Organisations
Formation : disparition du CIF ou du CPF (IIème partie)
Comme on l'a vu précédement, le compte personnel de formation (de même que le conseil en évolution professionnelle) ne fonctionne pas ou très mal en entreprise.
Le temps d'apprendre, le temps de comprendre, le temps de changer
En démantelant le DIF en 2014, les pouvoirs publics n'ont pas seulement tué un dispositif original de co-construction (et de coresponsabilité) sociale et éducative mais ils ont pris le risque de casser la dynamique éducative qui se mettait en place depuis une dizaine d'années en entreprise (dynamique à laquelle il ne manquait que les fonds nécessaires à la généralisation du DIF).
En France, il faut environ 20 ans pour qu'un dispositif de formation soit connu et utilisé.
Le plan de formation a mis entre 8 et 10 ans pour être adopté dans les entreprises après son inauguration en 1971 et encore de nombreuses PME n'en ont pas réellement (ne parlons pas de cette fantasmatique GPEC), le CIF a mis plus de 10 ans (et quelques ajustement) pour démarrer et les bilans de compétences n'ont pas été généralisés avant 10 ans (ils sont nés à la fin des années 1970, lors des restructurations dans la sidérurgie).
Le droit individuel à la formation avait 10 ans. Il était connu et reconnu en entreprise. Il ne lui manquait que des fonds (12 milliards d'euros et non 200 millions) et quelques aménagements de forme (sur les temps de la formation et l'accord de l'employeur).
À son rythme actuel de développement (1 % en 2016, 2 à 3 % en 2017) et malgré son financement triplé (3 milliards au lieu de 1 actuellement), le CPF est condamné à végéter.
- Le CPF est condamné à végéter parce qu'un compteur formation est non seulement inutile mais contre-productif pour se former (la formation n'est pas une épargne).
- Le CPF est condamné parce qu'il ne peut être financé à hauteur des 10 à 15 milliards nécessaires à une formation certifiante et généralisée (à 30 millions d'actifs).
- Le CPF est condamné parce qu'il ne libère pas la formation mais l'enserre dans un tissu de contraintes (la certification et la planification des mois à l'avance) empêchant tout développement.
- Enfin, il est condamné parce qu'il imite le CIF (tout en prétendant désormais l'absorber) sans apporter le moins du monde le capacité d'évoluer professionnellement.
Quitte à choisir entre le maintien en survie (artificielle) du CPF et la restructuration (nécessaire) du CIF les pouvoirs publics ne devraient pas hésiter.
Le ministère du Travail accuse le CIF de coûter trop cher, de bénéficier à trop peu de personnes et d'avoir été détourné de ses objectifs premiers qui étaient la promotion professionnelle et pas la reconversion vers d'autres métiers.
Les Français veulent aujourd'hui majoritairement changer de travail.
Selon une enquête récente pour AEF, près des deux tiers des Français souhaitent changer de travail. Est-il bien raisonnable de leur retirer le seul dispositif permettant de changer de travail sans passer par la case chômage ?
Ce qui manque aujourd'hui dans le monde du travail, c'est la mobilité. L'avancement à l'ancienneté et les multiples règles du Code du travail (à peine allégées depuis les lois El Khomry) protègent les salariés en les enfermant à vie (ou presque) dans des tâches, des organisations ou des destins professionnels dont ils ne parviennent à s'extraire que hors du salariat.
En reconstruisant un CIF modernisé et capable d'accompagner de nombreuses reconversions, le CPF pourrait être transformé en simple et modeste dispositif court pour développer ou maintenir les compétences (ce qu'a toujours été le DIF).
À côté du dispositif réellement individuel du CIF remanié (raccourci et réalisé sur le temps non travaillé), il faut un dispositif simple disponible à la fois pour la compétitivité de l'organisation et le développement des compétences de ses salariés, ce dispositif d'une vingtaine d'heures par année (ce que permet le CPF) doit en revanche abandonner la logique nuisible du compteur de formation.
Ce dispositif du CPF peut facilement êre remanié, perdant sa possibilité de compter les heures (compter n'est pas former) pour devenir (à l'image des chèques restaurant) un simple chèque professionnel de formation (dématérialisé sur smartphone si l'on veut faire moderne), permettant à chaque salarié (en accord avec son employeur) de bénéficier de 25 à 50 heures de formation (sur le temps personnel : RTT, congés payés, soirées, weekends...).
Ce chèque professionnel de formation serait un vrai co-investissement financé par le salarié et par son employeur (exactement comme le chèque restaurant), valide sur une seule année civile et déductible des impôts l'année suivante.
Le triple avantage du chèque professionnel de formation est :
- un co-investissement et une co-décision employeur/salarié (chacun paie sa part, le salarié prend sur ses RTT), les coûts sont des investissements en formation de part et d'autre ;
- la fin de la complexité (une mutualisation trompeuse et sans le sou, des compteurs inutiles et qui stockent les problèmes de compétences au lieu de les résoudre) ;
- la fin du plan de formation obligatoire (qui figeait et réduisait la formation) ne prenait pas en compte les besoins des individus et correspondait à des temps industriels passés.
Faire les poches du CIF pour alimenter un CPF évanescent ne permettra pas de relancer la formation.
Au lieu d'imaginer la disparition du CIF, les pouvoirs publics devraient réfléchir à un CIF modernisé (500 000 à 1 million de CIF par an) et à un CPF sans compteur.