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13 / 06 / 2022 | 115 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Remise en question des approches des réformes de l'Etat engagées ces dernières années

Les processus de réforme des services publics et de l'organisation de l'Etat engagés par les différents gouvernements qui ont pu se succéder toutes ces dernières années semblent faire de plus en plus l'objet de sévères critiques (voire remise en questions) .

 

La Cour des comptes n'a pas manqué de nous surprendre ces dernières semaines en s'interrogeant sur les limites des suppressions d'emplois dans les services territoriaux de l'Etat

 

Terra Nova alimente le débat

 

"Réformer la réforme de l'Etat", c'est l'accroche d'une récente note (*) de deux hauts fonctionnaires (**)  du Think tank Terra Nova qui considèrent que la réforme de l’Etat menée depuis 30 ans a essentiellement procédé d’un rétrécissement de ce dernier, au profit du marché, des collectivités territoriales et de l’Europe.

 

Pour les auteurs de ce "rapport" qui ne manquera pas de susciter débat : "Les années 1990 ont vu se diffuser le concept anglo-saxon de new public management tendant à décliner dans la sphère publique des techniques d’incitation, de pilotage et de restructuration inspirées du monde de l’entreprise. Ce processus, traduit en France par l’expression idéalisée d’un « Etat stratège » en quête de « recentrage », a cependant atteint ses limites. L’Etat « opérateur » s’est en partie désarmé comme l’atteste l’inquiétante fragilisation opérationnelle de fonctions essentielles du service public (éducation, justice, santé…). L’Etat « financeur » s’est développé au risque d’une inefficacité relative (sous-traitance au privé, multiplicité des appels à projets, flou des frontières avec les collectivités locales…)."...et pour eux..." L’Etat « régulateur » doit encore trouver sa place face au marché."

 

A partir du bilan et des constats qu'ils font  de la réforme de l'Etat tout au long de ces dizaines d'années et qui devraient légitimement  interroger nombre de dogmatiques sur le sujet, les auteurs s'attarde à développer 5 grands axes de  propositions suggérant de :
 

  • Penser un « futur souhaitable de l’Etat », en tournant la page de la réforme de l’Etat menée jusqu'alors


La question du « comment faire ? » est devenue aussi, si ce n’est plus importante que celle du « quoi faire ? ». Aussi proposent-ils d ’organiser des « Etats généraux du service public », pour dépasser les techniques du new public management des années 1990 et mettre en délibération une nouvelle « Doctrine d’action publique » engageant à la fois le personnel politique et la technostructure après une large concertation.
 

  • Organiser le réarmement opérationnel de l’Etat
     

Les auteurs de cette note  considère aussi que "la séparation de la stratégie et de l’exécution voulue par la chimère d’un Etat stratège a fragilisé l’Etat dans ses fonctions socle...et que  le  pilotage par indicateurs de performance, pression sur les emplois publics, fusions et restructurations décidées d’en haut, développement de la sous-traitance… sont autant de  méthodes qui font courir le risque d’un Etat hors sol, qui abime la vocation des fonctionnaires comme l’illustrent les crises de vocation dans un nombre croissant de domaines."... et d'ajouter..."  Il faut retrouver un ancrage dans le réel, réinvestir dans l’opérationnalité. Au-delà de la question des moyens, cela signifie de refaire confiance au terrain, de sortir d’une forme de naïveté vis-à-vis du privé, d’investir dans les compétences et les organisations, d’instaurer un dialogue apaisé avec les territoires..."

 

  • Réinventer la planification pour les transitions, à travers un « Etat en réseau »


Sur ce point ils considèrent que la réforme de l’Etat menée toutes ces dizaines d'années  n’a pas seulement fragilisé les missions socles de l’Etat et le développement de nouveaux modes de financement, notamment par appels à projets ou autres incitations économiques (ex. tarification à l’activité dans l’hôpital public). La réforme de l'Etat également induit une grande dispersion des forces.


Aussi faut-il absolument pour eux " retrouver une capacité de transformation du réel et l’inscrire sur le moyen terme."


La note met à ce titre en évidence plusieurs programmes gouvernementaux inspirants (Action coeur
de ville, Plan France très haut débit, Territoires zéro chômeur longue durée…), rassemblés sous l’expression « Etat en réseau » en ce qu’ils reposent sur des constructions d’alliances avec de larges galaxies d’acteurs (entreprises, associations, collectivités territoriales, collectifs citoyens…)

 

  • Passer de « l’Etat profond » à la « démocratie profonde »



Au regard de la complexité et le caractère systémique des transitions les auteurs en appellent un renouvellement des pratiques démocratiques vers plus de participation , considérant que "les services publics gagnent immensément à s’immerger dans une relation avec les citoyens au quotidien, pour mieux coller à leurs réalités et leurs attentes en continu."

 

Au pilotage par le haut, dont les indicateurs de performance de l’Etat stratège des années 1990 sont le stigmate, doit se substituer une boucle d’interaction et de rétroaction de nature à favoriser de manière beaucoup plus intime l’adéquation et l’efficacité des services publics.


