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17 / 04 / 2019 | 473 vues
Xavier Burot / Abonné
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Portage salarial ou la quadrature du cercle

Le 28 avril 2017, le Ministère du Travail étendait, en procédure accélérée, la toute nouvelle convention collective de branche des salariés en portage salarial signé le 22 mars 2017 par les cinq organisations syndicales représentatives au niveau national et, côté patronal, par le syndicat des Professionnels de l’emploi en portage salarial (PEPS). Cette extension clôture un long processus de reconnaissance d’un secteur qui a longtemps été en marge de la légalité.

 

Pour rappel, le portage salarial est une relation tripartite entre une entreprise cliente (organisation publique, privée ou associative), un consultant autonome et une entreprise de portage salarial (EPS). Le consultant réalise des missions de manière indépendante pour des clients et bénéficie de la protection du statut de salarié, tout en déléguant toutes les tâches administratives à l’EPS. La particularité de ce statut est que c’est au salarié porté, outre d’exécuter la prestation, de trouver ses missions et d’en négocier le tarif. L’EPS n’étant pas tenue, par la loi (art. L.1254-2 du Code du travail), de lui fournir du travail. L’EPS, assurant un rôle de conseil, se rémunère théoriquement sur la base d’un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par le salarié porté. C’est ce qui est communément appelé « frais de gestion ».

 

L’histoire du portage salarial est ponctuée de nombreuses péripéties, que nous pouvons résumer en quelques dates :

 

  • Fin des années 1980, apparition, en France, du portage salarial à l’initiative d’anciens élèves d’HEC et de l’association d’entraide pour cadres au chômage (AVARAP). À l'origine, celui-ci est réservé aux cadres en fin de carrière.
  • Entre 1990 et 2000, le secteur a connu un fort développement avec la création de nombreuses entreprises.
  • Le 6 mars 2006, le Syndicat national des entreprises de portage salarial (SNEPS, organisation patronale), et les organisations syndicales CFDT-F3C, FIECI CFE-CGC, CFTC cadres, Fédération des sociétés d’études CGT et l’ODD FO ont créé l’observatoire paritaire du portage salarial (OPPS), association loi 1901, dont l’objet « est de mieux appréhender la nature des activités qui sont aujourd’hui réalisées en portage salarial, les modalités d’organisation de sociétés organisées en portage salarial et les modalités d’exercice des activités ». Cette date fixe la première reconnaissance paritaire du portage salarial.
  • Le 15 novembre 2007, un « accord collectif des entreprises de « portage salarial » adhérentes au CICF-SNEPS » a été signé dans la cadre de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987. Cet accord a été ratifié, côté patronal, par le SNEPS et la fédération patronale CICF, et, côté syndical, la CFDT-F3C, le FIECI CFE-CGC, l’UGICA CFTC et la CFTC FCSFV. Cet accord n'a jamais été étendu car il rencontre l’opposition de la fédération patronale SYNTEC, majoritaire dans cette convention collective, ainsi que celle de la fédération CGT des sociétés d’études. Cette dernière refusant l’instauration d’un statut qui crée un dumping social à l’encontre des salariés de la branche.
  • La reconnaissance officielle du portage salarial s'est fait via l’article 19 de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail (étendu par un arrêté du 23 juillet 2008), où les signataires, du côté syndical, CFDT, CFE-CGC, CFTC et FO, et, côté patronale, CGPME, MEDEF et UPA, rappellent leur souhait d’organiser cette activité afin de sécuriser la situation des portés ainsi que la relation de prestation de service. Ils donnaient mandat à la branche du travail temporaire, la création d’un accord étendu organisant la relation triangulaire en garantissant au porté, le régime du salariat, la rémunération de sa prestation chez le client ainsi que de son apport de clientèle.
  • Cet accord interprofessionnel a été repris par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail. Elle a fait entrer, pour la première fois, via son article 8, le portage salarial dans le Code du travail. Cet article a partiellement été censuré par le Conseil Constitutionnel le 11 avril 2014 (décision n° 2014-388 QPC).
  • Le 24 juin 2010, la CGT, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC ont signé un accord relatif au portage salarial avec le syndicat patronal PRISME. Celui-ci figeait que les entreprises de portage salarial doivent avoir comme activité exclusive celle de gérer des salariés portés. Il a été entendu par arrêté le 24 mai 2013 à tout contrat de portage salarial. Sa durée vie a été courte car la censure du Conseil Constitutionnel du 11 avril 2014 l'a rendu anticonstitutionnel, donc nul.
  • Par ordonnance n° 2015-380 relative au portage salarial, datée du 2 avril 2015 (ratifiée par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels), le gouvernement a réintroduit le portage salarial dans le Code du travail, en définissant plus précisément le portage salarial ainsi que les conditions de recours. La loi de ratification ouvrant droit pour les partenaires sociaux à l’ouverture de négociations pour la création d’une nouvelle convention collective spécifique.
  • Le 22 mars 2017, la première convention collective de branche des salariés en portage salarial, étendue le 23 avril 2017 a été signée à l’unanimité des organisations syndicales avec le syndicat patronal PEPS.

