ d’application notamment : seules les entreprises de plus de cinquante salariés sont concernées puisque le CHSCT n’existe qu’à partir de ce seuil. De plus, dans certaines affaires, de fortes pressions ont pu être exercées sur le CHSCT. Par exemple lorsque le risque grave qui justifie une alerte est mis en balance avec le risque économique que cela fait courir à l’entreprise. Le CHSCT se trouve alors dans une position difficile, obligé d’arbitrer entre deux impératifs opposés.

En dépit de ces obstacles, le CHSCT se trouve dorénavant doté d’un véritable pouvoir d’alerte, dont on peut espérer qu’il hésitera moins à l’utiliser que certains salariés, par nature plus isolés et donc hésitants.

Il convient de souligner que le lancement d’alerte et la nécessaire protection des lanceurs d’alerte est éminemment l’affaire des partenaires sociaux et donc du CHSCT. Aussi nécessaire et utile soit-elle, l’action des ONG ne saurait en effet se substituer au dialogue social et au rôle des instances représentatives du personnel. C’est pourquoi la future loi dite « Sapin II » doit garantir une protection optimale des salariés, en réaffirmant le rôle important du CHSCT en tant que lanceur d’alerte. À travers le dialogue social et de ses instances du personnel, l’entreprise peut trouver les moyens de faire émerger et de traiter les problèmes constatés par les salariés. À cet égard, le CHSCT occupe un rôle central dans l’expression des alertes, puisque la protection collective reste toujours la plus efficace.

Parallèlement à l’adoption de ces différentes lois, depuis 2005, la CNIL autorise, sous son contrôle pour éviter les risques de délation, les entreprises à créer un dispositif d'alerte éthique, en complément de la voie hiérarchique, des fonctions de l'audit et des représentants du personnel. Le périmètre est borné au signalement des « faits graves de nature comptable ou financière, de lutte contre la corruption ou encore relatifs à des manquements au droit de la concurrence ». Numéro de téléphone ou adresse électronique, quelque 3 100 entreprises ont déclaré un tel dispositif à la CNIL. Mais le flou le plus total demeure sur leur utilisation et leur efficacité : si certains dispositifs  semblent bien fonctionner, aucun bilan global n’existe pour autant. Et le secteur public n’est pas concerné par ce type de dispositif.

 

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