C'est pourquoi ils invitent à généraliser la participation dans les services publics, non seulement au niveau de la co-décision mais aussi de la co-conception des réponses, de la co-action dans l’opérationnalisation de celles-ci et de la co-évaluation dans une logique d’amélioration continue des services publics.

 

  • Passer de la réforme de l’Etat à la fabrique des réformes


Pour les auteurs, "la réforme de l’Etat a trop été vue sous l’angle de la « simplification » et de la « modernisation » et conduite de manière exhaustive en cherchant à peigner chaque  recoin de l’administration. Ces injonctions venues d’en haut n’ont su que rarement entraîner les organisations et les collectifs de travail concernés."

Sur cet aspect des choses, quelles sont les mesures proposées ?
 

  1. Faire de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) une « Fabrique des réformes », chargée de faire vivre la Doctrine d’action publique en commençant par les réformes prioritaires du gouvernement ;
  2. Systématiser les démarches de « retex » consistant pour les administrations à formaliser des retours d’expérience sur des projets ou des réformes ;
  3. Mieux structurer au sein de l’Etat un rôle d’animateur de la communauté des praticiens publics, notamment d’acculturation des décideurs aux transitions ;
  4. Mettre en place des « contrats de génération » inversés afin que les jeunes hauts fonctionnaires transmettent aux cadres supérieurs administratifs en place leur savoir sur des enjeux clés comme l’écologie, le numérique ou la participation.
  5. Recruter les directeurs d’administrations et d’établissements publics selon une procédure ouverte, transparente et normalisée.

 

A l'évidence toutes ces réflexions et propositions apportent une sérieuse contribution au débat, au-delà des dogmes, des a priori et de nombres d'idées reçues.

 

(*) Pour plus de détails sur les réflexions de Terra Nova:terra-nova_rapport_services-publics-et-transitions-reformer-la-reforme-de-letat_310522-1.pdf (tnova.fr)

 

(**) Vincent Feltesse, haut fonctionnaire et magistrat financier. Il a présidé la métropole de Bordeaux (alors Communauté urbaine de Bordeaux) et été maire de Blanquefort. Il fut conseiller politique à l'Elysée de 2014 à 2017

Sébastien Soriano, haut fonctionnaire et ingénieur, directeur général de l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière), ex-président de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) et auteur du livre Un avenir pour le service public (Odile Jacob, 2020).

 

 

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Services publics : la Cour des comptes pointe enfin les dommages infligés à l’administration territoriale de l’État

 

S’il fallait apporter une preuve de la façon dont les services publics ont été malmenés, depuis plus d’une décennie, le seul rapport publié par la Cour des comptes le 31 mai y suffirait. Un rapport garnit de constats au vitriol mais qui arrivent bien tardivement.

Portant sur les effectifs de l’administration territoriale de l’État, sur la période 2010-2020, dans les préfectures, sous-préfectures et DDI (directions départementales interministérielles créées en 2010), le rapport de la Cour des Comptes note ainsi que La réforme de l’administration territoriale (ATE) de 2010 s’est suivie de dix années de réductions ininterrompues d’effectifs, avec la perte de 11 000 ETPT, soit 14% de l’effectif initial.

Après les ravages de la RGPP (révision générale des politiques publiques) dans les services publics entre 2007 et 2012, la réforme Reate (réforme de l’administration territoriale de l’État) s’est donc abattue sur l’ATE en 2010, mettant en œuvre l’interministérialité à coup de restructurations/fusions de directions en titre et de leurs services.

En dix ans, 4 000 emplois en moins dans les préfectures

Une réforme « plan préfecture nouvelle génération », supprimant des missions et des sites de sous-préfectures, a suivi en 2016. En 2018, une nouvelle réforme de l’administration déconcentrée était lancée, impactant notamment les préfectures et DDI, par la création de secrétariats généraux communs (sur les services support). Ils sont en vigueur depuis 2021.

Dans les préfectures, les suppressions de poste n’ont pas été réalistes, analyse désormais la Cour tandis que les effectifs ont fondu de 4 000 en dix ans, dont 34% de suppressions en catégorie C. Et d’enfoncer le clou : Certains services des préfectures ne fonctionnent désormais qu’au moyen de contrats courts, source de précarisation et de désorganisation des services... Les militants FO ne diraient pas mieux, et d’ailleurs, ils ne cessent de dénoncer cette situation !

30,8% d’emplois en moins dans les DDI

Dans les DDI, les emplois ont fondu de 30,8% en dix ans note encore la Cour pointant le problème désormais de l’attractivité des postes dans les administrations territoriales et préconisant par ailleurs, en ce qui concerne les préfectures, de répartir les moyens en fonction de la réalité des besoins. Paradoxe... La cour préconise ainsi un redéploiement des moyens, ce qui ne veut pas dire de procéder à un recrutement massif pour reconstituer des moyens et les rendre adéquats partout.

Plus largement explique encore la Cour des Comptes, en cas de contexte de stabilisation des effectifs dans les administrations territoriales de l’État, les prochaines vagues de départs en retraite, lesquelles sont prévisibles bien sûr, impliqueront de compenser par un recrutement important. A l’évidence, cette compensation ne suffirait pas à remettre à niveau les effectifs, constamment revus à la baisse depuis plus de dix ans. Ce que démontre d’ailleurs le rapport !