 

Comme vous pouvez le constater, l’histoire du portage salarial n’a pas été un long fleuve tranquille. Si, dans un premier temps, la CGT via sa fédération des sociétés d’études, a farouchement combattu ce nouveau style de contrat, en raison notamment de l’utilisation qui en était faite par certaines sociétés de conseils ou d’informatique. En effet, ces dernières réduisaient leur effectif en proposant à leurs salariés seniors de les licencier et de les réembaucher sous contrat de portage salarial. Pour cette organisation, c’était un nouveau moyen trouvé par le patronat pour précariser une nouvelle frange de la population active.

 

Mais dès lors que le portage salarial a été légalisé par son introduction dans le Code du travail, son action a été d’encadrer ce nouveau type de contrat au mieux pour protéger les salariés portés mais aussi d’en limiter l’accès par l’établissement d’une rémunération minimale afin de réserver ce statut à des salariés ayant une solide expérience professionnelle, un bon niveau d’autonomie et un carnet d’adresses de clients potentiels suffisant. Le but étant de conserver un certain équilibre entre le salariat porté et celui de droit commun, afin d’éviter tout dumping social. C'est là le sens de la signature CGT de l’accord de 2010 et de la convention collective de 2017.

 

Si les fondations ont été posées avec la signature du 22 mars 2017, l’ouvrage était loin d’être terminé avec de nombreux « chantiers » ouverts (formation professionnelle, régime de prévoyance et de complémentaire de santé, rapport d’activité, égalité professionnelle, dialogue social etc.).

 

Où en sommes-nous après deux ans de vie de cette convention collective ?

 

En termes de négociation collective, sept accords/avenants ont été signés depuis l’extension de la convention collective.

 

  • trois abordent le thème de la formation professionnelle : accord du 25 juillet 2017 relatif à la désignation de l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA), avenant n° 1 du 23 avril 2018 portant modification de l’article 36 de la convention collective portant sur le montant de la contribution devant être versée au titre de la formation professionnelle et accord du 19 décembre 2018 relatif à la désignation de l’opérateur de compétence (OPCO) ;
  • un est relatif au traitement des réserves émises lors de l’extension de la convention collective (avenant n° 3 du 2 juillet 2018) ;
  • un qui détermine les prélèvements sociaux, fiscaux et autres charges financées par le salarié porté (avenant n° 2 du 23 avril 2018) ;
  • un qui fixe les règles en matière de compte rendu d’activité pour les salariés portés (avenant n° 4 du 17 septembre 2018) ;
  • le dernier qui fixe les modalités du financement du paritarisme (avenant n° 5 du 26 novembre 2018 relatif au développement du dialogue social et à son financement).

 

Sur sept textes, seuls deux ont été étendus. Les deux qui concernent l’OPCA et l’OPCO. Les autres n’ont toujours pas reçu le blanc-seing de l’administration et ne sont donc pas applicables en l’état. En termes de signatures de ces accords/avenants, la CGT n’a pas signé l’accord sur la désignation de l’OPCA et a retiré sa signature de l’avenant n° 2. La CFDT n’a pas signé l’avenant n° 5 et la désignation de l’OPCO. FO n’a pas ratifié l’accord n° 1. Et la CFE-CGC n’a pas souhaité parapher la désignation de l’OPCO.
 

Voilà pour ce qui est des éléments quantitatifs. Pour ce qui est du qualitatif, nous pouvons constater quelques tensions dans le dialogue social de la branche.
 

