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13 / 08 / 2018 | 16 vues
Alain Arnaud / Membre
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Regards croisés sur la réforme ferroviaire entre Jacques Fournier, ancien président de la SNCF et Gérard Lahellec, vice-président de la Région Bretagne

Le 25 juin dernier, le CIRIEC-France organisait un dîner-débat au cours duquel Jacques Fournier (ancien président de la SNCF et président d’honneur du CIRIEC) et Gérard Lahellec (vice-président de la région Bretagne, chargé des transports) ont croisé leurs regards sur la réforme de la SNCF.
 
La réforme ferroviaire voulue par le gouvernement d'Édouard Philippe (qui ne figurait pas, rappelons-le, dans le programme du candidat Emmanuel Macron) a été votée par le Parlement et entrera en vigueur en 2020.
 
Le conflit social n'était pas terminé et c'est donc « à chaud » que le CIRIEC a organisé ce débat conforme à la vocation du CIRIEC menant des recherches et informant sur tout ce qui touche à l’intérêt collectif et aux moyens de le préserver, l’entreprise publique étant l’un de ces moyens.
 
Pour présenter les éléments essentiels de cette réforme ferroviaire et en débattre, ces deux personnalités engagées ayant consacré leur vie à l'intérêt général et au service public et aucun des deux n'étant laissé indifférent par l'avenir de la SNCF ont ainsi pu exprimer leurs points de vue et engager le débat avec les participants.
 
La réforme comporte quatre chapitres : la concurrence, le statut du personnel, le statut de l'entreprise et la dette. Tous ces défis doivent être relevés et on pourrait y ajouter un cinquième : le montant des investissements de modernisation et leur financement.
 
Ces défis posent de nombreuses questions ayant pu être abordées successivement, dans une appréciation globale de la réforme avec Jacques Fournier et une vision plus régionale avec Gérard Lahellec.

Résumé de l’intervention de Jacques Fournier 

I - Le processus de la réforme
 
Rappel historique, des grandes compagnies à la SNCF, créée en 1937, statut d’établissement public en 1982, séparée de RFF en 1997 et réunifiée en 2014.
 
Une réforme était nécessaire mais elle a été agressivement engagée.
 
L’introduction de la concurrence et le 4e paquet ferroviaire (2016) et la réforme inévitable dans le contexte actuel auraient dû être présentées à partir de là. Le rapport Spinetta, dans une optique libérale, constituait une bonne base de départ. Pour des raisons politiques, on a choisi de démarrer sur une critique tous azimuts de la politique menée ces trois dernières décennies et sur une avalanche de reproches adressés à l’entreprise : « SNCF bashing ».
 
- Le conflit a été relativement bien géré de part et d’autre.
 
Les syndicats ont choisi une forme de lutte originale (gêne maximale pour un coût limité). Ils ont réussi à maintenir leur unité. Il y a en quelque sorte eu une grève par procuration, les roulants fournissant la force de frappe d’une action restée globalement minoritaire mais vue avec sympathie par la majorité du corps social de l’entreprise. L’entreprise a su gérer le trafic, assurant l’information et la prévisibilité.
 
- L’action ne débouche finalement que sur des résultats bien maigres.
 
Le gouvernement a gagné la première manche et peut tirer parti de son succès vis-à-vis de l’opinion. L’entreprise est sonnée et aura du mal à s’en remettre.
 
II - Le contenu de la réforme
 
Texte long (22 pages) et difficilement accessible, pas encore au Journal Officiel. Brochure explicative de la SNCF.
 
Quatre points principaux.
 
A - La concurrence

 
1 - Mouvement général d’introduction de la concurrence dans les grands services publics de réseau en Europe, entamé dès les années 1980.
 
Plus ou moins rapide, selon les secteurs (télécoms, énergie et ferroviaire) en fonction des techniques et du bénéfice potentiel. C’est dans le ferroviaire que ce sera le plus long (prévisions démenties de mes collaborateurs de l’époque).
 
2 - Pas successifs à partir de la directive 91/440. Processus plus ou moins avancé selon les pays. Cinq sont allés au bout (Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Norvège et Pologne). Le 4epaquet ferroviaire en 2016 fixe pour 2019 l’échéance de l’ouverture du trafic voyageurs.
  
