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10 / 04 / 2025 | 54 vues
Olivier Sévéon / Membre
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Prévention des risques professionnels et objectifs financiers : une conciliation délicate pour les décideurs

La place centrale du dirigeant dans la prévention des risques

L’employeur détient le pouvoir dans l’entreprise. Il est, par conséquent, l’unique responsable de la protection des salariés et est soumis à des obligations rigoureuses, parmi lesquelles le respect des neuf principes de prévention, l’établissement du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et l’interdiction de prendre des décisions qui auraient pour effet de compromettre la santé des salariés.


Notons que l’article L4121-1 du Code du travail indique que l’employeur « prend » les mesures nécessaires à la sécurité des salariés, l’emploi de l’indicatif présent soulignant une obligation impérative.


Les actions de protection du dirigeant rencontrent cependant des butoirs car la mission qui lui est confiée par ses mandants comprend, par définition, des objectifs de performance économique et financière : renforcement de la rentabilité (secteur privé) ou réduction des coûts (secteur public).


Il doit ainsi continuellement arbitrer entre ses obligations légales de prévention et les objectifs financiers qui lui sont assignés. Cet exercice est rendu encore plus délicat après septembre 2017, vu que les ordonnances Macron allègent considérablement les charges et obligations des employeurs. Dès lors une question se pose : l’entreprise doit-elle exploiter toutes les possibilités offertes par ce nouveau cadre légal, même quand elles nuisent à la prévention ? Dans la négative, où placer le curseur pour trouver un juste équilibre ?


Le droit européen confirme que la santé des travailleurs prime sur toute autre question : « L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations économiques » (directive-cadre européenne du 12/6/1989).


En conséquence, l’employeur doit se rappeler que les minimums légaux ne constituent pas une norme qui le dédouane de sa responsabilité propre et qu’il n’est pas à l’abri d’une faute inexcusable, entraînant une augmentation de l’indemnisation de la victime et la réparation intégrale de ses préjudices. En outre, il doit se garder d’une obsession des résultats financiers susceptible de l’éloigner de la connaissance des métiers et des risques.


Heureusement, de nombreuses entreprises prennent des dispositions extra-légales en faveur de la prévention. Un exemple connu : ajouter aux heures de délégation le temps consacré aux inspections par les élus du personnel. Cette bonne pratique est conforme au rapport Verkindt de 2014 qui constatait que les inspections servent la prévention autant que les enquêtes ou le droit d’alerte ; il concluait qu’elles devaient donc bénéficier du même statut, c’est à dire ne pas être imputées sur le crédit d’heures.

Pas de prévention efficace sans implication des salariés et du CSE

La prévention des risques ne peut se dispenser du concours actif des salariés : ancrés sur le travail réel, ils sont bien placés pour connaître les risques de leur métier et désigner ce qui doit être changé pour les prévenir.


Le Code du travail reconnaît implicitement l’importance de leur rôle : l’employeur doit afficher les modalités d’accès au DUERP afin que chaque salarié puisse s’en saisir directement, s’il le souhaite.


Pierre Caloni – premier secrétaire général de l’OPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics) – expose les égarements de son début de carrière dans son livre Échec au risque : « Je m’imaginais volontiers que l’on pouvait préserver les hommes sans leur aide. La collaboration de l’intéressé, de son intelligence, de sa volonté, souhaitable sans doute, ne me paraissait pas indispensable. […] J’avais l’orgueilleuse prétention de construire la sécurité sans m’occuper de faire appel aux hommes soumis aux risques. »


Cette citation rappelle fort à propos que la protection des salariés ne se réduit jamais à une technique, mais passe nécessairement par un dialogue. Le préventeur ne doit donc pas s’ériger en spécialiste chargé de définir les solutions ad hoc et de les faire appliquer. Il doit en premier lieu favoriser le débat sur le travail et mettre les salariés en capacité d’agir sur les risques.


Sur ce plan, le CSE est irremplaçable, parce qu’il représente le maillon qui permet au personnel de s’investir dans le processus de prévention. La consultation sur le DUERP, rendue obligatoire par la loi du 2 août 2021, offre à cet égard des opportunités supplémentaires. En effet, le comité y sera le porte-voix des remarques, demandes ou suggestions qu’il a pu collecter auprès du personnel tout au long de l’année, notamment lors des inspections, enquêtes et consultations.

Question clé : combien d’élus du personnel au service de la prévention ?

En lien avec nos observations précédentes, les ordonnances de septembre 2017 desservent grandement la prévention des risques professionnels, car elles se soldent par une chute du nombre de représentants du personnel : elle est de - 27,3 % à - 50,0 %, selon la taille de l’entreprise.

Tableau

Encore faut-il noter que ce tableau ne restitue qu’imparfaitement la réalité, vu que diverses dispositions amoindrissent encore davantage la représentation du personnel (exemple : marginalisation des suppléants, désormais privés de réunion).
 

Moins de représentants du personnel cela signifie moins de têtes pensantes au service de la prévention, mais la fusion des IRP exerce aussi un autre effet pénalisant : la disparition des établissements de proximité (ceux des DP et des CHSCT) se solde par une centralisation de la représentation du personnel qui éloigne du terrain et de la connaissance des risques professionnels.
 

Encore plus inquiétant, la fusion des IRP met en cause le devenir de la représentation du personnel. Selon plusieurs rapports officiels, les PV de carence aux élections dénombrés au 31 décembre 2020 reflètent un désengagement des élus, en raison de la surcharge de leur mandat et des difficultés à le concilier avec l’activité professionnelle. De plus, les suppléants ne peuvent plus se former en participant aux réunions, ce qui démotive leur candidature.
 

Une mesure extra-légale, simple, permettrait de corriger partiellement ces effets négatifs des ordonnances de 2017 : instaurer des représentants de proximité (là où l’entreprise les a jusqu’à présent refusés) ou améliorer l’accord déjà signé (en cas d’accord « au rabais »).
 

Les représentants de proximité peuvent être institués facilement : désignés par le CSE, ils ne nécessitent pas d’élections professionnelles. De plus, si un fonctionnement similaire à celui des DP est décidé, nul besoin de rédiger de nouveaux textes : les articles du Code du travail relatifs aux CSE de moins de 50 salariés sont rigoureusement identiques à ce qui était prévu pour les DP.
 

En dernier lieu, il n’est pas inutile de rappeler que les dispositions extra-légales en faveur de la prévention présentent un intérêt direct pour le décideur : elles peuvent constituer un argument à sa décharge face à un juge, si un jour sa responsabilité est engagée.

 

Olivier Sévéon

A lire > Olivier SÉVÉON vient de publier un ouvrage intitulé « Prévention, accident du travail et document unique » aux éditions Gualino-Lextenso. 

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