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11 / 09 / 2024 | 52 vues
Jean Paul Philidet / Abonné
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Responsabilité des gestionnaires publics: la petite raison dans la paierie....

Avant l’été nous vous relations l’arrêt dit « Département de l’Eure » et ses conséquences sur les services. Cet arrêt de la Chambre du contentieux de la Cour des comptes a été une déflagration dans la communication feutrée et chloroformée de la DGFiP voulant faire croire que la condamnation d’un agent A, B ou C non comptable n’était que théorique.

 

QUATRE MOIS APRÈS, OÙ EN SOMMES NOUS ?

 

Depuis cet arrêt où l’adjoint de la paierie départementale de l’Eure à l’époque des faits s’est vu infliger une amende de 2 500€ non assurable et non rémissible, la DGFiP n’a eu de cesse de vouloir rattraper le temps perdu sur sa pitoyable communication.


Essayant de retourner à son avantage les conclusions de l’arrêt ci-dessus, la DGFiP a distillé à ses directeurs locaux des éléments de langage destinés, selon elle, à calmer les troupes.

 

Pêle-mêle, citons les arguments de «  la petite raison dans la paierie » tournant autour du caractère exceptionnel de cette affaire ne permettant pas d’en tirer des conclusions générales, un cadre cédant trop vite à la pression mise par le fraudeur ou encore le refrain bien connu du « ne nous affolons pas  » puisque l’adjoint bénéficie de la protection fonctionnelle (voir encart en fin d’article).
 

Tout ce que nous disions  depuis 2 ans sur la possibilité d’une mise en cause de tout agent public de catégorie A, B ou C dans le cadre de la Responsabilité des Gestionnaires Publics (RGP) s’est malheureusement avéré exact avec la condamnation au cas d’espèce de l’adjoint, mais demain quid du contrôleur ou, dans une moindre mesure, de l’agent ?

 

UN SPECTRE TRÈS LARGE DE MÉTIERS POSSIBLEMENT IMPACTÉS

 

Il faut bien garder à l’esprit qu’au delà de la gestion publique (SGC -Service de gestion comptable-, Trésoreries spécialisées, CBCM-Les services de contrôle budgétaire et comptable ministériels-, agents comptables) un spectre très large de métiers sont possiblement impactés, citons par exemple :
 

  • services BIL en direction : achat et commande publique, loyers, fluides, cartes achat, carburants ;
  • services paie et liquidation des frais de déplacement ;
  • SIE( services des impôts de entreprises), SIP(services des impôts des particuliers) , PRS(Pôle de recouvrement spécialisé) , pôle fiscal via les liquidations associées à l’impôt (émissions, remises gracieuses, admissions en non valeur, dégrèvements, frais de poursuite et d’huissier), et les diligences dans le recouvrement ;
  • et, plus généralement pour l’intervention de la DGFiP en tant qu’ordonnateur, dispositifs d’aides aux entreprises et aux particuliers (fonds de solidarité, aides résilience, aide inflation, indemnité carburant) ;
  • SPF-E (Service de la publicité foncière et de l'enregistrement) pour les paiements fractionnés ou encore le circuit des dégrèvements prononcés par les PCRP ( pôles de contrôle des revenus et du patrimoine) en matière patrimoniale en lien avec les SPF-E.

 

EN TANT QU'AGENT, COMMENT SE PRÉMUNIR ?

 

Le juge certes tient compte des circonstances exonératoires liées à l’existence d’un contrôle interne ou de fiches de procédures formalisées et mises à jour. Les consignes orales pourront être mises en avant par un agent, pour expliquer l’origine de sa faute, mais il faut relever que de telles consignes ne peuvent pas être tracées et risquent donc de ne pas être retenues par le juge d’où la précaution de se faire confirmer par écrit ce qui est énoncé oralement.
 

La protection fonctionnelle érigée en rempart absolu par la DGFiP dans le cadre d’une affaire de RGP n’est pas automatique mais doit être demandée par écrit et en accusé réception en la motivant en faits et en droits. Elle n’est pas toujours accordée notamment en cas de faute grave et personnelle (infraction volontaire, prise illégale d’intérêt, favoritisme...)
 