3 - La concurrence ne porte pas sur la gestion de l’infra (monopole naturel) mais sur le transport, des voyageurs ou des marchandises. Pour les marchandises, c’est fait depuis 2003 ; ça fonctionne (plus de 30 % du trafic) mais ça vole bas (déclin). Pour les voyageurs, deux formes : la concurrence dans le service (TGV) ou pour le service (TER). La première existe déjà (TGV internationaux). La seconde implique le transfert du personnel : point important dans la loi, sur lequel des garanties ont été données et devront être précisées. Concurrents potentiels : RATP et Transdev pour le RER et opérateurs internationaux pour le TGV.
 
4 - Calendrier :

  • décembre 2020 pour les TGV ;
  • à compter de décembre 2023 pour les TER ;
  • plus étalé, jusqu’en 2039 pour le RER et les transiliens.

 
B – Le statut des agents
 
Fin du recrutement au statut à compter du 31 décembre 2019. C’est la mesure la plus symbolique car elle touche à l’âme de l’entreprise. Quoi qu’on en pense elle était sans doute inévitable. Elle ne sera digérée que si la convention collective de la branche est de suffisamment « haut niveau ». 

La discussion va se poursuivre sur ce point. Jusqu’où ira l’implication nécessaire du GT ? Qu’entend-on par « haut niveau : règles d’emploi (durée du travail, repos et roulements) et déroulement des carrières (avancement etc.) ?
 
C’est l’un des enjeux principaux de la période qui vient.
 
C - Le statut de l’entreprise.
 
L’établissement public est transformé en société nationale. On attend une gestion plus souple face au marché. À noter que la SNCF a été une SEM (quelque peu fictive, il est vrai) jusqu’en 1982.
 
L’entreprise reste publique. Garantie réitérée. Il faudra donc une nouvelle loi si l’on veut privatiser mais le nouveau mode de gestion pourra rendre l’opération plus facile le moment venu. Ceci dit, même dans le contexte libéral que nous connaissons, la privatisation n’est pas inéluctable : seule le RU y a procédé et ce n'a pas été une réussite.

L’unité du groupe est maintenue (on aurait pu envisager une nouvelle séparation ou une différence de statut entre SNCF mobilité et SNCF réseau). C’est un facteur positif qui devra être utilisé intelligemment.
 
D - La dette
 
Comme dit dans mon blog, la reprise de la dette de SNCF réseau par l’État est un dû plutôt qu’un don. Il est largement symbolique du point de vue de l’équilibre général des comptes publics mais il est bénéfique pour l’entreprise.
 
Le montant retenu (35 M2) est substantiel. Il devrait permettre l’allègement des péages et donner un nouveau dynamisme au transport ferroviaire.
 
Des règles ont été posées pour les nouveaux investissements et semblent à première vue pertinentes. Distinction à faire entre le nouveau et l’existant. 200 millions en plus par an promis pendant 5 ans à partir de 2022. C’est le point le plus positif, qui reste à concrétiser chemin faisant.
 
III - Les suites de la réforme
 
Le ferroviaire a un avenir en Europe (dimensions du continent, densité de la population et des activités et facteurs écologiques). La France a une expérience en ce domaine : c’est une bonne base de départ.
 
Beaucoup de points restent à régler pour l’application de la loi : ordonnances prévues pour la mise en œuvre des différents points, convention collective de la branche. C’est l’enjeu des deux prochaines années.
 
La SNCF va avoir à se reconstruire. Ce sera difficile. Ce ne sera possible que par l’articulation d’une politique publique des transports et d’un projet d’entreprise.
Mon expérience de l’articulation entre un plan d’entreprise et un contrat de plan est-elle transposable dans le contexte actuel ?
 
La politique des transports
 
Responsabilité nationale et rôle des collectivités territoriales. Évidemment multimodale, la relation avec la population et la bonne utilisation du numérique.
 
