Organisations
Une dégradation significative des relations professionnelles et de la négociation d’entreprise
L'étude de la DARES parue le 23 janvier sur les relations professionnelles et les négociations d'entreprise (1) entre 2017 et 2023 met en lumière une dégradation significative de la situation dans les établissements du secteur privé non agricole en France. Les conséquences néfastes des ordonnances de 2017 continuent donc de se confirmer, ce qui conforte les revendications de FO en la matière.
1. Une moindre couverture par les instances représentatives du personnel (IRP) et une perte de proximité
En 2023, seulement 61 % des établissements de plus de 10 salariés sont couverts par une instance représentative élue du personnel, contre 64 % en 2017. Cette baisse de 3 points est préoccupante, car elle illustre une diminution de la représentation des salariés conduisant à un isolement grandissant de ces derniers face à l’employeur.
La carence de candidatures aux élections professionnelles est le principal motif de l'absence d'IRP élue, invoqué par 54 % des établissements non couverts en 2023, contre 50 % en 2017. Cette augmentation de 4 points indique une difficulté croissante à mobiliser des candidats pour les élections professionnelles.
Force ouvrière dénonce depuis longtemps ce risque de carence. En effet, en réduisant les moyens des élus et en mettant en place une instance unique de représentation, le législateur a de facto découragé les salariés en les exposant à une charge de travail trop conséquente liée au mandat. Pour notre organisation syndicale , le retour d’une instance dédiée à la santé au travail permettrait de pallier en partie ces carences.
Cette moindre couverture par les IRP cache aussi une autre réalité dénoncée par notre confédération : la perte de proximité des élus. En 2023, 17 % des établissements appartenant à une entreprise « multi-sites » sont représentés par une instance élue dont les membres ne sont pas salariés de l’établissement. La présence d’élus du personnel sur site (dans 63 % des établissements de structures multisites en 2023) baisse par rapport à 2017 (-5 points), résultant d’un mouvement de centralisation important des instances de dialogue social. La mise en place de représentants de proximité dans certaines entreprises, si elle est nécessaire, ne peut permettre de pallier cet éloignement si des moyens ne sont pas donnés à ces représentants. Pour FO, il est essentiel de rétablir de la proximité entre les salariés et les élus.
2. Une légère baisse de la négociation collective d’entreprise
Entre 2020 et 2022, 56 % des établissements couverts par une IRP ont ouvert au moins une négociation collective, une légère baisse par rapport aux 58 % relevés entre 2014 et 2016.
La remise en cause du principe de faveur dénoncé par notre organisation syndicale devait avoir pour avantage de dynamiser fortement les négociations collectives au sein des entreprises. Or, le résultat est un échec car cela a affaibli les droits des salariés et détérioré leurs conditions de travail.
Si la présence de délégués syndicaux est un facteur essentiel pour favoriser la négociation au sein des entreprises (2) , on assiste à une baisse inquiétante de la représentation syndicale au sein des entreprises. En effet, les syndicats sont représentés par un délégué syndical dans 32 % des établissements, soit cinq points de moins qu’en 2017.
L’étude constate une augmentation des négociations dans les entreprises dépourvues de représentation syndicale. En 2020-2022, des négociations collectives se sont tenues dans 29% des établissements couverts par une instance élue et dépourvus de délégué syndical, soit une légère hausse par rapport à 2014-2016 (+2 points).
Les ordonnances de 2017 avaient facilité ce recours à la négociation collective en mettant encore un peu plus à mal le principe du monopole de la négociation des organisations syndicales.
Pour nous , le risque de dégradation des conditions de travail et des droits des salariés est une réelle préoccupation. La négociation face à des élus non syndiqués, disposant d’une moindre formation et se trouvant dépourvus d’un soutien de la part des organisations syndicales est une aubaine pour les employeurs. Nous réaffirmons notre opposition à la négociation d’accords par le mandatement d’élus CSE et de salariés.
Allant encore plus loin, l’étude montre le développement d’un dialogue de plus en plus fort avec des « salariés porte-parole ». Ainsi, sept établissements non couverts par une instance représentative du personnel sur dix relatent des échanges avec des groupes de salariés, éventuellement représentés par un porte-parole, au cours de 2022. Ces salariés « porte-parole » ne disposent de fait d’aucune formation, d’aucuns moyens ni d’aucun statut protecteur. Il s’agit- là d’une sorte de représentation du personnel déguisée qui exonère l’employeur du respect d’un bon nombre d’obligations légales et réglementaires. Pour autant, ce type de « représentation » démontre la nécessité pour les employeurs d’avoir des interlocuteurs parmi les salariés de l’entreprise.
Alors même que 32 % des établissements de 11 à 19 salariés ne mettent pas en place de représentation du personnel car ils se disent non assujettis à cette obligation et que 18% n’en organisent pas faute de demande d’un salarié, il est urgent d’intervenir pour leur imposer l’organisation d’élections afin de mettre en place une véritable représentation avec les moyens adaptés.
3. Un climat social dégradé et invisibilisé
En 2023 comme en 2017, les représentants de la direction dans les établissements ayant des représentants du personnel décrivent rarement (9%) le climat social de leur établissement comme « plutôt tendu » ou « tendu ». Toutefois, si le climat social reste majoritairement calme, la proportion de représentants du personnel qui évoque des tensions est nettement plus élevée (33 %). Ce décalage important entre la perception des directions et celle des représentants du personnel peut notamment trouver sa source dans l’éloignement des instances du terrain, lié au phénomène de centralisation des CSE.
La moindre couverture des établissements par les IRP a des conséquences notables sur la défense des droits individuels des salariés. Les recours aux prud’hommes connaissent ainsi un recul significatif sur la période 2020-2022 par rapport à 2014-2016 (-7 points). Ce repli est plus prononcé dans les établissements dépourvus de représentants du personnel. Les différentes réformes, notamment du plafonnement des indemnités de licenciement expliquent aussi en grande partie cette baisse des recours. Elle a également des conséquences sur la défense des droits collectifs. L’étude montre que le nombre de conflits collectifs est nettement moindre dans les établissements sans institutions représentatives du personnel.
En conclusion, cette étude de la DARES fait état d’une nette dégradation des relations professionnelles entre 2017 et 2023. La baisse de la couverture par les IRP, la diminution des négociations collectives et l'augmentation des mobilisations collectives indiquent une détérioration du dialogue social dans les établissements. Il est crucial de renforcer la mobilisation et l'engagement des salariés pour inverser cette tendance et améliorer les conditions de travail et de négociation dans les entreprises.
Cette étude conforte les craintes, constats et revendications que nous avons pu exprimées.
Un premier pas a déjà été franchi dans la remise en cause des ordonnances avec la suppression de la limitation à trois mandats pour les élus obtenue par notre organisation dans le cadre de la négociation d’un accord national interprofessionnel signé le 14 novembre 2024.
(1) Réalisée tous les 6 ans depuis 1993, l’enquête Relations professionnelles et négociations d'entreprise a pour objectif de comprendre la dynamique des relations professionnelles existant entre les directions, les institutions représentatives du personnel et les salariés. Le champ de l’enquête comprend les établissements du secteur marchand et associatif (hors agriculture) en France métropolitaine hors Corse
(2) 56% des établissements couverts par une IRP ont ouvert au moins une négociation collective entre 2020 et 2022
Cette proportion atteint 83% dans les établissements comportant un délégué syndical.