Sur la création d’un régime de prévoyance et de complémentaire de santé propre à la branche, les discussions sont à l’arrêt depuis le début de l’année 2019. La raison invoquée par le PEPS serait la création d’un système de couverture complémentaire solidaire et obligatoire pour les entreprises de moins de 50 salariés (soit plus de la moitié des entreprises de portage salarial) dont il ne veut pas entendre parler. Lui préférant une labellisation qui permettrait à chaque entreprise de choisir librement son assureur. Or sur les risques lourds, comme l’incapacité temporaire, l’invalidité et le décès, les entreprises de petite taille sont extrêmement vulnérables. Il suffit qu’une personne décède en laissant des enfants en bas-âge ou même qu’elle soit déclarée invalide dans la fleur de l’âge, pour déséquilibrer les comptes du régime. Ce déséquilibre affectera obligatoirement la cotisation prise en charge à 100 % par les salariés portés.
 

Autre sujet de discorde, le choix de l’opérateur de compétences de la branche, notamment sur la méthode employée par le patronat pour arriver à ses fins. Celui-ci a entamé des négociations avec des organisations patronales des branches professionnelles œuvrant dans les métiers de l’enseignement, de l’emploi et de la formation afin de créer un secteur cohérent dans le cadre de cet opérateur et même présélectionné quelques-uns d’entre eux. Les organisations syndicales ont été mis devant le fait accompli. Puis, non content de respecter sa parole et de l’accord signé sur le sujet, les représentants des entreprises ont imposé leur choix en signant un accord minoritaire avec deux organisations syndicales sur cinq. Ce choix s’est fait au prix de refus de réunions de négociations plénières, privilégiant les négociations de gré à gré avec certaines organisations syndicales.

 

Le dernier thème de friction porte sur la détermination des frais de gestion des entreprises de portage salarial. Début 2018, la presse s’est fait l’écho de pratiques douteuses de certaines entreprises de portage salarial qui affichent un niveau de frais de gestion assez faible (entre 3 et 7 %) mais qui surfacturent aux salariés portés différents éléments plus ou moins farfelus mais aussi d’autres dont le montant est impossible à déterminer au moment du prélèvement sur le bulletin de paie comme la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) par exemple. Pour tenter d’enrayer la polémique, le PEPS a proposé la signature d’un accord de clarification des prélèvements financés par les salariés portés (avenant n° 2 du 23 avril 2018 relatif à la détermination des prélèvements sociaux, fiscaux et autres charges financées par le salarié porté). La signature de cet avenant à peine apposée et, bien qu’il ne soit pas étendu, celui-ci servait d’alibi à certaines entreprises de portage salarial pour justifier leurs pratiques « douteuses ». C’est après avoir eu des remontés de salariés portés en direct ainsi que via une interpellation de la FEDEP’S (fédération de salariés portés), la CGT a décidé, le 21 novembre 2018, de retirer sa signature de cette avenant en indiquant qu'« il apparaît donc que les dispositions de cet avenant ne sont pas suffisantes pour défendre les droits des salariés portés et nécessitent une nouvelle négociation urgente au niveau de la commission paritaire de façon à établir sans contestation possible ce qui relève des contributions sociales clairement identifiées comme étant dues par le salarié porté ou ce qui relève des frais de gestion imputables ou non par la société de portage ». Elle demandait dans le même courrier la réouverture de négociations sur le sujet. Il a fallu près de quatre mois et un courrier de la CFDT pour qu’enfin le sujet revienne à la table de négociation.

 

La leçon qui peut être tirée de l’année écoulée, c’est que le climat de confiance qui avait pu être instauré lors de la négociation de la convention collective a été fortement mis à mal par les événements des derniers mois.

 

Pour autant, nous avons collectivement un formidable défi à relever, pour faire de ce statut une possibilité de création d’emplois à forte valeur ajoutée permettant aux salariés portés de vivre dignement, pas dans une précarité croissante comme le voudraient certaines organisations patronales dont le but n’est pas la défense des salariés portés, quoi qu’elles en disent, mais bien d’élargir leurs parts de marché. C’est pour cela que la CGT se bat contre l’abaissement du seuil de rémunération minimale ou de la modification de la définition même du salarié porté, pour y faire entrer des activités qui, pour l’heure, ne peuvent se faire en portage.
 

Nous invitons ceux qui souhaitent avoir des informations régulières sur l’actualité de cette branche à consulter le site http://soc-etudes.cgt.fr/portage-salarial/.

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