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Le trumpisme, l’action publique et le service public
Depuis près d’un siècle, l’Europe éprouve, de manière plus ou moins directe et heureuse, l’influence des USA, sur les plans politique, militaire, idéologique voire sociétal. Le triomphe du néo-libéralisme mondialisé à la fin des années 70 du siècle dernier en est un parfait exemple (tout comme, depuis la même époque, l’importation du wokisme …).
Il a bouleversé les équilibres antérieurs en redéployant la richesse et la puissance relatives des Etats. Globalement, les pays occidentaux paraissent aujourd’hui en perte de vitesse sur la scène internationale face à la très forte montée en puissance de la Chine et d’autres Etats du « Sud global ». En interne, ils ont réduit les Etats à ce qui est perçu comme de l’impuissance publique. L’Europe, et particulièrement en France, peine à financer le modèle social bâti au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, celui-ci faisant face, depuis des décennies, aux délocalisations, à « l’archipellisation » des territoires, aux importations à bas coût, à la désindustrialisation, au déclassement des groupes sociaux, et à l’arrêt de l’ascenseur social. Le tout dans un contexte, aux yeux de plus de plus de 70% des citoyens français, d’immigration mal régulée et de montée des violences…
C’est dans ce cadre que s’inscrit naturellement la montée des populismes dans le monde et plus particulièrement l’élection nouvelle de Donald Trump à la présidence des USA. Celle-ci a été très diversement appréciée. Pour l’extrême droite populiste, elle apparaît comme une « divine surprise ». Pour les partis de Gauche et de Centre droit, c’est apparu comme une véritable catastrophe. Mais, elle démontre que le populisme peut effectivement arriver au pouvoir voire s’y installer.
En raison de l’expérience passée des influences américaines, et compte tenu des caractéristiques spécifiques du « trumpisme », il est important pour Galilée.sp de s’interroger sur ses répercussions possibles sur l’action publique et le service public.
LE TRUMPISME ET SES AVATARS PRESENTENT DES CARACTERISTIQUES SPECIFIQUES TOUT À FAIT NOUVELLES
Suivant en cela Marcel Gauchet dans son récent livre « Le nœud de la démocratie », disons tout de suite qu’il n’est pas un fascisme. Celui-ci s’oppose frontalement à la démocratie qu’il récuse radicalement, tandis que le trumpisme se déploie à l’intérieur de la démocratie. En son sein, il vise à instaurer un pouvoir plus volontariste, supposé efficace, afin de mieux prendre en compte la volonté d’un « Peuple » dont les élites se seraient détournées… C’est donc un populisme.
Avant même cette dernière élection de D.Trump, le populisme se développait amplement en Europe : B.Johnson en Grande-Bretagne, G.Meloni en Italie, V.Orban en Hongrie, Marine Le Pen en France … Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un mouvement idéologique et politique de fond appelé à durer.
Cependant, tous les populismes ne se ressemblent pas.
Ils présentent, certes, des caractéristiques communes essentielles : fort volontarisme politique face à l’impuissance politique pointée des gouvernants habituels, priorité accordée aux fonctions régaliennes de l’Etat opposée au laxisme imputé aux partis classiques (en matière de sécurité, d’immigration mais aussi de « diplomatie »). Sur le plan sociétal et identitaire, s’y ajoute la détermination de faire barrage au « wokisme » accusé d’être un facteur de dégénérescence et de décadence.
Toutefois, le populisme de droite présente deux composantes, très différentes. Il y a un populisme très libéral, tel celui de G.Meloni en Italie ou d’E. Zemmour, en France, très proche de celui de D. Trump. Il y a aussi un populisme plus interventionniste et social, partageant en cela certains points avec l’extrême gauche populiste. C’est celui, apparemment, de Marine Le Pen. Apparemment, parce que le RN est dans des prises de positions souvent contradictoires telles que, par exemple, le refus d’augmenter les impôts tout en récusant la réforme des retraites… Une fois au pouvoir, de quel côté tomberait-il ? …
DES CONSEQUENCES IMPORTANTES SUR L’ACTION PUBLIQUE ET LE SERVICE PUBLIC
Contrairement aux néo-libéraux mondialistes, les populistes ne récusent pas a priori l’action publique souverainiste, bien au contraire, mais, en revanche, ils sont apparemment très partagés sur le rôle du service public.
Une action publique souverainiste volontariste chamboulant la plupart des politiques publiques
Sur le plan international, le trumpisme se veut souverainiste, voire protectionniste avec « America fisrt » comme slogan.
Cela conduit à privilégier l’unilatéralisme, basé sur le rapport de force, au détriment du multilatéralisme, basé sur la délibération et le consensus. Nous assistons à rien de moins qu’à la remise en cause de tout l’édifice international érigé après la Deuxième Guerre Mondiale, fondé sur l’Etat de droit, un droit public mondial, l’égalité des nations, le multilatéralisme et l’humanisme des Lumières. Il est vrai qu’il comportait déjà des fissures, en butte depuis la fin de la Guerre Froide aux Etats du Sud Global et à leurs leaders russes et chinois…
L’ennui est surtout que cet unilatéralisme volontariste s’exerce aussi envers les « alliés » eux-mêmes.
