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Pathologies psychiques : 13 arguments en faveur de l’amélioration de la reconnaissance en maladie professionnelle
1 - Nouveau siècle, nouveau mode de production donc nouveaux risques professionnels
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la prise en compte des risques liés au travail industriel a donné naissance à notre système d’assurance puis de protection sociale. Depuis la loi du 25 octobre 1919, toutes les affections reconnues sont indiquées dans des tableaux de maladies professionnelles, dont le premier concernait le saturnisme. On ne trouve dans cette approche par tableaux que des pathologies somatiques consécutives à un travail pénible, dangereux et salissant ; en un mot industriel. Mais aucune maladie psychique. Comme si le monde post-industriel et l’économie numérique ne généraient pas leurs propres troubles et maladies. Il est temps d’adapter notre modèle de protection sociale au XXIe siècle. Selon l’étude publiée par Technologia en 2014, environ 3 millions d’actifs étaient exposés à un risque élevé d’épuisement professionnel.
2 - Qui a peur du débat ?
Depuis la campagne et les alertes lancée par le cabinet Technologia en 2014, le débat s'est ouvert.
- Plusieurs médecins du travail ont lancé une pétition nationale menée par Bernard Morat co-auteur du livre Idées reçues sur le burn-out, aux éditions le Cavalier Bleu, avec Agnès Martineau et Jean Claude Delgenes.
- Les députés Marie-Françoise Bechtel puis Benoît Hamon ont initié un débat au sein de l’Assemblée nationale.
- Une commission parlementaire en 2016-2017 (avant l’arrivée de la nouvelle majorité), dont le rapporteur était Gérard Sebaoun député PS du Val-d’Oise et le président Yves Censi, député Les Républicains de l’Aveyron, a donné lieu à un rapport parlementaire qui proposait plusieurs avancées dont l’abaissement des seuils d’incapacité permanente partielle (IPP) pour l’instruction des dossiers.
- Plus récemment (début février 2018), les députés François Ruffin et Adrien Quatennens (France Insoumise) ont déposé une proposition de loi visant la création de tableaux de maladies professionnelles.
- Le débat doit se poursuivre sur l’état du travail, la progression de l’épuisement professionnel ou la fortune de l’expression « burn-out ».
Au contraire ! L’Académie de médecine, représentée par des psychiatres de cabinets qui prospèrent depuis 20 ans sur l’explosion des risques psychosociaux, entretient la confusion en disant (16 février 2016) que le « burn-out » n’existe pas scientifiquement. La belle affaire ! Mais que veut-on dire vraiment ? Que le mal-être ressenti par des milliers de salariés n’existe pas non plus ? Tout cela est vraiment étonnant parce que la Direction générale du travail (DGT) a publié le 21 mai 2015 les résultats d’un groupe de travail pluridisciplinaire sur la question du « burn-out », associant notamment les partenaires sociaux, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), des enseignants-chercheurs et des experts de terrain (médecin du travail et docteur en psychologie du travail). Sa mission était précisément de clarifier ce que recouvre le terme de « burn-out ». Pour ce groupe, le « burn-out » existe. Il se définit même ainsi : « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel ». C’est le syndrome d’épuisement professionnel. Ce groupe de la DGT prolongeait, là encore, les travaux d’un groupe de psychiatres qui, en 2013, avait rendu un rapport très instructif sur la question des pathologies psychiques. Depuis cette date, les choses n’ont pas beaucoup évolué puisque les partenaires sociaux n’ont pas pu aller plus avant dans la réflexion sur la reconnaissance. Ce faisant, on prend le risque de multiplier les contentieux et les procès à l’encontre d’employeurs qui ne sont jamais incités à organiser le travail autrement.
