Fédérer les intervenants en prévention des RPS, oui, mais sur quel projet ?
Un groupe de travail réunissant des consultants (Technologia, Stimulus, VTE, Omnia et Psya) accompagne depuis quelques mois la DGT (Direction Générale du Travail) sur la rédaction d'un cahier des charges destiné à encadrer l'intervention de prévention sur les risques psychosociaux. L'ANACT et l'INRS sont également associés à cette tâche.
Le 10 décembre dernier, la DGT avait réuni les consultants et intervenants du secteur pour présenter et amender ce document de cadrage.
Dans le cadre de cette rencontre, la DGT a offert l'occasion de présenter publiquement une première version d'une « fédération des intervenants en prévention des risques psychosociaux », organisée autour de 6 cabinets (Artélie Conseil, Capital Santé, IAPR, IFAS, Stimulus et Psya).
Au vu des très vives réactions lors de cette présentation, le secrétaire général de cette fédération a déclaré, puis confirmé plus tard, qu'il fallait considérer le bureau actuel comme démissionnaire.
Quels ont été les craintes et les doutes formulés ?
- L'indépendance de cette fédération vis-à-vis des pouvoirs (politique, financier, direction de l'entreprise).
- La mise en avant de critères qui clivent plus qu'ils ne fédèrent.
- Le doute sur la capacité de ce rassemblement jugé « opportuniste » à agir au nom de l'intérêt général.
Certes, la présentation assez grossière des objectifs de la fédération ce jour-là n'a pas aidé à sa crédibilité, mais le contraste est tout de même saisissant entre la réflexion coproduite sous l'animation de la DGT et ce qui a été présenté au nom des « grands cabinets » rassemblés dans la fédération première version.
Cette fédération mal conçue est donc morte-née nous affirme-t-on... Dont acte.
Quelles leçons tirer de ce qu'il s'est passé ?
À mon sens, le défi d'un projet de fédération sur notre activité si particulière, tient à sa capacité à organiser la profession en assumant et en maîtrisant le débat sur le rapport entre les incidences des transformations du travail (notamment) sur la santé et les exigences induites en termes de posture pour les intervenants. Au niveau du secteur professionnel, fuir le débat sur le travail, c'est inévitablement renforcer les risques de dérive gestionnaire et de psychologisation à outrance, qui constituent sans doute aujourd'hui la plus grande menace pour l'activité des intervenants ou consultants que nous sommes.
- Il est frappant de constater que beaucoup d'acteurs de la prévention RPS se disent aujourd'hui convertis à la prévention primaire, celle qui tente d'engager la réflexion sur l'organisation du travail. Le cahier des charges bientôt proposé par la DGT sera néanmoins bienvenu et devrait aider à franchir un pallier, en impliquant le cabinet sur des modalités participatives. Espérons qu'ainsi les déclarations d'intention seront un peu suivies d'effets.
Il y a quelques années, au vu de la prise en compte des problèmes de harcèlement, on pouvait craindre une dérive à l'américaine sur la question des RPS, un risque de dérive de « juridiciarisation » des problèmes psychosociaux.
Demain, c'est contre deux risques d'une autre nature, qui quelques fois s'entremêlent, qu'il nous faudra lutter pour conserver la pertinence et la crédibilité de nos démarches aux yeux des salariés :
- Le risque de dérive gestionnaire
Le risque de dérive gestionnaire, bien réel lorsqu'il permet d'aider à produire des données, des indicateurs, des tableaux de bord, pour les DRH qui en sont si friands, sans jamais insister sur les conditions concrètes de débats à instaurer autour de ces indicateurs pour qu'ils prennent sens. Faut-il rappeler que les indicateurs sur le sujet ont (en tant que tels) un caractère prédictif très limité ? Faut-il faire semblant de croire en enfumant les décideurs (qui ne demandent qu'à se laisser convaincre) que la production de ces données garantira quoi que ce soit, si elle ne fait pas l'objet de controverses internes sur le travail ? Ce qui sécurise l'intervention sur la prévention des RPS, c'est le débat, pas les chiffres.
- Le risque de psychologisation à outrance
Le risque de psychologisation à outrance est bien connu. Il est analysé depuis plus de 30 ans par les sociologues. Il est plus que jamais d'actualité et bien réel, dès qu'il permet la prise en charge de salariés fragilisés (sans réflexions ni véritables débats en interne) par les transformations du travail. Faut-il rappeler que l'intensification du travail, l'excès d'individualisation, l'implication subjective du salarié de plus en plus exigée dans un contrat implicite, le recul des collectifs, la faiblesse de la capacité critique tendent à favoriser cette tendance ? La réelle nouveauté sur le sujet serait un peu de clairvoyance et la recherche d'équilibre, manifestée par exemple dans une impossibilité de proposer durablement à l'entreprise des n° verts, dont on sait qu'ils permettent surtout d'éviter le débat sur ce qui pose problème.
À mon sens, le défi pour les années qui viennent pour les intervenants RPS se résume dans la maîtrise de deux questions importantes.
- La capacité d'assumer le débat sur l'articulation concrète des réponses de différents niveaux de prévention, afin de conduire en sécurité l'entreprise à un questionnement sur le fond, sans pour autant rejeter l'impératif d'intervention à chaud. Comment fait-on pour cela ?
- La capacité à maîtriser les critères d'évaluation, sans concessions, sur ce que produisent nos interventions de prévention sur les RPS.
Si la fédération à venir ne peut assumer le débat sur ces questions de fond, il est vraisemblable qu'elles se poseront avec toujours plus de force. Dans ce cas, elles devront trouver des réponses à l'extérieur, car l'ambition de notre activité créera en permanence ce besoin d'analyse.
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia
- Relations sociales
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C'est le débat qui compte PLUS que les chiffres!
"Ce qui sécurise l'intervention sur la prévention des RPS, c'est le débat, pas les chiffres"
Oui et Non , je vous proposerais une écriture différente " ce qui sécurise l'intervention sur la prévention des RPS, c'est le débat , plus que les chiffres"
Il faut les 2 , un débat qui n'aboutirais pas sur une quantification d'objectifs chiffrés laisse planer un sentiment d'a peu près dans une organisation économique ou publique.
Un tableau de bord chifffré bourré d'indicateurs virtuels que l'organisation cherche à atteindre sans avoir parlé du travail, son contenu, son organisations, ses relations, son sens, est voué à la barbarie gestionnaire.
La conciliation des 2 objectifs que vous citez implique me semble t'il cette remarque, sinon vous tombez dans le paradoxe en singularisant une dérive plutôt qu'une autre.
merci pour votre analyse sur feu la FIRPS dont je retiens surtout le côté bricolage et impréparation, ce qui est inquiétant pour les TOP 6 du secteur, comme si il y avait urgence face à un danger imminent.
De plus le contraste comme vous l'avez souligné était édifiant avec la volonté de la DGT de bien préparer cette action visant avant tout les professionnels intervenants.
On en saura peut être plus un jour mais c'est désormais anecdotique .