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ESS : l’heure est grave mais, espérons, pas désespérée !
« L’heure est en effet suffisamment grave pour que « l’économie autrement » ne s’auto-limite pas à être un supplément d’âme pour militants alternatifs ou professeurs d’économie atterrés. Elle doit très vite devenir une ardente obligation de tous : producteurs, consommateurs et épargnants mais aussi, c’est loin d’être gagné, celle de dirigeants économiques, politiques, syndicaux ou associatifs ».
De nouveau, notre ami Hugues Sibille, ancien délégué interministériel à l’économie sociale, fait le bon constat.
Il y a dix ans, un autre ami, Thierry Jeantet, posait clairement l’économie sociale comme « alternative au capitalisme ».
C’est bien là la bonne question. La réponse y serait une mise en cohérence de l’action des institutions et des entreprises avec les valeurs dont elles se revendiquent. Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas. Avec la présentation du « pacte de croissance de l’économie sociale et solidaire », nous avons vécu un « grand moment », de ceux qui vous pousseraient à endosser un gilet fluorescent pour exprimer une certaine colère et un certain désespoir.
Que les gouvernants sont bêtes de vouloir jouer aux « premiers qui…» ou alors la présentation du plan aurait dû être interdite aux plus de vingt ans tant il comporte des mesures anciennes réitérées par tous ceux qui les ont précédés.
L’exemple le plus caricatural est celui des « référents de l’ESS au sein des services de l’État ». Je me souviens (privilège de l'âge) avoir été désigné pour être missi-dominici économie sociale en Corse mais resté à quai de par la démission de Michel Rocard. C’était en 1982 ; je me souviens des réseaux de correspondants qu’animait avec foi et patience notre camarade Scarlett Wilson-Courvoisier.
Qu’est-ce que « relancer un agenda européen de l’ESS ? », sinon un vœu pieux souvent exprimé ? Même les fonds d’intervention de la BPI sont choses anciennes et le pacte de croissance lui-même n’est qu’une version du « scale me up » de Martine Pinville.
Quant à la bannière « French Impact », tel le panache blanc du « bon roy Henry », proposons aux Français qui protestent ces jours-ci de s’y rallier !
En outre, le Haut-Commissaire semble de nouveau vouloir se substituer aux instances de l’ESS pour imposer une représentation unique (l’appellation « MEDES » figure dans une interview au Journal du dimanche).
Quel modèle social et solidaire que l’organisation patronale ! La presse ne s’y est pas trompée qui semble avoir porté plus d’attention aux mesures associatives présentées le même jour par Gabriel Attal, et Les Échos parlent d’un « plan gouvernemental pour l’économie sociale et solidaire jugé sans consistance ».
Mais le fait le plus marquant et qui nous réjouit est que de grandes voix de l’ESS se sont exprimées pour dénoncer une méthode pleine de suffisance et un contenu plein d’insuffisances, ainsi que des instances comme ESS-France qui ont abandonné la satisfaction béate à laquelle elle nous avait habitués pour l’expression de réserves bienvenues.
Malgré tout, cela exprime des temps difficiles à venir pour l’ESS. Au-delà des gesticulations sur « l’entreprise à projet » et autres habillages, les développements du capitalisme de plus en plus financiarisé sont, de plus, « excluants » et « désintégrants ».
Il est temps que les dirigeants de l’ESS choisissent leur camp.Un gouvernement ayant pour lui toutes les grâces lui sert de bouclier en subissant l’assaut de « gilets jaunes », reportant sur l’État et l’impôt leur colère contre des politiques qui servent ce capitalisme et lui permet à l’envi de réduire salaires et « charges » tandis que les dividendes et les hautes rémunérations explosent.
Dans le même temps, ce gouvernement démantèle les institutions sociales et les outils de solidarité et, plus grave encore, il laisse se corroder les ressorts de la démocratie en favorisant de fait la montée des forces populistes, identitaires et xénophobes.
Il est temps que les dirigeants de l’ESS choisissent leur camp au-delà de leur communication sur les valeurs, la solidarité et la démocratie. Il est temps qu’ils mettent au service des Français la puissance d’un secteur qui, selon leurs revendications, pèse « 10 % du PIB ». De nouveau, ce ne sont pas les convictions qui sont en cause (beaucoup parmi eux partagent nos inquiétudes et nos aspirations) mais leurs choix stratégiques
Pour l’heure, il est clair que l’ESS, ses adhérents et ses publics sont de fait dans le camp des perdants. Il est temps qu’elle prenne place auprès de ceux qui travaillent à une profonde transformation sociale.