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28 / 01 / 2020 | 386 vues
Etienne Dhuit / Membre
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Rémunération à la commission et travail indépendant : où est passée la protection des travailleurs ?

La rémunération à la commission et le travail indépendant concernent plusieurs millions de personnes en France. Parfois perçues comme source de motivation et de liberté, ces « nouvelles » formes de travail sont aussi vectrices de précarité, de pratiques commerciales abusives ou de comportements dangereux.
 

La commission : précarité et mauvaises pratiques commerciales
 

En France, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont rémunérées uniquement à la commission, ce qui s’apparente à un paiement à la tâche. La vente à domicile est particulièrement concernée. Pointé du doigt, ce mode de rémunération serait générateur de mauvaises pratiques commerciales. En effet, les gains financiers étant conditionnés au nombre de contrats signés, le système pousse les vendeurs à multiplier les abus pour vendre à tout prix.
 

Une dérive particulièrement présente chez les énergéticiens. L’année dernière, le géant Engie a ainsi été condamné à deux reprises pour les pratiques abusives de ces prestataires qui, dans certains cas, sont même allés jusqu’à usurper le nom d’EDF pour tromper de potentiels clients. Jean Gaubert, ancien médiateur de l’énergie, impute directement la responsabilité de ces pratiques à Engie.
 

Ce dernier les justifie par le recours abusif à la commission de la part des prestataires choisis par l’énergéticien. « Pour moi, le véritable problème réside dans le fait que les démarcheurs, dans leur quasi-totalité, ne sont payés qu’à la commission. Je préconise donc l’interdiction de la rémunération totale à la commission », s’insurgeait ainsi le médiateur de l’énergie en 2019. Engie a assuré avoir retiré l’accréditation à un certain nombre de prestataires suspects mais ne semble pas décidé à s’attaquer à la racine du problème. Dans une moindre mesure, ENI, concurrent direct d’Engie, a aussi été ciblé par les critiques.
 

Fin 2018, Darty avait d’ailleurs été épinglé pour son partenariat avec Engie permettant aux clients de bénéficier, en plus d’un appareil électroménager, de réductions sur leur tarif d’électricité. Rarement au fait de la nouvelle organisation du marché de l’énergie, certains consommateurs ont vu leur abonnement EDF être résilié sans en avoir fait la demande. Là encore, Jean Gaubert en impute la responsabilité au mode de rémunération des vendeurs. « Je ne peux pas croire à une somme d’erreurs individuelles. Je ne connais pas les rémunérations des vendeurs de Darty mais il est certain qu’elles dépendent en partie des ventes d’abonnements réalisées au cours du mois », déplorait le médiateur de l’énergie en août 2018.
 

Le travail indépendant, l'outil des plates-formes de livraison
 

L’évolution globale du travail salarié vers une flexibilisation plus affirmée est entérinée par les différents gouvernements depuis une vingtaine d’années. La diffusion du modèle du travailleur indépendant a par ailleurs été fortement prisée par les plates-formes numériques afin de réduire leur coût.
 

En effet, sans le recours aux travailleurs indépendants, elles ne pourraient pour la plupart assurer la survie de leur modèle économique, encore bien loin d’atteindre la rentabilité. Malgré cela, le déficit financier de ces plates-formes reste colossal. Ainsi, au deuxième trimestre 2019, les pertes d’Uber étaient de 5,2 milliards d’euros. Simultanément, le ralentissement de la croissance du géant américain se confirme. Deliveroo, dont les pertes atteignaient 232 millions de livres en 2018, contre « seulement » 199 millions en 2017, connaît une situation similaire.
 

La rentabilité de ces plates-formes est en effet conditionnée au recrutement d’une masse critique de clients réguliers. Pour y arriver, elles dépensent des sommes faramineuses en sponsoring, marketing et promotions à la destination des clients pottentiels. Uber Eats sponsorise ainsi l’Olympique de Marseille depuis 2019. Pour la saison 2020-2021, le championnat s’appellera même Ligue 1-Uber Eats pour une somme comprise entre 11 et 15 millions d’euros par an. De son côté, Deliveroo est allé voir le PSG, que la plate-forme sponsorise depuis septembre 2019.
 

Très logiquement, les plates-formes défendent mordicus le recours aux autoentrepreneurs, pourtant au cœur des critiques. Chez Frichti, la start-up française de livraison de repas, le recours à des travailleurs indépendants est aussi au cœur de la stratégie d’entreprise. Pourtant, Frichti avait bien commencé en salariant ses premiers livreurs.
 

Par ailleurs, Jérôme Pimot, cofondateur du Collectif des livreurs autonomes parisiens (CLAP), a pointé du doigt la pression exercée sur les livreurs en mai dernier, en dénonçant une « exploitation à la cool ». Relation sociale déshumanisée et gérée par un algorithme, concurrence accrue entre les livreurs tirant les rémunérations vers le bas et prises de risques inconsidérées sur les routes pour tenir les cadences imposées sont autant de conséquences liées au travail indépendant.
 

« C’est la concurrence entre eux, à celui qui acceptera de bosser pour le moins cher », explique Jérôme Pimot. Les plates-formes s’assurent un nombre de livreurs très largement supérieur à la demande de repas, pour garantir une main-d’œuvre toujours disponible et, mécaniquement, par le jeu de la concurrence, moins chère. Mais surtout, les livreurs, autoentrepreneurs, ne sont liés par aucun contrat de travail. Sous la pression des collectifs nouvellement créés, une quinzaine de plates-formes, dont les très critiquées Deliveroo, Uber Eats et Frichti, ont signé une charte de bonnes pratiques supposée accroître la protection des livreurs.
 

Mieux encadrer et mieux protéger
 

En novembre 2018, un coursier, sous le régime des autoentrepreneurs, a été requalifié en salarié par la Cour de cassation. Mais, plus qu’une requalification massive, qui n’est pas toujours souhaitée par les travailleurs indépendants eux-mêmes, un encadrement plus strict du travail indépendant semble souhaitable. Dans l’intérêt des travailleurs, comme des consommateurs. Au-delà du statut (salarié ou travailleur indépendant), la protection doit être au cœur de la volonté des pouvoirs publics. Les mesures mises en œuvre par les plates-formes après les multiples Bad Buzz vont dans le bon sens mais demeurent insuffisantes.
 

La réponse à la crise des travailleurs indépendants repose sur une mobilisation accrue des pouvoirs publics. C’est d’ailleurs le sens de la tribune publiée par François Hurel, président de l’Union des autoentrepreneurs dans Les Échos, qui réclame « une protection sociale vraiment universelle », au même niveau que celle des salariés français.
 

Concernant les travailleurs rémunérés à la commission, un mouvement semble se dessiner parmi les parlementaires. Le député du Nord Dimitri Houbron suggère « d’interdire la rémunération totale des démarcheurs à la commission » et déplore « le type de pression qui pèse sur les épaules de ces personnes ». L’un de ses confrères, Christophe Naegelen, est lui aussi monté au créneau et dénonce « un dispositif légal (…) pas assez dissuasif », dans le cas du démarchage téléphonique ou à domicile.
 

Quels qu’ils soient, les changements à venir doivent reposer sur une approche plus volontariste des pouvoirs publics qui doivent accentuer l’encadrement législatif et réglementaire pour garantir une protection plus forte des travailleurs et des consommateurs.

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