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26 / 03 / 2019 | 849 vues
Olivier Sévéon / Membre
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Règlement intérieur de l’entreprise, principe de neutralité et liberté d’expression

La liberté d’expression est un droit fondamental, protégé par la Constitution française (préambule) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 11). Au niveau de l’entreprise, le Code du travail lui consacre notamment l’article L1121-1 qui stipule : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
 

L’article L1321-3 du Code du travail confirme cet article, en rappelant que le règlement intérieur de l’entreprise ne peut contenir de dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions non justifiées.
 

Dans un contexte de multiplication des attentats djihadistes, la loi Travail d’août 2016 (dite loi El Khomri) a autorisé l’inscription du « principe de neutralité » dans le règlement intérieur de l’entreprise, au travers de l’article L1321-2-1. Ce principe restreint l’expression des convictions des salariés et appelle deux commentaires :

  1. Loin d’être obligatoire, il constitue une faculté mise à la disposition des employeurs ainsi que l’indique clairement l’article L1321-2-1 : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Il appartient donc à l’employeur de motiver précisément les raisons pour lesquelles il recourt au principe de neutralité.

  2. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a demandé le retrait de l’article L1321-2-1. Elle le juge contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme, car « il comporte le risque d’interdits absolus et sans justification objective à l’encontre des salariés, en visant par ailleurs toutes leurs convictions, qu’elles soient syndicales, politiques ou religieuses ».
     

Lorsqu’ils sont consultés sur le règlement intérieur, les représentants du personnel doivent donc se montrer vigilants car les directions utilisent parfois le principe de neutralité pour tenter de museler la liberté d’expression des salariés, alors qu’elle leur est indispensable pour défendre leurs intérêts et leurs conditions de travail.
 

Illustration des dangers en la matière, le projet de modification du règlement intérieur d’une grande société du secteur des prestations de services prévoit textuellement : « Toute propagande par un salarié, sur le lieu de travail, ayant pour objet l’adhésion d’autres personnes à ses convictions religieuses, politiques, ou philosophiques est formellement interdite ».
 

Cette clause interdit tout simplement l’expression des opinions politiques dans l’entreprise... Le patron se réserverait-il le droit de décider de ce que les salariés discuteront sur le lieu de travail, pendant les pauses et à la cantine ? Interdiction de parler du « grand débat » ou des prochaines élections, les conversations devant se limiter aux vacances ou aux émissions vues à la télévision ! Drôle de conception pour une direction qui prône - bien entendu - la qualité de vie au travail.
 

En apparence cette clause épargne par ailleurs le droit syndical, mais en fait il n’en est rien. En effet si les organisations syndicales ne sont pas des partis politiques, elles ne sont pas pour autant apolitiques, en ce sens qu’elles interviennent dans le débat et qu’elles critiquent les partis politiques chaque fois qu’elles le jugent nécessaire. Quelques exemples :
 

  • Il ne viendrait à personne l’idée de les priver de leur droit de critiquer la politique du président Macron, et en particulier ses ordonnances de septembre 2017.

  • Certains syndicats militent ouvertement contre les idées de madame Le Pen, parce que leurs statuts se prononcent contre les facteurs de désunion que sont le racisme et la xénophobie.
     

Le projet de texte précité est donc porteur d’une insécurité juridique grave pour les militants syndicaux. Dans des cas similaires, les élus du CSE (comité économique et social) dénonceront le caractère illicite des dispositions prévues par l’employeur et prendront si nécessaire contact avec l'inspecteur du travail. En vertu de l’article L1322-1du Code du travail, celui-ci peut en effet à tout moment exiger le retrait ou la modification des articles du règlement intérieur de l’entreprise contraires au cadre légal.


J'ai publié aux éditions Gereso un guide à l'usage des élus du personnel > « CSE et CHSCT : les bonnes pratiques en santé, sécurité et conditions de travail ».

 

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