3 - Une garantie d’ordre public
Le manque de reconnaissance amplifie le mal-être au travail en un véritable malaise social. On attise ainsi la colère et le désespoir. Veut-on laisser des aventuriers politiques s’emparer de la question ou souhaite-t-on pacifier l’ordre public social ? Par exemple, une conseillère régionale du Front national est devenue une auteur reconnue sur la question de la souffrance au travail, distinguée par un prix que lui a remis un jury de spécialistes des questions sociales. Ne laissons pas l’extrême droite devenir le héraut des difficultés du monde du travail.
4 - Que les responsables d’entreprises arrêtent de se défausser sur l’Assurance-maladie
En l’absence d’un dispositif efficient de reconnaissance des maladies professionnelles d’ordre psychique, on peut dire que les entreprises qui connaissent des cas d’épuisement professionnel se défaussent largement sur le régime général de leurs obligations de prévention. Chaque année, la branche AT-MP dont les cotisations sont payées par les employeurs verse un montant forfaitaire au régime général pour compenser la sous-déclaration et la sous-reconnaissance. Mais les montants versés (environ 1 milliard d’euros ces dernières années) ne correspondent en rien aux coûts réels de la non-prévention. En effet, peu de maladies professionnelles sont reconnues comme telles : il s’agit surtout de cancers professionnels, essentiellement liés à l’amiante d’ailleurs car on peut facilement isoler une seule cause dans ce type d'affections. Tous les autres cancers d’ordre professionnel sont donc souvent hors reconnaissance. Cette dotation au régime général ne couvre donc pas (loin s’en faut) les coûts générés par l’envol des pathologies psychiques principalement liées au travail.
Étant donné la progression des coûts indirects de ces pathologies (forte progression de l’absentéisme de courte et de longue durées, évolution très sensiblement à la hausse du volume d’indemnités journalières, coûts indirects aussi supportés par les organismes de prévoyance), les responsables de la Sécurité sociale ont dernièrement tenté de responsabiliser les employeurs. Diverses pistes ont été ouvertes. La Sécurité sociale a ainsi expérimenté une action toujours en cours qui vise à faire connaître les motifs des arrêts de travail aux employeurs les plus concernés par l’absentéisme afin de les responsabiliser en matière de prévention. Selon la Cour des comptes (voir le dernier rapport de la Cour sur la sécurité sociale), une autre voie pourrait consister à revoir le régime de cotisation qui n’est pas suffisamment dissuasif. La Cour propose la création d’un bonus-malus pour les entreprises. En effet, le nombre de sinistres et d’arrêts maladies se concentrent sur une minorité d’entreprises.
5 - Veut-on une société encore plus judiciarisée ?
Le système d’indemnisation des accidents et des maladies du travail édifiée à partir de 1898 repose sur un principe simple : la forfaitisation, ce qui revient à voir son indemnisation par la Sécurité sociale minorée par rapport à la justice civile dans le cas où la victime a recours au procès. Sans possibilité de reconnaissance, c’est la double peine pour tous : pour la victime qui se retrouve sans rien et s’obstine à voir reconnaître sa souffrance et pour l’entreprise qui prend le risque d’un procès pour faute inexcusable. Jusqu’à quand les entreprises préféreront-elles l'incertitude d'un procès à la certitude des tableaux de maladies professionnelles ou des procédures annexes simples ? Entre 2009 et 2014, les procès pour faute inexcusable ont été multipliés par 10, représentant aujourd'hui près de 20 % des différends d'ordre professionnel. En effet, fin 1999, le nombre de recours pour faute inexcusable se situait aux alentours de 400 ; en 2012, le volume de recours était supérieur à 10 000.