Le projet d’entreprise
 
- Un grand groupe multimodal (donc avec une forte composante routière), élément déjà largement présent.
- Porteur des valeurs et exigences du service public (déclinables de façons différentes mais présentes dans toutes les activités, vie quotidienne, voyageurs longue distance et marchandises).
- Dominant sur le marché national et fortement présent sur le marché international du transport.
 
À partir de là, est-il posssible de reconstruire le système de relations sociales et de redonner un élan et du souffle à l’entreprise ?
 
Vraie question

Résumé de l’intervention de Gérard Lahellec

D'emblée, je voudrais dire ici que, tel le poète Paul Eluard qui, dans le château de pauvres, n'avait pas découvert la recette miracle pour atteindre le bonheur, je n'ai pas non plus trouvé la recette miracle qui mené tout droit à la vérité.
 
C'est la raison pour laquelle je fais toujours mienne la célèbre formule du grand Jean Jaurès qui disait : « Le courage, c'est de rechercher la vérité et de la dire ». Je vous prie donc de bien vouloir considérer que la présente contribution ne constitue qu'une très modeste mais sincère recherche de vérité.
  
Pour fonder mon appréciation et mon jugement j'ai, comme beaucoup d'autres, commencé par puiser mon inspiration dans l'examen du rapport Spinetta. C’est un document dense mais assez facile à lire et son petit défaut originel est peut être d'afficher d'emblée l'affirmation selon laquelle le salut du ferroviaire viendra de l'ouverture à la concurrence.
 
Autrement dit, la vision néolibérale imprègne de bout en bout les analyses et c'est bien cet aspect-là du rapport qui me pose question. Cependant, ce rapport nous livre aussi des analyses intéressantes et toutes ses recommandations ne sont pas à rejeter. En fait, je suis tenté de dire que ce rapport aurait dû ou devrait encore être considéré comme un indicateur de connaissances parmi d'autres, pour relever un véritable défi: réussir une véritable réforme du ferroviaire. En regrettant un peu que le débat ne soit pas allé au bout de toutes les explorations qu'il méritait, je considère que le rebond est encore possible et cette initiative de ce soir peut utilement y contribuer. Certes la loi est votée mais, heureusement, la vie continue...
 
Le constat
 
En vérité, il n'y a pas grand-chose à dire sur le volume de l’activité ferroviaire, ni sur la sécurité ni sur la qualité de service même si cette dernière est réputée s'être dégradée ces dernières années. Le gros point noir est le mauvais état du réseau classique qui a fortement vieilli et qui ne cesse de nous jouer des tours, au point de mener à des choix industriels consistant à greffer du neuf sur du vieux (les 2 nouvelles lignes LGV SEA+BPL, soit un investissement de près de 9 milliards sur le vieux poste d'aiguillage de Vanves en utilisant pour cela 2 voies de service délaissées)… Je parle bien sûr de ce grave incident qui a touché la gare Montparnasse il y a quelques mois.
 
Concernant les coûts, avec un concours public de 10,5 milliards d’euros par an, ce qui représente 200 euros par habitant, la France se situe au-dessus de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne mais au-dessous de la Belgique et de la Suisse.
Bref, la situation est beaucoup moins catastrophique que les informations qui ont été relayées dans la presse et au fond, même s'il y a des faiblesses, il y a aussi des points forts et la SNCF n'a pas à avoir honte de son bilan.
 
Un constat incomplet
 
Mais le caractère globalisant de l'approche et le fil conducteur qui la jalonne ne permettent pas, à mes yeux, d'avoir une vision nuancée et précise de la réalité. Ainsi, s'il est normal de se référer à ce qui ne fonctionne pas il devrait être aussi normal de se référer à ce qui va bien et je prendrai ici quelques exemples.
 
Tout d'abord, le rapport semble perdre de vue la régionalisation des transports ferroviaires intervenue en 2002 ainsi que la part contributive importante que prennent les collectivités aux investissements ferroviaires, notamment à travers les contrats de plans et le financement du matériel ferroviaire. Certes, direz vous, là aussi, il y a beaucoup à dire et nous devons nous garder d'émettre un signe égal entre toutes les régions de France.
 
