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31 / 07 / 2020 | 104 vues
Valérie Forgeront / Membre
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Pour une réforme fiscale de fond

À quand un impôt sur le revenu (IR) plus juste et plus progressif ? Si, à la faveur des mouvements sociaux, le thème de la fiscalité s’est invité dans le débat national organisé par le gouvernement, une réforme fiscale de fond, comme la confédération FO le revendique de longue date, n’est toujours pas en vue.

 

Les griefs formulés par les acteurs politiques de tous bords ou les spécialistes de la fiscalité contre le système fiscal français sont nombreux : trop compliqué, illisible, injuste, vieillot, inadapté… Les choses ne changent guère cependant. La première tranche de l’impôt sur le revenu a été supprimée en 2015, la taxation à 75 % sur les revenus supérieurs à un million d’euros a été créée en 2013 mais a disparu deux ans plus tard et le débat actuel pose la question de la création d’une tranche supérieure d’imposition (supérieure à 45 %) en lieu et place du rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Au-delà de quelques modifications effectuées ou en germe, aucune réforme en profondeur de l’IR n’a été envisagée par les gouvernements successifs. Ce n’est pas le système du prélèvement à la source instauré le 1er janvier, compliqué et qui transforme les employeurs en tiers collecteurs de l’impôt, qui fera office de réforme fiscale.

 

Pendant ce temps, la figure de proue de la fiscalité française, l’impôt sur le revenu, perd de sa force, devenant un quasi poids plume dans l’ensemble des recettes fiscales perçues par l’État et qui constituent 90 % de ses ressources. Les recettes de l’IR s’élevaient ainsi à 73 milliards d’euros en 2017 et 2018. Elles devraient s’établir à 70 milliards en 2019. Ce recul est principalement la conséquence des nombreuses mesures de dérogations accordées aux contribuables, des exonérations appelées « niches fiscales ». Les recettes de l’IR ont aussi reculé à la suite de la réforme/suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune en 2018 .Cette réforme a été maintenue en 2019. L’exécutif accepte donc que l’État se prive de recettes fiscales. Parallèlement, comme ses prédécesseurs, le gouvernement insiste sur l’impérieuse nécessité de résorber le déficit public au plus vite, cela pour répondre au pacte européen de stabilité et de croissance, soit un déficit public (État, Sécurité sociale et collectivités territoriales) inférieur à 3 % du PIB.

 

La fuite des recettes fait mal...

 

Depuis des années, tous les gouvernements s'emploient à cela. Pour pallier le manque à gagner dû aux nombreux cadeaux fiscaux accordés soit aux plus aisés, soit aux entreprises ou les deux à la fois (ce qui, pour le moins, amoindrit la capacité redistributive de l’impôt), ils appliquent une méthode : la diète infligée aux dépenses publiques. Plan de 50 milliards programmé entre 2015 et 2017 ou plan annoncé par l’actuel exécutif et visant 30 milliards, voire 60 milliards d’économies d’ici 2022… Par ces potions sévères, des prestations sociales sont mises à mal (actuellement, quasi gel de certaines allocations, des retraites etc.), le système de santé est attaqué, les emplois et les moyens des services publics sont désormais en péril. La suppression de 120 000 postes est toutefois programmée d’ici 2022, quitte à rendre nombre de services dont les usagers sont souvent les plus modestes exsangues.
 

Les mesures annoncées en décembre sous la pression de la grogne sociale devraient un peu augmenter le déficit public (à 3,2 % voire 3,4 % du PIB). Qu’à cela ne tienne, le gouvernement prévient déjà que le financement de ces mesures se fera par un renforcement de la baisse de la dépense publique et il affiche ses angles d’attaque, notamment contre la fonction publique, ses missions et ses emplois.
 

Cette situation rappelle combien le choix d’un système fiscal qui n’amoindrirait pas l’apport de recettes provenant de l’impôt sur le revenu et permettrait donc de doper la capacité redistributive de cet impôt serait nécessaire. Un tel système devrait aussi permettre un mode d’imposition véritablement progressif, tenant compte des capacités contributives de chacun. Tel n’est pas le cas et les récentes décisions prises en matière de fiscalité pèsent sur les ménages. Pour les économistes de l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’effet cumulé des mesures socio-fiscales de l’année passée et de l’année en cours reste marqué par la réforme de la fiscalité du patrimoine. Fin 2019, les 5 % de ménages les plus aisés ont, en moyenne, encore enregistré un gain de pouvoir d’achat, en euros, près de quatre fois supérieur à celui du milieu de la distribution des revenus.

 

Les plus modestes subissent l’iniquité et le bricolage

 

Qui paye l’impôt direct, soit l’impôt sur le revenu ? Il y a en France quelque 37 millions de foyers fiscaux mais seuls 17 millions sont imposés. Si l’IR accuse un repli sérieux de ses recettes, tel n’est pas le cas de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est un impôt indirect et surtout inique car tout consommateur s’en acquitte, riche ou pauvre. La TVA affichait des recettes de 152 milliards d’euros en 2017, puis 157 milliards en 2018… Pour 2019, la TVA doit rapporter 130,3 milliards d’euros à l’État. Ce montant ne traduit pas un soudain effondrement, simplement qu’une part de TVA est désormais versée aux régions, dans le cadre des lois de décentralisation, lesquelles ont permis à l’État de se désengager de nombre de ses compétences.

