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« Bore-out » : quelles sont les situations de travail qui peuvent y conduire ?
« Burn-out », « bore-out »... Les anglicismes se succèdent et commencent à générer de la confusion et bon nombre d’idées reçues. À entendre certains commentateurs, le « burn-out » ou syndrome d’épuisement professionnel (SEP) ne serait dans les faits qu’une grosse fatigue. Il ne faudrait pas exagérer cette problématique. Elle ne serait qu’une simple mode médiatique de plus, comme il y a celle, à la fin des années 1990 du harcèlement moral.
Poussés dans leurs derniers arguments par la mise en évidence du nombre très élevé de mises en inaptitude prononcées par les médecins du travail en raison de ce fléau, les mêmes avancent alors l’explication selon laquelle l’épuisement professionnel serait le simple résultat de la vulnérabilité, de la fragilité intrinsèque des personnes qui en sont victimes !
L’épuisement professionnel serait provoqué par d’autres facteurs que le travail. Pour d’autres analystes enfin, le « burn-out » ne serait pas vraiment en progression en revanche le « bore-out » menacerait.
- Il convient donc de revenir sur les concepts, la dynamique sociale en cours et les moyens pour traiter ces deux syndromes qui, bien loin de s’opposer, peuvent coexister dans notre société.
Un mouvement de fond
Technologia étant confrontée depuis plusieurs années à l’inexorable montée des « burn-outs » au sein de la société française (tant dans le secteur privé que public) a pris fin 2013 deux initiatives. La première a consisté à réaliser une étude quantitative et qualitative afin de mieux cerner et comprendre les pathologies liées à la surcharge de travail. Cette étude a montré qu’environ 3 millions d’actifs en France étaient exposés à un risque élevé d’épuisement professionnel. Depuis lors, cette étude a été confortée par d’autres études en France et à l’étranger. Ce qui démontre bien que nous ne sommes pas dans un effet de mode mais bien confrontés à un mouvement de fond. En bref, les mutations du travail exacerbées par la crise industrielle et la crise financière sont accélérées par les moyens de communication électronique. La pression concurrentielle, la recherche de rentabilité font que le travail déborde de partout. Les gens sont conduits à travailler constamment. Sur le lieu du travail mais aussi dans les transports ou au domicile. La déconnexion ne se fait pas ou plus. Y compris pendant les vacances et les fins de semaine. Dans ces conditions, pour bon nombre de professions et de métiers, il est impossible de quantifier la charge de travail et donc de la réguler. Seule demeure la dimension physique de la personne qui résiste et tient la charge ou ne la tient pas ou plus. Voilà pourquoi cette problématique n’est pas propre à la France mais concerne les pays ou la digitalisation de l’économie est avancée.
La seconde initiative a consisté à lancer un appel afin d’améliorer la reconnaissance de la pathologie d’épuisement principalement liée au travail comme maladie professionnelle. L’appel lancé en janvier dernier a déjà recueilli de nombreux soutiens de la part des organisations syndicales, de la coordination rurale et de nombreuses personnalités du monde académique et universitaire. L’appel regroupe près de 10 000 signatures. Cet appel a été repris par les parlementaires et par des médecins du travail qui, sur leur propre démarche, ont obtenu plus de mille soutiens. Les sénateurs ont ainsi déposé une proposition de résolution au Sénat allant dans le même sens en juin 2014. Récemment, trente députés ont demandé au gouvernement la reconnaissance de l’épuisement au titre des tableaux de maladie professionnelle. On le comprend à la lecture de ces lignes, le « burn-out » touche de plus en plus de monde et c’est un phénomène qui attend des réponses de la part des pouvoirs publics.
Le Cercle Ramadier qui organise les premiers états généraux du « burn-out » (le 11 mars à 17h00 à Paris) entend bien infléchir en cela, la politique de santé publique
Syndrome d’épuisement par l’ennui
Si l'on considère le plus souvent le « burn-out » comme une pathologie d’origine professionnelle qui résulte d’une surcharge de travail. Cette surcharge de travail pouvant être quantitative ou qualitative (voire les deux) qu’en est-il du « bore-out » ?
Le « bore-out » est un syndrome d’épuisement par l’ennui. Ennui qui survient en raison d’une insuffisance de travail. Le « bore-out » prive la personne de reconnaissance. Il peut déboucher sur une perte d’estime de soi et sur une crise identitaire. Ce syndrome conduit à son extrême comme le « burn-out » à la dépression voire au passage à l’acte suicidaire.
Quelles sont les causes de « bore-out » ?