Mais pour m'en tenir à l'exemple que je connais le mieux, celui de la Bretagne je veux attirer votre attention sur quelques chiffres.

  • En quinze ans, l'âge moyen du parc des trains est passé de 23 ans et 4 mois à 8 ans et 2 mois aujourd'hui, ce qui veut dire qu'en 15 ans, nous avons rajeuni le parc de 14 ans. Avouez que rajeunir de 14 ans en 15 ans de vie est une petite performance assez enviable par tous ceux qui souhaitent entretenir leur jeunesse.
  • Dans le même temps, nous avons quasiment doublé la fréquentation du TER en augmentant l'offre mais surtout, ce type de développement a permis de réduire de 49 % la subvention moyenne par voyage. Ceci prouve donc que l'ambition publique et le développement du service peut générer une baisse tendancielle de son coût. Autrement dit, contrairement au discours ambiant coutumier aujourd'hui, le développement de l'ambition publique peut être une bonne chose pour la société et son développement durable.
  • Toujours en prenant les mêmes références, j'observe que le coût moyen du TER en Bretagne est de 31 euros par habitant et par an quand il est en moyenne à 57 euros sur le plan national.
  • Encore un chiffre : sur les deux dernières années comptables consolidées, la SNCF a gagné en Bretagne 15 millions d'euros sur le seul service public TER tandis que dans le même temps l’État y aura prélevé environ 9 millions d'euros de produits fiscaux. Le service public n'est donc pas un puits sans fond ni un tonneau des Danaïdes mais simplement un service qui peut être performant et compétitif.
  • Enfin, plus près de nous, la réalisation et la mise en service de la nouvelle ligne à grande vitesse inaugurée le 1er juillet 2017 se solde par des résultats intéressants puisque ce nouveau service que nous avons voulu complémentaire entre TGV et TER se solde par une croissance de 20 % de la fréquentation TGV et de 9 % de la fréquentation TER. Ce résultat tend à prouver que nous n'avons pas eu tort de porter le dossier de la réalisation de la LGV ni de soutenir un concept décentralisateur faisant jouer au TGV un rôle d'aménageur du territoire : il fonctionne bien, dessert tout le territoire d'une façon ou d'une autre et génère des gains pour les uns et pour les autres.

Pour mener ce projet, dont l'investissement est financé à 30 % par les collectivités, nous nous sommes rangés derrière le choix du gouvernement qui voulait un contrat de partenariat mais en portant haut et fort une double exigence :

  • celle d'un concept consistant à penser la desserte du territoire jusqu'à son extrémité, c'est-à-dire un concept où on ne se contente pas d'aller d'une ville A (Paris) à une ville B (Rennes) ;
  • celle de récuser la délégation de service public (DSP) pour y préférer un contrat de partenariat en laissant le libre choix aux collectivités d'apporter leur cofinancement. En effet, dans le cas particulier du ferroviaire, le choix de la DSP aurait consisté à confier au délégataire le soin d'organiser la desserte et de faire rouler les trains.

 
L'option du délégataire, dont l'objectif est de se rémunérer au mieux sur les péages payés par les trains, ne consiste pas à répondre aux besoins de dessertes du territoire, ni à optimiser au mieux les conditions de transports. En outre, le miracle du PPP c'est cette espèce de magie, d'illusion qu'il produit : faire croire que l'on a découvert des moyens considérables pour financer un projet alors qu'on ne dispose pas de ressources propres pour l'engager. Mais le principal risque que comporte ce scénario est de pousser les investisseurs et les décideurs d'aujourd'hui à faire payer la dette aux générations futures.
 
Les collectivités (au premier rang desquelles la région) ont fait le choix du financement ab initio, ce qui signifie que pour la part qui leur revient, elles ne transfèrent pas de dettes aux générations futures. À la différence de celle retenue pour le financement de SEA (Tours-Bordeaux), cette architecture ne fait pas non plus perdre d'argent à la SNCF. Ces quelques éléments illustrent bien que, pour penser le changement et donc la réforme, il faut aussi accepter de décentraliser la pensée et admettre que l'expertise peut exister au-delà des limites du boulevard périphérique intérieur parisien. 