 

Dans ce panorama d’austérité, les collectivités territoriales sont d’ailleurs elles aussi mises à la diète par l’État. De 40 milliards d’euros en 2008, la dotation globale de fonctionnement (DGF) a reculé à 27 milliards ces deux dernières années. Les collectivités sont aussi subtilement soumises à des économies, invitées à diminuer leurs dépenses, à hauteur de 13 milliards d’ici 2022. Or, cela a des incidences, de la difficulté à maintenir des services publics locaux à la hausse de la pression fiscale. Les statistiques regorgent ainsi de chiffres montrant la flambée des impôts locaux (taxe d’habitation et taxe foncière). De 2004 à 2013, ils ont augmenté de près de 24 %. À elle seule, la taxe foncière a augmenté de 14 % de 2011 à 2016. Autre statistique, entre 2012 et 2017, les impôts locaux ont augmenté de 0,5 à 25 points dans la moitié des villes de plus de 50 000 habitants.

 

Arguant de sa volonté d’apporter du pouvoir d’achat aux citoyens contribuables, le gouvernement a mis la réforme de la taxe d’habitation (TH) en œuvre en janvier 2018. Sur trois ans, elle consistait initialement à exonérer 80 % des ménages s’acquittant de la taxe, soit près de 17 millions de ménages. Récemment, dans le cadre du débat national, le Président de la République a annoncé que la taxe d'habitation serait supprimée pour tous les ménages. La mesure a-t-elle de quoi réjouir ? À la veille de son entrée en vigueur, une étude de l’OFCE résumait : les gagnants de la réforme sont les plus aisés, tandis que les ménages les plus modestes n’en retirent aucun gain. Un nouveau bricolage fiscal en somme et toujours pas de réforme de fond à l’horizon.

 

  • ISF, cher disparu…

 

Par la réforme de l’ISF l’an dernier, le patrimoine immobilier demeure taxé mais plus le patrimoine financier. Par ailleurs, la création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % s'est ajoutée aux revenus du capital, alors que la taxation de ces revenus avait été réintégrée à l’impôt sur le revenu et donc à son barème progressif d’imposition, en 2012. Fustigeant ces réformes, FO remarquait que les intérêts, les dividendes, les plus-values mobilières et autres revenus financiers exceptionnels ne seront donc plus taxés au barème progressif de l’IR (auquel s’ajoutaient les prélèvements sociaux) mais seront plafonnés au taux maximal de 30% (dont 17,2% de prélèvements sociaux, hausse de la CSG incluse). Selon la version gouvernementale, le manque à gagner de la réforme s’élevait à 4,5 milliards d’euros dont 3,2 milliards par la suppression de l’ISF, en 2018.

 

Le cadeau à l’ultra-minorité des plus riches

 

L’OFCE était moins optimiste, évaluant le manque à gagner à 6,5 milliards. Les économistes soulignaient au passage que cette réforme profiterait surtout au 1 % de contribuables les plus riches. Si les revenus du patrimoine (notamment financier) représentent moins de 3 % du total des revenus de 90 % des ménages ; les revenus du capital représentent en revanche plus de la moitié du total des revenus des plus aisés. Ainsi, quand pour 90 % des ménages le montant moyen des revenus financiers détenus s’établit à 800 euros, pour le 1 % de ménages très riches, le patrimoine financier est en moyenne cinquante fois plus élevé, soit plus de 100 000 euros. Quant au 0,01 % de ménages encore plus riches, le portefeuille financier de ces derniers s’élève à 2 millions d’euros en moyenne.

 

  • Les niches pèsent de plus en plus lourd...

 

Près de 500 niches pèsent désormais 100 milliards d’euros par an en termes de manque à gagner pour l’État. Leur poids a augmenté de 30 milliards en six ans. Leur montant a progressé de 42 % en dix ans. Ces niches s’adressent tant aux particuliers qu’aux entreprises qui, elles, payent notamment l’impôt sur les sociétés (IS : impôt sur une part des bénéfices). Par une réforme démarrée en 2017 (laquelle vise à faire passer le taux d’imposition de l’impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 contre 33,33 % initialement), l'IS enregistre d’ailleurs un recul du montant de ses recettes. Dès les années 1980 en fait, le taux normal de l’IS (soit 50 %) a commencé d'être diminué. Alors que les recettes de cet impôt s’élevaient encore à 35,7 milliards en 2017, elles doivent être en recul à 31,5 milliards pour 2019. Si l’existence de certaines niches fiscales correspond à une volonté de l’État de soutenir un secteur de l’économie (par exemple, des mesures de soutien à la transition énergétique), beaucoup de ces niches, qui permettent de réduire le montant de l’impôt, sont des aubaines pour les plus aisés.

 

Pour le bonheur des plus riches

 

Les gouvernements successifs promettent de diminuer leur nombre et de les raboter (telle la proposition du Ministre de l’Action et des Comptes publics). Mais les niches sont toujours là et solides. L’an dernier, la Cour des comptes a haussé le ton, pointant leur coût pour l’État. Des niches sur le logement étaient particulièrement dans le collimateur des magistrats : avantages Pinel, Scellier… L’engagement de l’État sur le maintien de ces avantages induit un manque à gagner de plusieurs milliards d’euros. La Cour notait aussi que ceux à qui ces exonérations bénéficient ne sont pas dans le besoin. En 2013, près d’un quart de ces foyers appartenait à la tranche de revenus comprise entre 71 000 et 151 000 euros. Des ménages qui ne représentaient alors que 2,3 % des foyers imposés. Actuellement, 80 % du montant total des exonérations accordées au titre de l’avantage Pinel est capté par les 10 % de ménages les plus riches. Au registre des niches fiscales s’adressant aux entreprises, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE, créé en 2013) est devenu célèbre. Depuis quelques années, il induit 20 milliards de manque à gagner par an pour l’État. En 2019, son poids a doublé par le coût (20 milliards d’euros) de sa transformation en allègements de cotisations pour les employeurs.

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