L’administration examinera la demande, pourra lancer une enquête avant de prendre une décision car si elle accorde à tort une protection, elle peut être condamnée au pénal au motif de détournement de fonds publics.

 

Le refus d’octroi de cette protection ou le silence de l’employeur deux mois après la demande permet à l’agent de faire un recours auprès du tribunal administratif. Il est donc probablement plus prudent pour les agents de souscrire une assurance personnelle qui couvrira plus complètement les risques et les frais engagés, notamment d’avocat, (mais pas l’amende) liés à une mise en cause au titre de la responsabilité des gestionnaires publics.

 

LA DIRECTION GÉNÉRALE NOUS DEVRAIT UN DISCOURS DE VÉRITÉ

 

Notre Direction Générale nous doit un discours de vérité et doit surtout nous dire ce qu’elle compte faire pour protéger les agents de tout grade travaillant dans un process financier. Il ne suffira pas de revoir toutes les délégations de signature pour évacuer le problème.


Ce qui nous guette est une sclérose généralisée alimentée par les refus de délégations de signature et la prolifération non moins légitime de demandes d’ordres écrits en cas de doute.

 

Plusieurs réquisitoires impactant la DGFiP sont en cours avec notamment des affaires traitant, entre autres, de la mission Evaluation et des métiers Gestion Publique. La DGFIP et ses directeurs locaux tiennent le discours que la Cour des comptes ne mettra pas en cause les agents mais les cadres. Il ne s’agit que d’une volonté à court terme de la Cour de s’intéresser plus dans un premier temps à mettre en cause des chefs de service ou comptables et leurs adjoints A.

 

UNE CONVERGENCE DE SIGNAUX FAIBLES AURAIT DU ALERTER LA DGFIP

 

Le juge entend rester seul à décider qui il entend mettre en cause et, lorsque surviendra une faute grave avec préjudice conséquent, s’il ne peut pas incriminer le cadre qui a fait son travail (consignes, contrôle interne à posteriori, CHD mis à jour...) il n’hésitera pas à chercher plus bas dans la hiérarchie celui qui a commis une erreur, en descendant jusqu’à l’agent s’il le faut.

 

Quelques exemples ci-dessous de la créativité débordante des magistrats financiers qui s’autorisent à aller chercher loin dans la liste des agents potentiellement responsables... et n’hésitent pas non plus à « revisiter » les deux conditions cumulatives devant être réunies ; c’est à dire l’existence d’une faute grave et la matérialisation d’un préjudice financier significatif.

 

Avant même la déflagration de l’arrêt du département de l’Eure en mai 2024, une convergence de signaux faibles aurait du alerter la DGFiP.

 

 Ainsi, dès 2023, nous relevions  que dans le 2ème arrêt de la nouvelle chambre du contentieux de la Cour des comptes : « La Cour ne limite pas la sanction aux agents ayant pris une part directe dans les irrégularités et recherche également la responsabilité de tout justiciable du fait des obligations attachées à ses fonctions, même s’il n’est pas démontré que celui-ci a activement participé à la commission des irrégularités » (Cour des comptes – 31/5/23 – commune d’Ajaccio – S-2023-0667).

 

 L’arrêt suivant (Cour des comptes 10/7/23, CH Sainte-Marie à Marie-Galante, n°S-2023- 085 – Affaire n° 882) démontre bien que la RGP ne se limite pas au responsable en titre de la structure, ordonnateur principal ou comptable, mais concerne également ses collaborateurs. Le juge descend jusqu’au grade d’attaché d’administration qui est le 1er niveau de grade du corps de catégorie A de l’administration. Pour la Cour, et c’est logique au vu de l’ordonnance de mars 2022, peu importe sa place dans l’organigramme de la collectivité, tout agent public est justiciable et sanctionnable par la Cour des comptes.