Ceci me conduit d'emblée à une première remarque.
 
Il est de bon ton aujourd'hui d'opposer réseau classique et réseau TGV et de tendre à accréditer l'idée selon laquelle ce serait à cause de la priorité accordée à la réalisation de lignes à grande vitesse que le réseau classique aurait été délaissé ? La réalité est bien plus dialectique que cela. En effet, on ne peut pas dire que dans les régions et territoires non desservis par TGV, le réseau classique est en meilleur état que là où le territoire s'est mobilisé pour obtenir l'accès à la grande vitesse. Je suis même tenté de penser le contraire. Je constate, par exemple en Bretagne, que le combat pour obtenir une accessibilité de tout le territoire à la grande vitesse nous a obligés à prendre aussi les lignes ferroviaires classiques et la qualité de service à rendre aux usagers de ces territoires en considération.
 
Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà écrivait déjà en son temps Blaise Pascal. Vérité en deçà du périphérique parisien, erreur au-delà, semble aussi demeurer la devise d'une certaine pensée officielle hyper centralisée qui gagnerait pourtant à s'instruire des expériences en cours à l'échelle du territoire français. Pour ma part, je considère que ces prescriptions et ces orientations sont issues des univers hyper centralisés de gouvernances autocentrées et je crains fort que la persistance de cette culture ou de cette inculture ne devienne le principal ennemi de cette magnifique entreprise qu'est la SNCF.

Cette culture donc, qui consiste au fond à se précipiter pour mettre en œuvre des équations toutes faites pour se ruer sur tous les débouchés offerts par un marché de plus en plus ouvert, présente le risque de la tentation de lâcher la proie pour l'ombre. C'est un peu ce qui arrive à la SNCF. Je viens d'évoquer le potentiel considérable et extraordinaire que recèle le développement du ferroviaire au service du territoire. Or, dans une précipitation mal maîtrisée, la SNCF s'est mise à tout faire en délaissant quelque peu le territoire pour y préférer la conquête des nouveaux marchés et de nouvelles activités, au point de voir leur principal client que sont les régions françaises, excédées par les conséquences de cette approche, affirmer leur impatience de pouvoir avoir recours à un autre opérateur. Cet élément de contexte constitue à lui seul une réalité mais ne constitue surtout pas le début du commencement de la solution. Ce n'est pas parce que des régions politiquement dirigées par des sensibilités politiques libérales réclament parfois à corps et à cri l'ouverture à la concurrence pour contrecarrer ou sanctionner la SNCF que ceci constitue un argument de nature à apporter une solution à leurs problèmes.
 
Enfin, toujours comme élément de contexte, j'ai beaucoup regretté cette tendance au « SNCF bashing » et cette indignité consistant à dresser le statut de cheminot contre les autres statuts sociaux. Ce n'est pas acceptable et tout ceci laissera des traces et des rancœurs dans les mémoires au point où il serait hasardeux d'en envisager aujourd'hui toutes les conséquences. Puisse l'essentiel avoir été préservé !
 
Chronique d'une réforme annoncée, prévisible et souhaitable
 
Comme je viens de compléter le constat du rapport Spinetta par un certain nombre d'autres constats, je soutiens, bien entendu l'option d'une réforme du ferroviaire. De plus, la réforme est un changement dont le but est l'amélioration de l'état existant. Donc, logiquement, tout le monde est pour la réforme et ce qui importe donc, c'est de la qualifier. Quand on parle de réforme du statut du cheminot, on serait donc en droit de se dire qu’il s'agit d'un changement dont le but est l'amélioration de l'état existant. Je ne suis pas sûr que les cheminots le considèrent ainsi. 

En tout cas, soyons clairs : les gouvernements qui se sont succédés n'ont pas réglé le problème et, jusque là, ils se tous contentés de gérer l'existant en inventant parfois des artifices pour occulter les vrais sujets, parmi lesquels figure bien sûr à la dette. Cette question de la dette est une question en soi. Elle a été à l'origine de la création de la SNCF avec une dette cumulée de 37 milliards de francs à l'époque elle semble prise en compte aujourd'hui, même si nous ne savons pas exactement comment.
 
