Organisations
Prendre en compte la stratégie de dialogue social retenue par les employeurs [Chapitre 3]
Certaines Directions d’entreprise considèrent qu’elles n’ont pas besoin des modalités réglementaires pour assurer un dialogue social constructif au motif qu’elles le réalisent via les équipes managériales, la politique RH, la communication interne, les groupes de projets, les réunions d’équipe, les entretiens annuels. Quelles sont les principales stratégies de « gestion de la représentation du personnel » ? Quels effets ont ses stratégies sur la santé des représentants du personnel ? Quelles sont les modalités d’actions pour y faire face ? C'est le chapitre 3 d'une série de 10 contributions pour maîtriser les risques du métier de syndicaliste en améliorant son efficacité.
- Retrouvez le chapitre 1 - A quoi vous expose votre activité syndicale ?
- Retrouvez le chapitre 2 - Les causes des facteurs de tensions et de ressources psychosociales du métier de syndicaliste
Les entreprises, personnes morales, sont animés d’une volonté propre avec un but de rentabilité dans l’intérêt de ceux qui la contrôlent ou la dirigent. Les Etats ont cherché plus ou moins depuis la fin du XIXe siècle à maintenir sous contrôle démocratique le pouvoir économique des entreprises. Les travaux d’Alain Supiot (Professeur au Collège de France) montrent toute la difficulté de cet exercice (cf : Revue Esprit mars 2018 - De la citoyenneté économique) : « pour pouvoir parler de démocratie économique, il faut que le but social poursuivi par une entreprise ne se réduise pas à l’enrichissement de ses dirigeants et actionnaires. C’est à cette condition que le pouvoir qui s’y exerce ne se réduit pas à un pur système de domination et peut être rapproché du pouvoir institué dans un état de droit ». Les lois Auroux en 1982 se réclamaient de la « citoyenneté dans l’entreprise » pour encadrer le pouvoir économique mais sans en faire partager l’exercice avec les représentants du personnel. La Loi PACTE en 2019 tente, sans obligation, de réaffirmer cette orientation.
Même si le terme de « dialogue social » est apparu en 1982 avec les lois Auroux, ce sont les lois de 1972 (La Nouvelle Société de Chaban-Delmas) qui ont imposé un dialogue social dans les entreprises avec un ensemble de droits d’association, d’information, d’expression (autant pour les salariés que pour leurs représentants), de communication, de déplacement, etc. (Jacques Le Goff - Du Silence à la parole 1985). Ces droits ont fixé les missions de représentation (porte-parole) et de délégation (négociation) au sein d’instances représentatives du personnel (CE, CHSCT, DP, Organisations Syndicales). Ils ont été renforcés au fil des ans jusqu’en 2017 par la jurisprudence, jusqu’à la mise en place possible de groupes d’expressions, voire des groupes de travail, avec la mise en œuvre d’accord de QVCT. Il est d’usage de considérer que le dialogue social porte sur les conditions de travail, la rémunération, le temps de travail, la formation, les statuts et conditions d’emploi.
Certaines Directions d’entreprise considèrent qu’elles n’ont pas besoin de ces modalités réglementaires pour assurer un dialogue social constructif au motif qu’elles le réalisent via les équipes managériales, la politique RH, la communication interne, les groupes de projets, les réunions d’équipe, les entretiens annuels. Aussi ces Directions cherchent-elles à limiter les marges de manœuvre des représentants du personnel dans leurs relations avec les salariés, les hiérarchies opérationnelles et la Direction Générale.
Les Directions adoptent différentes stratégies plus ou moins délimitées :
- Reconnaissance et intégration du dialogue social imposé par le Code du Travail dans celui de la Direction en associant les représentants du personnel à tous les niveaux.
- Pilotage par la Direction des Affaires Sociales (institutionnalisation) du dialogue social imposé par le Code du Travail en organisant les activités des représentants du personnel de telle sorte qu’elles soient sans appui des salariés (que je qualifierai de mauvaise professionnalisation) ; avec des modalités de fonctionnement favorisant les réunions des instances cadencées par des informations et consultations, des rendus d’avis sans échanges constructifs entre les représentants du personnel et les salariés, c’est-à-dire sans mandatement.
- Politique d’obstruction et de limitation des prérogatives des représentants du personnel prévues par la règlementation, matérialisées par :
- Les situations de blocage dans la discussion ou la négociation, l’absence d’écoute, le refus de reconnaître des arguments factuels.
- Les pressions patronales pour limiter les capacités d’action syndicale (contacts et communications avec des salariés, mise à l’isolement, discriminations, etc.
Il y a donc à considérer deux organisations du « dialogue social » entre les salariés et la Direction de l’entreprise : celle native définie par l’employeur et celle imposée par le code du travail qui contrebalance les pouvoirs autorisés par le lien de subordination du contrat de travail. Ce lien nuit à la citoyenneté économique des salariés, c’est à dire à la capacité des salariés de juger la stratégie, les moyens, l’organisation et les résultats de l’entreprise.
Avec l’institutionnalisation des relations entre les représentants du personnel depuis 1972, ceux-ci voient trop souvent le « dialogue social » comme un débat et une négociation entre la Direction et eux-mêmes (pas avec les salariés). L’hypothèse exprimée dans cette série de post est justement que cette représentation du rôle des IRP est à la fois nocive pour la santé des représentants du personnel et pour … le dialogue social lui-même.
L’équilibre existant au sein d’un collectif syndical s’inscrit donc dans le système de ressources et de contraintes des modalités de dialogue social permis et imposé par le code du travail d’une part, et celui permis et administré par la Direction de l’entreprise d’autre part.
Pour adapter les méthodes syndicales au contexte de l’entreprise, le facteur primordial restera d’évaluer la nature du modèle de dialogue social. Il ne s’agit pas de le juger ou de le déplorer, mais d’adopter une stratégie et des méthodes pour en tenir compte.
N’hésitez pas à compléter, à commenter cette contribution.
A suivre : Chapitre 4 : Elus du CSE, viser l’autonomie, la démocratie, le mandatement