Au cours des missions d’expertises sur les conditions de travail, j’ai rencontré 4 situations caractéristiques qui peuvent provoquer le « bore-out ».
La première situation caractéristique est liée à l’activité intrinsèque. Par exemple, les vigiles en poste devant les banques sont souvent en proie à un profond ennui. Cette inactivité vigilante est source de souffrance. Ce d’autant que les gens qui les croisent ne les voient pas et ne leur parlent pas. C’est un métier dur à assumer en raison de la lassitude physique et mentale. De même dans certains univers professionnels, les activités nobles sont souvent accaparées par quelques-uns et les tâches fastidieuses sans véritable signification laissées aux autres. Ces derniers peuvent alors sombrer dans l’ennui.
La surqualification peut aussi générer un manque d’intérêt et de l’ennui. Très souvent dans la fonction publique, on trouve des gens qui ont fait de longues études supérieures mais qui, faute de débouchés professionnels, se sont résolues à postuler à des concours de catégorie très inférieure. L’activité de la journée est alors souvent absorbée en quelques heures et ces gens entrent dans une phase d’ennui. La rumination et la perte d’estime de soi font leur apparition. Certains retrouvent du sens au travail et de la motivation en préparant d’autres concours par la voie interne ou en se consacrant au service des autres par l’activité syndicale.
La troisième est assez répandue c’est la « mise au placard » ou sur « une voie de garage ». À la suite d’une orientation professionnelle manquée, d’une réorganisation, d’une disparition d’un service, la personne garde son emploi mais perd nombre de ses responsabilités. Elle n’a plus grand-chose à faire. Elle peut très mal le vivre. J’ai eu à connaitre la situation d’un ingénieur, cadre à haute responsabilité dans une grande entreprise. Il faisait partie d’un groupe informel de cadres qui s’étaient alliés et organisés pour pousser l'un des leurs à la présidence de cette grande entreprise. Manque de chance, c’est l’autre clan qui l’a emporté. Le retour de bâton a été violent. Cet ingénieur s’est retrouvé du jour au lendemain sur une voie de garage. Dépossédé de ses fonctions pour hériter d’un poste subalterne à 56 ans. Après 3 ans de sous-activité, une tentative de suicide a conclu cette malheureuse histoire avant qu’il ne quitte l’entreprise en préretraite.
Le manque réel de travail peut enfin être cause de « bore-out » dans le privé, la fonction publique ou encore dans certaines activités de types tertiaires. Le travail manque mais les gens n’ont pas d’échappatoire. Ils ne peuvent pas quitter leur poste et prendre le risque de ne plus avoir de rémunération. Alors ils restent et « font avec » et perdent leur temps (si ce n’est leur vie) au travail. Leur santé s’étiole par manque de sollicitation. A contrario, dans les métiers en tension, le « bore-out » a moins de chance de survenir. Dernièrement, une infirmière d’une clinique de soins esthétiques fortement touchée par la crise et en sous-activité, me disait que l’absence de travail lui pesait. En dépit de son bon salaire qui était maintenu alors que l’activité était fortement réduite, elle m’annonçait son départ. Les clients disparus, elle ne pouvait pas rester à ne rien faire plus longtemps même en étant rémunérée. Attention, dans cette prise de décision, elle était bien certaine de trouver un autre emploi rapidement. Les salariés peuvent rester dans un ennui préjudiciable à leur santé faute de possibilité réelle d’évolution. On retrouve parfois cette dimension chez certains enseignants qui aimeraient quitter l’Éducation nationale mais qui ne parviennent pas à évoluer en mobilité externe.
Le fruit de décisions absurdes et inconséquentes
Le chef de cabinet du Premier Ministre vient d’être nommé au rang de préfet. Avant, beaucoup de personnes ont bénéficié de cette courte échelle « au tour extérieur », que ce soit vers la préfectorale, le Conseil d’État ou des corps d’inspections prestigieux. À cela, rien de bien nouveau à écrire. Les hommes politiques récompensent ceux qui les ont fidèlement servis en leur offrant un poste dans l’appareil d’État. Pratiques très françaises. Cependant, il y a actuellement un engorgement coûteux en haut de l’échelle de la fonction publique. Cet engorgement est avant tout le résultat d’une absence d’anticipation dans les besoins en compétences. L’ENA continue par ailleurs de déverser chaque année ses cohortes de hauts fonctionnaires qui, en raison de leur rang de sortie, exigent des postes qui « leur reviennent » même si un inspecteur général des finances est appelé à « inspecter » alors qu’il n’a jamais géré de sa vie puisqu’il sort juste de l’école.