Mais je veux d'emblée dire ici très simplement que la prise en compte à hauteur de 35 milliards de la dette n'est pas un don de l’État à la SNCF mais un dû dont l’État lui est redevable. C'est en effet pour obéir à un certain nombre de décisions politiques de tout ordre que la SNCF a dû se soumettre à un certain nombre de choix.
 
Mais les éléments de contexte que j'ai rappelés suffisent à mes yeux pour justifier le besoin de réformer mais il conviendrait sûrement d'y ajouter les considérations juridiques et réglementaires découlant des orientations européennes et des lois qui les régissent. En un mot, il faut que nous soyons mieux euro-compatibles.
 
Mais là n'est pas, selon moi, l'essentiel. En effet, je pense que nous pouvons rendre euro-compatibles un certain nombre de points sans pour autant réformer.
 
Mon questionnement de fond vient plus de l'affirmation de principe selon laquelle le salut ne pourrait venir que de l'ouverture à la concurrence, que cette concurrence va tout régler, développer le ferroviaire, faire rouler plus de trains à des prix moins élevés. Je dois dire que je ne suis pas du tout convaincu par cette affirmation, bien au contraire.
Tout d'abord, il va de la concurrence comme des contrats de partenariats dont j'ai parlé tout à l'heure. Il y a concurrence et concurrence. Je fais la différence entre la concurrence libre, ouverte et sans condition sur un réseau totalement ouvert et géré par un opérateur intéressé à collecter des recettes de péages à n'importe quel prix et la mise en concurrence organisée par une autorité publique ayant la faculté de définir et de financer un service.
 
Par exemple, pour un territoire comme la Bretagne (outre le fait que l'infrastructure a été largement subventionnée par les collectivités), l'ouverture à la concurrence, libre et sans condition pour la desserte TGV verra assurément des opérateurs se positionner sur le marché le plus captif, en l’occurrence, sur le segment Paris-Rennes. C'est ici que la concurrence va s'exacerber et ici, effectivement, circuleront un grand nombre de trains à des prix défiant sûrement parfois tous les autres modes. Mais si la concurrence s'exacerbe ici, quel opérateur me donnera l'assurance d'envoyer des trains jusqu'à Brest et à Quimper ? Assurément aucun. Alors, si nous voulons continuer d'être desservis, il nous faudra, dans le territoire financer le service sur la partie la moins captive du marché, c'est-à-dire sur le segment le plus cher. Ce scénario, tout à fait probable, aura assurément pour effet de moins bien desservir les coins les plus éloignés et de renchérir le service à destination de ces mêmes lieux. La concurrence, libre, ouverte et sans condition peut donc s'avérer être un véritable danger pour le territoire.
 
S'agissant des dessertes TER du territoire, nous avons, en Bretagne, le privilège d'avoir déjà un opérateur privé de transport ferroviaire qui, certes, travaille en belle harmonie avec l'autorité concédante et la SNCF. Les choses fonctionnent bien, l'enracinement de l'entreprise dans le territoire lui permet également de la créativité et une souplesse offrant une meilleure adaptabilité au exigences de desserte du territoire. Dans le même temps, ne nous faisons pas d'illusions. Il n'y a pas de miracle. Le matériel est fourni par la région et la rénovation récente de l'infrastructure a été financée par les pouvoirs publics, les collectivités ayant assuré plus de 50 % du coût.
 
S'agissant du service, les prix sont assez comparables à ceux pratiqués par la SNCF. Enfin, nous tirons les enseignements de ce que nous connaissons par les transports routiers que nous assurons. Nous sommes dépositaires en Bretagne de 1 000 contrats différents allant des DSP aux marché public et en passant même par une régie que j'ai l'immense honneur de présider. Je dois vous avouer qu'ici non plus, il n'y a pas de miracle tandis qu'il n'y en a pas non plus dans les contrats par lesquels nous assurons la desserte des îles…
 
