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06 / 01 / 2017
Jacky Lesueur / Abonné
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Droit à la déconnexion : la loi El Khomri reste connectée aux entreprises

Non, la loi sur le travail ne rend pas obligatoire l’application du droit à la déconnexion. Elle oblige les partenaires sociaux à en faire un point de la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail. Elle redonne la main à l’employeur en cas d’échec.

Evelyne Salamero revient sur ce dossier cette semaine pour FO-Hebdo, afin d'y voir plus clair.
Selon l’article 55 de la loi El Khomri, l'objectif est de définir les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. Une charte n’a aucune valeur juridique contraignante.

Outre que la NAO sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail ne concerne que les entreprises d’au moins 50 salariés, la loi El Khomri prévoit qu’en cas d’échec de cette négociation l’employeur reprenne la main en élaborant unilatéralement une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.

Ce type de document, le plus souvent composé de formules très générales et approximatives, n’a aucune valeur juridique contraignante, hormis dans le cas où il prévoit des sanctions à l’encontre des salariés et qu’il est de ce fait annexé au règlement intérieur de l’entreprise. Une charte relève en effet de ce que l’on appelle le « droit mou », c’est-à-dire que si elle peut être produite dans le cadre d’un procès, elle n’a en réalité qu’une valeur morale qui peut ou non influencer le juge.

Aucune sanction n’est d’ailleurs prévue à l’encontre des entreprises qui n’élaboreront pas de charte.

Droit à la déconnexion et forfait-jours : l’employeur garde aussi la main

Le forfait-jour permet de rémunérer les salariés sur la base d’un nombre de jours travaillés dans l’année, sous prétexte de leur laisser plus d’autonomie dans l’organisation de leur temps de travail. Toute référence au nombre d’heures effectuées disparaît. Toute journée ou demi-journée qui comporte du temps de travail est une journée ou une demi-journée travaillée. Ce système peut s’appliquer à des cadres depuis la loi Aubry de 2000 (mais aussi à des non-cadres depuis 2005) dont l’activité leur laisse une certaine autonomie dans l’organisation du temps de travail.

Mais l’autonomie peut se payer cher, surtout à l’ère des smartphones, tablettes et ordinateurs portables qui permettent de travailler et de communiquer avec son employeur depuis n’importe où et à n’importe quelle heure. Entre 2007 et 2011, la durée de travail des salariés au forfait-jours avait ainsi déjà augmenté de plus de 120 heures, soit 2,4 heures de plus par semaine, indiquait l’Union des cadres et ingénieurs FO en 2014.

Pour pouvoir être mises en œuvre, les conventions individuelles conclues entre l’employeur et les salariés pour fixer leur forfait-jours doivent être autorisées et encadrées par un accord collectif d’entreprise, ou (à défaut) de branche.

Depuis 2011, la Cour de cassation en a invalidé plusieurs, estimant qu’ils ne garantissaient pas suffisamment le droit à la santé et au repos des salariés.

La loi El Khomri prétend répondre à cette préoccupation. Elle établit notamment que les accords collectifs autorisant le recours au forfait jour doivent préciser les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.

En réalité, l’employeur garde la main puisqu’à défaut de ces dispositions conventionnelles, les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l’employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés.

Et la charge de travail ?

Laisser le choix des modalités d’application du droit à la déconnexion à la seule appréciation de l’employeur est d’autant plus dangereux pour les salariés, que la loi ne donne aucune définition de ce qu’est ce droit, de ce qu’il recouvre et n’établit aucun lien direct avec la charge de travail et l’organisation collective du travail.

Les entreprises auront beau jeu de se dédouaner en instaurant un droit à la déconnexion, tout en maintenant des objectifs démesurés que le salarié, notamment dans un contexte de suppressions d’emplois et de pression accrue des actionnaires, ne pourra remplir qu’en restant connecté à des heures indues, ce qui pourra en prime lui être reproché.

La déconnexion n’est pas qu’une affaire de droit. Si les gens se reconnectent, c’est parce que la charge de travail est trop importante, souligne Philippe Juza de FO-com, qui a participé à la négociation de deux accords « complémentaires » chez Orange (l’un sur la méthodologie de l’évaluation et l’adaptation de la charge de travail et l’autre sur l’accompagnement de la transformation numérique) respectivement signés par FO en juin et septembre derniers. On ne peut pas parler de droit à la déconnexion, sans parler aussi de l’organisation du travail et du management, insiste-t-il.

Le piège

Outre les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion, la loi stipule que la charte devra prévoir la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.

Ici, le ver est dans le fruit, commente Éric Peres, secrétaire général de FO cadres, qui explique : la loi donne à l’employeur la possibilité de se dédouaner de sa responsabilité et de la transférer au salarié. Il pourra toujours dire que si celui-ci ne se déconnecte pas assez, c’est qu’il ne sait pas utiliser correctement les outils numériques et n’a pas tiré profit de la formation. Le salarié sera ainsi pris en tenaille entre sa charge de travail et l’obligation de se déconnecter.

Le droit à la déconnexion est une bonne chose mais il reste à en garantir l’application par un véritable engagement des employeurs sur le droit au repos. Il aurait fallu au moins préconiser la négociation d’un accord national interprofessionnel sur la question, à répercuter ensuite dans les branches, puis les entreprises, explique-t-il. Mais cela aurait été contraire au principe premier de la loi El Khomri, la fameuse inversion de la hiérarchie des normes, qui permet de tout renvoyer au niveau de l’entreprise, où les régulations se retournent contre les salariés.

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