6 - Protégeons ceux qui souffrent de leur travail
De loi en loi, la France cherche à inventer sa propre « flexisécurité » : plus de libertés pour les entreprises contre plus de sécurités pour les salariés. C’est du moins le discours officiel des gouvernements qui se succèdent depuis 15 ans. En réalité, les libertés accordées aux employeurs ne sont en rien tempérées par des avancées en sécurisation pour les salariés. Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont ainsi largement sacrifié des pans entiers de prévention. Concernant l’épuisement professionnel, le système est bien sûr « flex », mais il n’est en rien « sûr »… Loin de nous l’idée qu’une reconnaissance améliorée de l’épuisement rendrait l’intensification du travail et l’augmentation des heures travaillées acceptables. Tel n’est pas le cas. Mais force est de reconnaître qu’à côté de la prévention nécessaire, il n’existe aujourd’hui pas grand-chose et que la reconnaissance en maladie professionnelle permet, par exemple, au salarié de disposer de réelles garanties : en arrêt de travail, ses frais médicaux sont pris en charge, il continue de percevoir ses rémunérations, variables ou sa participation, en cas d’arrêt prolongé il peut percevoir une rente etc.
7 - En France, pas de citoyens de seconde zone !
Aujourd’hui, il existe deux catégories de salariés malades de leur travail : ceux qui sont reconnus comme tels et ceux qui sont exclus de cette reconnaissance soit par l’absence de tableaux de maladies, soit par des seuils d’admissibilité trop élevés dans le système complémentaire de reconnaissance. Il est nécessaire d’expliquer qu’en France, à ce jour, 25 % d’incapacité permanente partielle (IPP) sont encore requis pour simplement pouvoir déposer un dossier en vue de son instruction au sein des comités d’examen. Pour établir une comparaison, ce taux de 25 % sur le plan physiologique correspond à un œil crevé ou à un bras arraché. Sur le plan psychologique, ce seuil d’admissibilité correspond à une tentative de suicide. Les seuils sont donc excessivement élevés. Voilà pourquoi 83 députés avaient lancé cette démarche sous la dernière mandature pour abaisser les seuils. Demande aussi validée par les deux groupes du PS et des Républicains dans le rapport parlementaire porté par Gérard Sebaoun et Yves Censi. L’objectif central pour que les gens atteints puissent voir leur dossier examiné et pas forcément reconnus d’ailleurs.
S’il est impossible de créer de nouveaux tableaux de maladies professionnelles, comme le dit le Ministre de la Santé, supprimons alors les seuils pour toutes les pathologies psychiques liées au travail, par exemple, pour le stress post traumatique ou encore la dépression d’épuisement, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays européens. Afin de mettre tout le monde à égalité et prévenir en examinant les situations qui se présentent. Cela serait avec raison et équilibre puisque ces pathologies ont fait leur entrée dans le Code du travail avec la loi Rebsamen. D’autant qu’aujourd’hui ne présentent leur dossier que ceux qui ont les moyens de se faire assister ou conseiller. Sortons de l’exception ! Un système identique pour tous. Pour les autres, les médecins du travail s’arrangent actuellement comme ils peuvent. En réalité, ils détournent la maladie professionnelle en accident de travail. En effet, l’épuisement professionnel se caractérise par plusieurs phases dont une (phase 3) voit le salarié n’être plus aussi performant qu’autrefois et commencer à faire des erreurs tout en travaillant encore plus pour compenser ses maladresses. C’est souvent le moment où interviennent des remontrances de la part de la hiérarchie pouvant être vécues comme du harcèlement. Jusqu’au moment où la personne s’écroule, hurle, perd pied, s’évanouit etc. Ces signes permettent au médecin du travail de prouver le caractère « soudain » donc accidentel de la situation. À dire vrai, cette logique pousse les salariés en détresse psychologique à passer par des actes ou des attitudes risquées pour être reconnus et conduit à des procès en annulation de la part des employeurs. De plus, cette tendance brouille la connaissance statistique car les AT ne sont pas des MP.
8 - Attention à ce que la situation ne dégénère pas.