En revanche, nous considérons que la SNCF devrait mieux se mettre au diapason des demandes du territoire et très légitimement, j'attends de la réforme qu'elle nous permette au moins de sortir de cette situation ridicule que j'ai vécu la semaine passée où, en vue d'apposer une affichette d'information sur le poteau d'une gare il aurait fallu préalablement engager une étude de faisabilité et soumettre ensuite le projet à un spécialiste ensuite chargé de valider le projet global se résumant à une affichette…
 
Bref, sur ce chapitre je conclus que la concurrence n'est pas l'alpha et l'oméga pour répondre aux besoins du territoire. Or, c'est bien à partir de cette conception que se fonde la nécessité de remettre en cause le statut de cheminot pour les nouveaux « entrants ». En effet, dès l'instant que l'on fait le pari que la concurrence est la solution et la seule solution, il faut encourager l'émergence de nouveaux opérateurs et pour favoriser cette émergence, rendre le statut social des salariés plus souple, moins contraint et plus compétitif. Par conséquent, effectivement, au regard de ce pari et de cette opinion, il est cohérent que les instigateurs de la loi plaident pour la remise en cause du statut de cheminot considéré comme trop protecteur pour que l'activité puisse s'ouvrir à d'autres opérateurs que la SNCF.
 
Dans la mesure où je considère que la concurrence ne réglera pas le problème auquel nous sommes confrontés, je comprends d'autant mieux la réserve exprimée par les cheminots eux mêmes à l'égard de la remise en cause du statut même si elle est limitée aux nouveaux « entrants ».

J'en viens maintenant à d'autres aspects qui jalonnent un certain nombre d'orientations découlant ou s'inspirant de la cohérence, si je puis dire, de cette loi et des motivations qui la sous-tendent.
 
Une petite polémique a secoué la question du devenir desdites petites lignes et le gouvernement s'est empressé de se démarquer, en apparence et dans ses affirmations, de cette recommandation du rapport Spinetta. En effet, le gouvernement a très vite compris qu'il fallait éviter l'embrasement sur ce point aussi s'est-il empressé de rassurer, en tout cas dans son discours.
 
S'agissant des petites lignes, qui représentent 45 % du réseau pour seulement 2 % du trafic voyageurs, il n'est pas surprenant que le rapport Spinetta ait préconisé leur fermeture au profit d'un report modal vers le transport routier. Mais pour éviter l'embrasement le gouvernement a tenté de rassurer. Mais en réalité, dans le cadre du contrat de
performances liant la SNCF à l’État, dans le meilleur des cas, la SNCF ne finance plus que 8 % des travaux sur ces axes et l’État aux alentours de 20 %. Ceci revient à dire qu'en moyenne, 70 % de ces travaux sont assurés par le financement des collectivités. Il est clair qu'elles ne pourront pas continuer ainsi et que, de fait, le sort de ces lignes est menacé. Il conviendrait donc de définir ce qu'est une « petite ligne ». Le rapport les a classées selon une hiérarchisation vieille de plusieurs décennies (l'UIC de 7 à 9) ce qui, de nos jours n'a plus beaucoup de sens.
 
Un seul concept à éclairer : l'utilité publique d'un projet ou d'une infrastructure

 
Qu'est donc une petite ligne et qu'est donc une ligne rentable? Essayons d'y voir plus clair...

Si l'on considère les lignes ferroviaires classiques les plus fréquentées par les déplacements du quotidien, nous aboutirions très vite à considérer que ce sont les lignes périurbaines desservant les plus grandes métropoles ou agglomérations. Mais dans la mesure où ces lignes sont essentiellement fréquentées par des abonnés, l'usager ne paie que 10 % du coût réel de son billet (contre 25 à 31 % en moyenne pour un usager du TER). Ce service est massivement subventionné par les régions, de surcroît sur un périmètre ne relevant pas de leurs compétences. Nous pourrions en conclure très vite que les lignes les moins rentables du réseau sont les lignes les plus fréquentées, ce qui, bien entendu, est une aberration. Si j'ai pris cet exemple, c'est pour démontrer que les chiffres ne reflètent spontanément pas une réalité et ladite rentabilité ne permet pas une juste évaluation de l'utilité publique d'un projet.

