Organisations
Sécurisation des emplois : enlever les œillères pour créer les conditions de la confiance et de l'anticipation
Quand une direction décide de fermer un site, il est temps pour les représentants des salariés d'activer les contacts externes et pas nécessairement les journalistes en premier lieu. Avant cela et sur la base des solutions alternatives proposées par l'expert du CE, il convient d'aller à la rencontre des élus, des représentants de l’État, sans oublier les représentations syndicales territoriales. Un dialogue social en dehors des murs de l'entreprise, qui s'impose de plus en plus tant les marges de manœuvres internes des entreprises sont limitées. C'était le thème principal du CaféSocial (*) du 25 octobre dernier, parrainé par Secafi et représenté à la tribune par Nadia Ghedifa, sa directrice générale, et au cours duquel intervenaient Gabriel Artero (président de la fédération CFE-CGC de la métallurgie), Jean Castel (militant CFDT, ancien président du Comité de bassin d'emploi de Rennes) et Brigitte Dumont (directrice adjointe des ressources humaines du groupe France Telecom Orange et vice-présidente déléguée de l’ANDRH).
Marges de manœuvres internes réduites
« Proposer des solutions crédibles fondées sur des données propres à l'entreprise est bien entendu indispensable mais cela ne suffit pas. Les marges de manœuvres internes sont de plus en plus réduites. Il nous faut donc intégrer l'environnement externe dans ce que nous proposons », explique Nadia Ghedifa, directrice générale de Secafi (groupe Alpha), dont l'action au long cours a permis d'empêcher la fermeture complète du site Béghin-Say (groupe Terreos) de Nantes, en mai 2012, pour le spécialiser dans le conditionnement. « Ce n'est pas une réorientation stratégique qui s'opère dans l’urgence. C'est un dossier sur lequel nous travaillons depuis 2009. Cela sous-entend notamment de former les militants au dialogue avec toutes les parties prenantes externes à l'entreprise qu'ils doivent mobiliser. Il convient de se donner toutes les chances de ne pas arriver à la case justice », précise Nadia Ghedifa qui insiste sur une indispensable anticipation sur fond de bonne foi des différentes parties prenantes des discussions. Tenter de mettre la pression tant sur les directions que sur les pouvoirs publics en alertant les médias n'est clairement pas la meilleure des solutions pour créer un climat de confiance.
Millefeuille des interlocuteurs potentiels
Exposer leur situation, argumenter et négocier avec des élus locaux, des préfets et autres représentants de l'État ne s'improvise en effet pas pour les syndicalistes locaux. « Mobiliser ces réseaux s'apprend. Dans le millefeuille des interlocuteurs potentiels, nos militants doivent apprendre à ouvrir les bonnes portes pour défendre des projets et s'inviter au débat économique dans les territoires en donnant une vision de l'évolution des emplois », souligne Gabriel Artero, dont la fédération a entrepris un programme de formation de ses militants au dialogue social dans les territoires par Sodie, la branche spécialisée dans l'ingénierie des transitions professionnelles du groupe Alpha. Un investissement formation qui va de pair avec une volonté de regrouper les forces syndicales. « Les syndicats de la métallurgie se sont créés pour répondre à des besoins très locaux. Aujourd'hui, cette dispersion n'est plus efficace. C'est pour cela que le nombre de syndicats adhérents à la fédération est passé de 80 à 50 avec un objectif à 35 », illustre Gabriel Artero qui plaide pour une logique de filière industrielle et dont la fédération accueille depuis peu la fédération de la chimie.
Porosité entre les branches
De l'intérêt de favoriser au maximum la porosité entre les branches. Dès 2006, le CBE (comité du bassin d'emploi) de Rennes avait fait le constat de l'avenir sombre des emplois pour les intérimaires et des CDD du secteur automobiles. Plutôt que de se contenter d'alterner des périodes d'indemnisation de Pôle Emploi avec des contrats chez PSA, une partie a été accompagnée pour se former sur d'autres métiers. Une initiative conjointe de l'UIMM, des collectivités locales et des syndicats, tous parties prenantes du CBE. « Nous nous sommes donné des ressources pour avoir un débat ouvert et des moyens d'action. J'ai eu la chance d'avoir un employeur qui comprenne l'importance de mon implication dans cette structure de dialogue social territorial », explique Jean Castel, initiateur du RNCBE (réseau national des comités de bassins d’emploi) qui coordonne les 120 comités aujourd'hui réellement actifs.
- L'engagement des syndicats d'actions territoriales constitue un gage de sécurisation des emplois, à l'instar de l'association Parenbouge qui développe, là encore dans « le pays de Rennes », depuis 2002 de la garde à domicile pour les parents qui travaillent en horaires décalés et une crèche interentreprise en coordination avec les CE. Au total, l'association emploie plus de 35 personnes en équivalents temps-plein. « Notre implication dans ce projet n'a pas été comprise par tout le monde au niveau du syndicat car certains considéraient que c'était une façon de cautionner les horaires décalés. En attendant, il convient d'être pragmatique et de surveiller de près les conditions de travail des personnes qui travaillent pour l'association. Or, nous sommes pour le coup bien placés pour agir en la matière », estime Jean Castel qui se trouve être l'un des administrateurs de ParenBouge.
GPEC territoriale
Mais le dialogue social territorial ne se déroule pas uniquement hors des murs de l'entreprise, à l'instar de la GPEC territoriale mise en place par France Télécom Orange voilà un peu plus d'un an. Ainsi, 85 bassins GPEC ont vu le jour avec un comité à l'emploi territorial au niveau de chacune des grandes directions territoriales du groupe. Une démarche qui ne manque pas de présenter au moins un point de convergence avec le dialogue social hors-murs présenté précédemment. Celui de voir émerger de nouveaux acteurs plus proches des besoins du terrain et plus en recherche d'actions concrètes. « Il appartient au management local d'animer ces comités territoriaux où les syndicats sont présents. L'appropriation est d'autant plus facile que les informations sur les évolutions des emplois sont locales alors qu'auparavant, la GPEC était globale », souligne Brigitte Dumont. Savoir ce qui se passe dans sa région par rapport à son métier, voilà la meilleure des façons de contribuer à rassurer les 100 000 salariés du groupe en France et de conforter le plan « conquête 2015 ». Les informations sur les évolutions des métiers sont si locales que, parfois, les conditions de l'anonymat ne sont plus garanties. « Nous ne communiquons pas quand la granularité des analyses est trop fine », rassure Brigitte Dumont. Une GPEC en phase avec les besoins de compétences locaux qui nourrit un projet de cartographie des parcours professionnels au niveau de chaque territoire. Concrètement, un salarié pourra visualiser les parcours possibles sur son bassin d'emploi en fonction de son métier. Un pilote est en cours dans deux régions avec une généralisation prévue pour la fin de l'année. À quand des cartographies analogues , en dehors des murs de l'entreprise, à l'initiative des CBE par exemple ? De quoi créer les conditions de l'anticipation, entre des acteurs qui auront appris à se connaître.
(*) CaféSocial > Rencontre périodique organisée par le MiroirSocial