La situation actuelle est pleine d’effets pervers. Plus une victime est reconnue tôt, plus la reconstruction de la personne est possible ; quelle réparation attend-on quand celle-ci survient après des années de procédures et de procès ? Encore une fois, supprimons les seuils pour gagner du temps et apaiser tous ceux qui s’estiment victimes. Le rejet quasi systématique à l’entrée aggrave le mal et le coût humain devient incertain et incalculable. Les éventuelles victimes cherchent une raison à leurs déboires ; ils la cherchent en eux, somatisent et s’épuisent encore plus à tenter de trouver en eux une explication à leur état qui provient pourtant d’un fait extérieur aisément identifiable. Par conséquent, la dépression d’épuisement professionnel est alors traitée par le médecin de ville comme une dépression ordinaire alors qu’elle ressort d’un traitement spécifique une fois la cause identifiée.
9 - Combattons la progression des inaptitudes
En 2015, un collectif de 30 médecins du travail de Tours a identifié 300 cas d’inaptitude dus à l’épuisement pour leur seule ville. Plusieurs dizaines de milliers de salariés sont vraisemblablement lourdement abimés en raison d’un surinvestissement professionnel. Derrière ces inaptitudes, le licenciement et le rejet dans un statut hors travail se profilent.
10 - Reconnaître, c’est connaître et pouvoir agir.
Le problème de cette absence de reconnaissance est qu’elle ne permet ni de connaître les situations réelles de travail, ni de les traiter ensuite, notamment au moyen d’une prévention adaptée. Sans reconnaissance, la direction, le service de santé au travail, les délégués du personnel le CHSCT et le CSE ne sont pas saisis des cas d’épuisement, ne peuvent enrichir le document unique d’évaluation des risques ni mettre en place une politique de prévention. C’est le secret médical qui s’impose ; la maladie apparaît alors comme une défaillance individuelle. Les gens sortent du monde du travail par la petite porte. Ceux qui restent se taisent. Pas de débat sur les situations de travail. L’omerta est totale.
11 - Les meilleurs partent les premiers.
Qui sont les premiers touchés par l’épuisement professionnel ? Les salariés les plus impliqués, ceux qui en veulent, qui se donnent, qui récusent le droit à l’erreur, au relâchement et que l’entreprise ou l’organisation du travail poussent à aller toujours plus loin. Le travail compulsif est ainsi favorisé, pour ne pas dire incité, d’une part par la précarité du travail, la forte poussée du chômage et d’autre part en raison de l’invasion de la vie tant professionnelle que privée par le travail au moyen des outils numériques. Les cadres sont principalement touchés. Parfois, ils occupent un poste stratégique dans l’entreprise. Lorsqu’ils craquent, celle-ci est alors en danger. On estime d’ailleurs qu’entre 30 et 50 % des suicides avec imputation professionnelle proviennent d’un syndrome d’épuisement professionnel.
12 - Mal-être, épuisement professionnel et suicides : un risque pour les entreprises
Toutes les situations de mal-être au travail détériorent petit à petit l’image de l’entreprise. Cela a été le cas lors de la crise de suicides chez France télécom en 2009-2010 : celle-ci est alors devenue un repoussoir et le symbole de la souffrance au travail. Non seulement les salariés en pâtissent mais les ventes se rétractent, les relations avec les clients se tendent.
13 - Sortir du déni français
En France, le déni demeure donc total sur cette dimension du mal-être au travail exprimé dans le mot « burn-out ». Pourtant, d’autres pays ont su affronter la question : la Suède a supprimé les seuils à partir desquels un dossier peut être examiné ; le Danemark a établi un tableau de maladies professionnelles pour le stress post-traumatique. Le BIT encourage sur cette voie ; la Belgique vient de promulguer une loi de prévention. C’est dans ce pays que l’on trouve l'une des premières études sur le coût social qui, jusqu’à présent, n’avait jamais été clairement établi : la durée de l’arrêt-maladie suite à un épuisement professionnel est en moyenne de 10,34 mois. C’est la Sécurité sociale qui paie alors non seulement ces arrêts de travail mais aussi tous les soins générés par les pathologies qui y sont liées. Pourtant, on commence à chiffrer quels peuvent être les économies générées par la prévention : 1 euro investi dans une politique de prévention permettrait d’économiser 13 euros de coût social en aval.
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