Prenons un autre exemple : celui de la desserte aérienne de la Bretagne. Petite région de France, organisée administrativement en 4 départements, la Bretagne a disposé à un moment donné de 10 aéroports. Elle en a encore 5 aujourd'hui abritant des activités civiles de transport de passagers. Tous le monde dira aujourd'hui que c'est pure folie et qu'à moins de 400 000 passagers, un aéroport est nécessairement déficitaire. Je vous dis que c'est faux. La région Bretagne a dans son giron depuis 2007 l'administration de 4 aéroports et ils sont tous à l'équilibre d'exploitation. Mais surtout, ces aéroports ont des vocations différentes. Le site de l'aéroport de Dinard abrite une activité industrielle de maintenance aéronautique employant 550 salariés. Nous avons donc besoin d'un aéroport pour pérenniser ces activités industrielles et l'emploi. Il va sans dire que si, pour définir la stratégie en matière de pérennisation de l'infrastructure, nous avions adossé nos choix aux critères classiques du transport aérien l'aéroport serait fermé aujourd’hui tandis que l'activité industrielle aurait été, au mieux, délocalisée. L'utilité publique de l'aéroport réside ici, dans ce cas particulier à conforter l'activité industrielle, l'emploi et peut être demain le tourisme ?
S'agissant de l'aéroport de Quimper, c'est l'aéroport breton se trouvant dans la plus grande précarité du point de vue de son équilibre économique d'exploitation. Mais c'est un petit aéroport utile à la desserte de son territoire pour permettre de réaliser un aller-retour à Paris dans la journée dans de bonnes conditions. Nous avons donc configuré une stratégie pour répondre à cet objectif d'utilité publique qui n'est pas le même que celui que nous définissons pour l'aéroport de Dinard.

Prenons enfin l'exemple de la logistique et du fret. Région périphérique et péninsulaire, la Bretagne est confrontée depuis toujours à la question de son accessibilité et aux distances à parcourir pour recouvrer la surface critique nécessaire à la constitution d'un hinterland suffisant pour l'activité économique et les échanges s'opèrent normalement. L'épisode dit « des bonnets rouges » que tout le monde a encore en mémoire nous le rappelle. Bref, outre les considérations environnementales qu'il ne faut jamais oublier, le poids de l'économie des transports dans l'économie générale de la région et donc de son PIB est une dimension tellement importante qu'elle conditionne la pérennisation des activités de production en région. Il conviendrait donc de prendre en compte cette dimension-là et d'inventer un dispositif mixte de développement du fret ferroviaire associant notamment les chargeurs. Dans ce dispositif, il conviendrait aussi, par exemple, d'imaginer de nouvelles contractualisation s’intégrant des notions telles que le partage de risques, par exemple et pas se contenter d'un positionnement exclusivement motivé par la captation du marché facile… En un mot, il faudrait aussi créer les conditions pour que les activités et le marché se développent. Il est très peu question de ces thématiques-là dans ladite réforme.
Enfin, il y a de grandes questions qui ont pour l'instant été occultées dans ce tumulte, lequel s'est focalisé sur la question du statut des cheminots.

La question des infrastructures et de leur financement qui devrait revenir à l’État, la question de la gouvernance du système ferroviaire, il faudrait aussi sûrement aborder la thématique des usages les contractualisation à venir, notamment entre l’État et les régions. Toutes ces questions nous sont posées.


En guise de conclusion et d'ouverture au débat

C'est un lieu commun que de dire que nous sommes à la croisée des chemins. Nul ne peut dire comment va s’opérer l’ouverture à la concurrence. Nul ne peut dire qui seront les nouveaux entrants. L’expérience du jeu de la concurrence là où elle existe déjà ne suffit pas pour éclairer sur ce qui va se passer et donc pour se prémunir d'un certain nombre de risques réels pour les territoires et pour le devenir même de l'excellence française au sein de laquelle je mets aussi le TGV, bien sûr.
Mais pour conclure, je voudrais une fois de plus dire ici la grande estime que je porte aux cheminots, à leurs organisations syndicales et aux cadres dirigeants de cette magnifique entreprise nationale, sans lesquels rien ne sera jamais possible.

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