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22 / 06 / 2021 | 406 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Ballon

Télétravail : la meilleure des préventions passe par la négociation de l’organisation du travail

L’obligation de prévention visant à garantir une sécurité ne saurait être allégée pour les télétravailleurs. Cela passe par l’acceptation de mettre l’organisation du travail sur la table des négociations des accords d’entreprise. Retour sur les échanges du direct du 4 juin dernier, organisé avec le groupe Orseu/Ethix et le cabinet Colin Gady Puissant Avocats. 
 

« Qu’est-ce qu’un risque grave à domicile ? », s’interroge Jean-Pierre Yonnet, directeur général du groupe Orseu/Ethix en introduction d’un riche échange en ligne sur la place de la prévention des risques dans les accords de télétravail. « Celle-ci a juste été maintenant un angle mort car le télétravail était considéré comme une concession de l’employeur au bénéfice d’une meilleure conciliation des temps. Là, nous sommes face à un renversement complet de perspective avec des employeurs qui sont désormais majoritairement à la demande des négociations sur le télétravail. Il y vraiment matière à actualiser les accords existants tant il faut désormais faire du sur-mesure pour appréhender un nouveau cadre qui va se découvrir petit à petit », poursuit Jean-Pierre Yonnet.


Dans l’ANI sur le télétravail de 2005, un seul article concernait la santé au travail et il a fallu attendre 2012 pour qu’une loi introduise des obligations positives pour les employeurs comme les entretiens annuels pour faire le point sur la charge de travail. Le nouvel ANI de novembre 2020, étendu le 13 avril 2021, va plus loin dans la formalisation d’obligations qui restent très générales comme, par exemple, l’obligation de formation et d’information des salariés ou la préservation du lien social.

Coller à la réalité du travail

« Sauf que le comment faire n’est pas expliqué. Les directions ont dès lors tout intérêt à affiner ces obligations de prévention par la négociation, pour coller à la réalité du travail. La marche à monter est importante mais s’impose car la notion de lieu de travail en télétravail reste à baliser juridiquement. Le champ de la preuve va s’élargir. Il serait utile de cadrer dans les accords les règles en matière d’enregistrements des entretiens en ligne et des visio-conférences », rebondit Élodie Puissant, avocate au sein du cabinet Colin Gady Puissant Avocats. Ainsi, 51 % de la centaine de répondants au sondage en ligne que nous avons posé lors du direct considèrent que la prévention des risques n’est précisément pas intégrée dans leur accord télétravail. Dans 66 % des cas, aucun budget spécifique n’est prévu pour équiper les télétravailleurs de fauteuils ergonomiques à domicile. « Je ne comprends pas l’avarice de certaines directions au regard du coût d’un fauteuil et de celui d’une maladie professionnelle », lance Jean-Pierre Yonnet. Chez BPCE, l’accord de télétravail de décembre 2020 qui concerne les 8 700 salariés des fonctions d’assistance prévoit entre 4 et 10 jours de travail hors site par mois et un équipement complet (écran 24 pouces, clavier et même sac à dos pour l’ordinateur portable de 13 pouces) tandis que l’employeur co-finance un fauteuil ergonomique à 50 %. Les salariés déclarent sur l’honneur télétravailler dans un espace spécifique adapté. « On ne tient pas à être intrusif car cette notion d’espace adapté est subjective. Même si cela ne devrait pas être fait, je peux comprendre que quelqu’un préfère télétravailler même dans des conditions pas optimales plutôt que de passer trois heures dans les transports », souligne Valère Lerouge, délégué syndical UNSA BPCE, qui précise que la direction a directement joué la transparence en affirmant sa volonté de mettre du flex-office en place.

L’occasion d’enfin négocier l’organisation du travail

Nul doute que la jurisprudence en matière d’accident du travail en télétravail va s’étoffer. Quid du flou entre accident du travail et accident domestique si le télétravailleur chute dans son escalier, par exemple ? Au-delà des risques physiques, comment prévenir les risques psychosociaux en préservant les liens sociaux, limitant la fatigue des usages numériques et en régulant des charges de travail de plus en plus fractionnées. « C’est enfin l’occasion de négocier l’organisation du travail. La meilleure des préventions passe par là. Lors du premier confinement, il a été révélateur de voir des directions découvrir ce que faisaient leurs salariés au jour le jour, au delà du prescrit », considère Aurélie Korber, chef de projet chez Orseu, qui met en garde sur une forme d’injonction au télétravail de certaines directions soucieuses de réduire les coûts. 
 

Les employeurs trouveront-ils matière à se décharger d’une partie de leur responsabilité sous prétexte que le télétravail est volontaire ? « La déclaration sur l’honneur ne pèsera pas lourd au tribunal s’il s’avère que les conditions de travail étaient vraiment très dégradées dès lors que l’obligation de sécurité de l’article L.4121-1 du Code du travail pèse sur l’entreprise », avertit Élodie Puissant qui considère qu’il ne peut pas y avoir de co-responsabilité entre le salarié et l’employeur. Et Jean-Pierre Yonnet de proposer que « les accords trouvent des solutions adaptées pour garantir la qualité du travail à domicile. Un dossier photographique est une solution parmi d’autres.» 

Quel suivi ?

Si l’organisation du travail paraît être le pivot des négociations, quels sont les moyens de suivi des représentants des salariés en mode CSE, avec des ressources humaines réduites ? « Tous les élus doivent se sentir concernés par les conditions du télétravail. Chacun doit se considérer comme un relais par rapport à son environnement professionnel », explique Valère Lerouge. Pour Aurélie Korber, « c’est clairement un rôle que les représentants de proximité pourraient assurer, notamment sur les réseaux sociaux de l’entreprise ». Encore une occasion pour les élus de prendre place virtuellement, pour aller à la rencontre des télétravailleurs, avec le temps pour le faire. Au final, le télétravail est un champ privilégié pour des accords riches et surtout sur mesure dans les petites comme les moyennes ou les grandes entreprises.