Taxe seniors : les entreprises au pied du mur
Comment les entreprises appréhendent-elles la perspective de la taxe seniors qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain ? Voient-elles cette mesure (une amende de 1% de la masse salariale à défaut d'un accord négocié ou d'un plan d'action) comme une pénalité supplémentaire, insupportable et injuste, ou comme un aiguillon pour se pencher enfin sur l'emploi des seniors ? La question partage les organisations patronales et les directions des ressources humaines, certaines admettant la nécessité d'en passer par là, tant le sujet a fait l'objet de rapports et de vœux pieux depuis de longues années; d'autres, au contraire, considérant l'aspect coercitif du dispositif comme intolérable. Car, il est vrai que cette réforme intervient en pleine crise, à un moment où les plans sociaux se succèdent et où les entreprises voient les licenciements des plus de 55 ans comme leur principale marge de manœuvre, un moindre mal puisque les quinquas ne sont par trop loin de la retraite.
Intolérable coercition
C'est le cas la CGPME qui dénonce fermement la taxe et a demandé son report.
- « Nous ferons tout pour en empêcher une stricte application. Cette mesure se télescope avec la crise qui frappe durement les PME, notamment dans les secteurs de l'industrie et de l'automobile. Quand on est acculé à licencier parce que le chômage partiel n'est pas suffisant, on se tourne vers les plus anciens car cela a moins d'incidence pour eux. C'est regrettable mais il n'y a pas d'autre levier » explique Jean-François Veysset, vice-président de la CGPME, en charge des affaires sociales.
- Pour sa part, le président de l'ANDRH, Michel Yahiel, reconnaît que la mesure ne passe pas facilement chez les directeurs des ressources humaines : « Certains voient cette pénalité comme mal venue, ajoutant des difficultés financières là où il y en a déjà suffisamment en ces temps de crise. Nombreux sont ceux qui pensent que l'on n'avance pas avec une pénalisation ».
Inverser la vapeur
Mais, dans le même temps, certaines organisations sont résolues à jouer le jeu, à contrecœur ou par conviction. Ainsi, du côté du Medef, on ne demande pas un report de la mise en œuvre du décret « car ce ne serait pas cohérent avec nos prises de position en faveur de l'emploi des seniors; nous reconnaissons qu'il faut envoyer des signes forts si on veut inverser la vapeur » déclare-t-on. Le syndicat patronal vient d'envoyer un guide pratique à toutes ses entreprises adhérentes (750 000) pour les aider à négocier un accord ou à monter un plan et affirme qu' « il faut tout faire pour être prêt le 1er janvier prochain ».
Certains secteurs veulent même aller de l'avant tout en s'interrogeant sur les répercussions d'un tel bouleversement.
- Ainsi la responsable de l'Observatoire des métiers du LEEM (Les Entreprises du Médicament), Emmanuelle Garassino, énonce clairement le défi qui est posé aux entreprises : « Dans notre secteur, jusqu'à présent, les mesures d'âge (pré-retraites) ont beaucoup joué. Cela se fait encore cette année. Et l'on considérait que c'était la façon la plus sociale de réduire les effectifs. Avec les nouveaux dispositifs légaux, il va nous falloir changer de focus, c'est-à-dire diminuer la masse salariale autrement. On ne sait pas exactement comment. C'est une révolution culturelle ».
En application du décret du 20 mai 2009 instaurant la taxe seniors, le LEEM est en train de négocier un accord de branche sur l'emploi des seniors, prévu pour être signé le 3 novembre.
Révolution culturelle
Pour certaines institutions, il faut voir cette contrainte incarnée par la taxe comme une nécessité pour impulser une autre vision de l'entreprise.
Ainsi, le président du Centre des jeunes Dirigeants (CJD), Gontran Lejeune, affirme que « dans un premier temps, cela peut être une bonne solution car il faut une prise de conscience ».Le CJD qui défend ce qu'il nomme « la performance globale » (sociale, territoriale, environnementale), déplore « la disparition des seniors de l'entreprise ».
- « On sait que les cadres de plus de cinquante ans consacrent 50% de leur temps à faire leur propre lobbying pour ne pas sauter. On est arrivé au bout d'un modèle de développement. Les seniors doivent être réintégrés pleinement, pour l'aspect mémoire de l'entreprise mais aussi pour leurs compétences. Beaucoup disent encore qu'ils coutent trop cher mais, de plus en plus, nous voyons des entreprises qui ne considèrent plus leur personnel comme une charge » souligne Gontran Lejeune.
Très impliquée aussi, l'Association française des managers de la diversité, juge, par la voix de sa vice-présidente Sylviane Balustre-d'Erneville, que « la contrainte peut faire avancer les choses ». Et note que l'état d'esprit des responsables RH a déjà évolué. « Quand, chez L'Oréal, on avait organisé un Forum Emploi et Diversité sur les seniors en avril 2008, seulement onze entreprises s'étaient inscrites. Depuis, les choses ont changé, ce n'est plus tabou » raconte-t-elle. Pour l'association qui prépare un guide de conseils sur ce thème à paraître début 2010, ce sont des réponses très pratiques qu'il faut trouver dans l'entreprise.
- « La première piste, c'est de penser à mixer les équipes, à mettre en place des binômes transgénérationnels. En second lieu, il faut faire en sorte que les seniors participent davantage aux formations. En outre, pour résoudre la question de la pénibilité, il faut mettre en place un "travail soutenable". Enfin, il faut parler en termes d'années d'expérience dans l'entreprise et dans le poste : on peut avoir 55 ans et être nouveau dans le poste. Dans ce cas, la notion de tutorat qui est souvent avancée pour les seniors est inadaptée » précise encore la vice-présidente de l'association.
Ainsi, au-delà de la taxe, c'est une véritable mutation du monde du travail et des mentalités qui est en marche. Nombre de concepts et de pratiques risquent bientôt de devenir obsolètes, la "gestion des âges" devant prendre le pas sur cette notion révolue de "seconde partie de carrière". Même les plus récalcitrants à la taxe le disent : « Pour l'avenir, il faut aller vers des concepts plus longs d'activité » indique ainsi Jean-François Veysset. Et « le contexte démographique va être forcément incitatif à l'horizon 2015 » remarque également Michel Yahiel.