La gestion RH des ministères a aussi dû gérer et tenter de rattraper des retards en matière de parité. Cette recherche de la parité entre hommes et femmes est tout à fait louable. Il convient de souligner cet effort et de l’amplifier pour l’avenir, à quelques jours du 8 mars, journée de la femme. Mais en raison des arbitrages pris dans des délais mal maîtrisés, cette mise à niveau a aussi contribué à mettre sur le côté de hauts fonctionnaires de sexe masculin qui n’ont plus trouvé à s’employer réellement dans la haute fonction publique.
En raison de tous ces facteurs bien des cadres supérieurs sont dans une situation de sous-emploi chronique et donc exposés au « bore-out ». Cet engorgement de la haute fonction publique les conduit à attendre des mois et des mois une affectation qui parfois ne vient pas. « C’est difficile à vivre quand le téléphone ne sonne plus. Quand vous n’avez pas d’horizon professionnel. Quand on vous ballade avec des engagements flous. Quand vous êtes là, à ne pas savoir quoi faire et que vous devez vous tenir à disposition ».
Comme souvent dans le « bore-out », la culpabilité et le sentiment de honte demeurent très présents. D’autant que souvent la tutelle fait remarquer à ceux qui demandent une mission réelle : « Vous avez le maintien de votre salaire, de quoi vous plaignez vous ? ».
Cette situation d’étirement professionnel provoque un ressenti d’autant plus dur que les responsabilités ont été grandes par le passé. La Cour des Comptes a souvent abordé la question dans ses rapports. Si l'on considère qu’il y a environ plusieurs centaines de cadres supérieurs en sous-activité notoire dans les différents ministères (disons pour être optimiste, au moins 50 par grand ministère soit au minimum 500 personnes). La note financière est lourde à porter, elle aussi. Un haut fonctionnaire avec une trentaine d'années d'ancienneté touche bon an mal an environ 7 000 euros nets par mois. Chacun est à même d’établir le calcul : des dizaines de millions d’euros sont donc dépensées en vain chaque année. Ce gâchis humain et ce gaspillage de compétences pourrait se traiter aisément avec un peu de volonté politique. Les personnes concernées sont les premières à le demander.
- Cette approche dans la haute fonction publique ne signifie pas que c’est le seul endroit où sévit l'ennui. Disons-le sans détour, dans certains états-majors de grands groupes ou de grandes institutions, on retrouve ce mode de gestion pour certains profils.
Comment faire face à l'ennui ? Les solutions sont nombreuses mais avant tout, elles passent par l’axe d’une bonne gouvernance des hommes et femmes au travail.
Le « bore-out » est le résultat d’un énorme gaspillage des talents et des compétences. Ce gâchis coûte énormément aux individus. Ces derniers peuvent devenir des zombies au travail. Mal connus. Méconnus. Encore moins reconnus, ils perdent leurs repères.
Ce phénomène coûte aussi des dizaines de millions d’euros à la nation. Une solution est d’instaurer un vrai débat sur le travail. Ensuite, d’instaurer une gouvernance respectueuse des employés. Une gouvernance qui attribue des tâches concrètes. Qui vérifie l’exécution de celles-ci. Une gouvernance qui mobilise sur des défis à accomplir en donnant les moyens pour le faire, les humains au travail. Une gouvernance qui établit un retour sur le travail effectué. Sur ce qui va et ce qui ne va pas. Sur ce que l’on peut améliorer. Cette gouvernance doit générer de la reconnaissance et du soutien. On ne peut laisser l’être humain seul face à cette difficulté qui résulte d’une absence de gestion. Même s’il le salarié « fait avec » parce qu’il n’a pas toujours le choix (comme cette infirmière) de reprendre sa liberté, il paye à la longue un tribut élevé pour sa santé, ses compétences et son savoir-faire, c’est-à-dire son employabilité.
Réduire le « burn-out » et le « bore-out » avec le travail sain
Pour Technologia, le travail sain est celui qui permet à l’individu de satisfaire à des exigences professionnelles qui ne doivent pas être démesurées mais adaptées à ses compétences. Celui où il reçoit soutien et aide de la part de sa hiérarchie et de ses collègues. Celui où il peut mobiliser au moins en partie ses connaissances et faire prise sur son travail. Celui où il reçoit une reconnaissance à la fois sous la forme d’une rémunération équitable mais aussi considération et respect en tant que citoyen. Celui enfin qui lui permet de se créer au quotidien avec les autres. De se doter d’une identité et d’un statut social même si, bien sûr, la personnalité ne saurait se réduite à la seule aune professionnelle.
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia
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