 

 Dans l’arrêt S-2023-1382 - Caisse de Crédit Municipal de Bordeaux (CCMB) - du 26/10/2023, le juge s’exonère de la double conditionnalité prévue par l’ordonnance du 22/3/22 (faute grave + préjudice significatif) pour condamner un gestionnaire public. Nous découvrons dans cet arrêt que la significativité du préjudice caractérise la gravité de la faute !

 

À ce jour, 12 arrêts de la Cour des comptes ont été rendus et un de la Cour d’appel financière. Un seul agent DGFiP a été mis en cause (l’adjoint de la Paierie de l’Eure) mais plusieurs réquisitoires touchant la sphère DGFiP sont en cours.

 

 

Notre syndicat  a démontré que les juges ne s’interdisent rien dans cette RGP qui est un régime de responsabilités individuelles multiples dans une chaîne de travail.

Même si la RGP juridictionnelle (eu égard à l’ancien régime des débets) est moins fréquente, n’oublions pas qu’elle s’accompagne d’une RGP managériale.

 

La DGFIP est seule maîtresse de la mise en jeu de la responsabilité managériale vis-à-vis de ses agents. Il sera tentant pour des directions locales de se servir de ce levier dans le cadre de l’évaluation des mérites de chaque agent dont va dépendre de plus en plus l’avancement et ou les mutations et peut être à terme la rémunération indemnitaire.

 

La Direction Générale doit désormais sortir du déni et prendre immédiatement toutes les mesures propres à protéger efficacement ses personnels de tout grade.

 

DERNIERE MINUTE.....

 Une Note de service 2024/05/0560 du 27/8/24 GF-2A :

La DGFiP recommande le recours à la délégation de signature permanente « pour tout acte d’administration et de gestion du service  » aux cadres A des SIE.

La note relève « l’absence (ou l’insuffisance) d’association des cadres A dans le pilotage et le suivi des travaux comptables au sein du service (qui) fragilise la continuité de l’activité et freine la diffusion d’une culture comptable au sein des services de la gestion fiscale ».

On notera la formulation très maladroite d’une présupposée absence de culture comptable de la filière fiscale que les cadres A apprécieront !

Cette note est l’une des conséquences de l’arrêt RGP de l’Eure de mai 2024 et devrait s’étendre à toutes les familles de postes comptables.

A une exposition temporaire au risque, cantonnée aux périodes d’absence du responsable de structure, vient se substituer une exposition permanente. Et ce, sans adaptation notoire du régime indemnitaire de ces cadres A non comptables pour intégrer ce risque.

 

Notre syndicat  a constamment alerté sur les méfaits de la RGP qui s’affirme bien comme une bombe à fragmentation multiple. Et face à ce nouveau risque, que propose la DGFiP  ? Plus de contrôle interne et moins de personnel.

En fait...Les agents de doivent pas compter compter sur la protection fonctionnelle . En matière de risque, il y en a un juridique sérieux

A quand un discours de vérité de la DGFiP sur les véritables ravages à venir de cette RGP ?

 

INAPPLICABILITÉ DE LA PROTECTION FONCTIONNELLE À LA RGP ...vrais sujet !

 

Qu'on en juge !...

 

Extraits d’une note du Secrétariat Général du Gouvernement du 2/4/24 aux secrétaires généraux des ministères et directeurs et directrices des affaires juridiques : «  une demande d’octroi de la protection fonctionnelle présentée à l’occasion d’une procédure engagée par cette juridiction (NB  : chambre du contentieux de la Cour des comptes ou Cour d’appel financière) doit être légalement refusée au motif que ce cas de figure n’est pas prévu par les dispositions légales en vigueur ni couvert par le principe général du droit reconnu par le Conseil d’État, sans même à avoir à s’interroger sur l’existence ou non d’une faute personnelle de l’agent mis en cause ».

La  DGFIP disait: 

 Aucun non-comptable ne devait être mis en cause : MENSONGE !

 la protection fonctionnelle devait s’appliquer sans problème  : MENSONGE !

 

 

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