C’est ainsi que l’Europe, faute de sursaut salutaire, est menacée de dislocation. Si elle ne consent pas à l’effort nécessaire pour assurer sa propre défense militaire et utiliser pleinement la capacité de négociation offerte par son marché de 450 millions de consommateurs, l’administration Trump risque de « l’essorer complétement ». Si l’Europe ne devient pas une « puissance », elle risque la mort.
Mais si l’Europe et la France réussissent à faire front, ce ne sera pas sans conséquence sur le modèle social. Le risque existe grandement de faire exploser encore davantage le niveau d’endettement public et d’affecter encore plus gravement la compétitivité de nos entreprises confrontées à de nouveaux défis concurrentiels.
Sur le plan interne, le trumpisme conforte, tout d’abord, les partisans du contrôle de l’immigration. Il en va de même, en matière de sécurité, notamment en ce qui concerne la lutte contre le narcotrafic où une action très vigoureuse est promise. Concernant la justice, le respect de l’Etat de droit, caractéristique essentielle des démocraties, le tableau de ce que l’on a pu percevoir ne laisse rien augurer de bon… La prospérité sociale est promise même aux couches les plus populaires par la baisse drastique des dépenses publiques sensée stimuler l’initiative privée, tout comme par la levée de tous les freins qui pèseraient sur l’activité des entreprises comme les dispositifs visant à protéger l’environnement, préserver les ressources naturelles, lutter contre le dérèglement climatique ou favoriser la transition énergétique … Sur le plan sociétal, c’est le retour assuré à des valeurs plus traditionnelles (masculinisme, virilisme, mariage hétérosexuel privilégié, défiance à l’égard de l’avortement et des trans etc…) et récusant radicalement toutes les formes de wokisme.
Le trumpisme est donc une idéologie populiste radicale. Elle affecte des pans entiers de l’action publique et un très grand nombre de politiques publiques. Elle est politiquement et économiquement souverainiste à l’extérieur. En interne, elle est économiquement très libérale, politiquement assez autoritaire, sociétalement conservatrice et socialement ambivalente, voire trompeuse.
Quelle place pour le service public dans le trumpisme ?
D. Trump s’appuie sur Elon Musk, dans le cadre d’une structure para gouvernementale, pour mener à bien un ambitieux projet de programme de réduction massive des dépenses publiques (le chiffre gigantesque de 2000 milliards de Dollars, sur un total d’environ 7 000 milliards, a été publiquement avancé !). Dans le même sens a été lancé une réduction drastique du nombre d’agents publics. L’objectif est de baisser rapidement de 5 à 15% le nombre d’agents publics, lesquels ont reçu une proposition de démission de leur emploi (à l’exception des militaires, des agents postaux et de ceux en charge de l’immigration).
Il faut dire que le droit et l’organisation des services à caractère public américains sont très spécifiques par rapport à l’Europe et surtout à la France. La conception du service public ne repose pas sur la même histoire et les mêmes principes.
Le trumpisme exacerbe terriblement ces particularités américaines parfois atténuées lorsque les Démocrates sont au pouvoir. Le fonctionnaire est plutôt perçu comme un coût et un empêcheur.
Alors que la nation française a été forgée progressivement par un Etat très centralisé, la nation américaine, constituée de communautés, s’est bâtie dans un premier temps contre l’Etat britannique, dans le cadre d’un système d’abord confédéral puis fédéral, toujours marqué par une forte défiance à l’égard de l’Etat central.
Seule l’initiative privée est perçue comme productrice efficace de richesses et de services.
La santé et l’éducation sont largement confiées au privé. Cela n’empêche pas que les dépenses de santé soient supérieures à celles de la France et que le taux de mortalité progresse… Bien évidemment, cette situation génère de profondes inégalités qui n’ont pas l’air de choquer la majorité des citoyens …
Aux USA, la politique sociale, en dehors de quelques dispositifs d’assistance, se résume à créer des « jobs » dans le cadre d’une puissante politique économique de l’offre qui semble effectivement en créer plus massivement et rapidement qu’en France.
Il faut dire également que les USA, grâce à leur Dollar, peuvent se permettre impunément un énormes endettement public et un déficit commercial considérable… Ils peuvent ainsi jouer, sans les contraintes que nous connaissons en Europe, à la fois sur l’offre et la demande… Ce privilège exorbitant concédé aux USA est-il le prix à payer par les européens pour leur relative sécurité militaire ?…
Les emplois à caractère public, environ 2 millions au total pour le niveau fédéral, relèvent surtout du domaine régalien mais pas seulement : police fédérale, renseignement, armée, justice, diplomatie, budget… Des agences fédérales suivent un certain nombre d’autres politiques publiques. Les emplois publics d’un certain niveau sont à la discrétion de l’exécutif, de l’ordre de 4 000, lequel a l’habitude de révoquer les équipes précédentes et de nommer à sa guise les membres de l’équipe nouvelle (« spoil system »). Les règles sur le délit d’ingérence, l’impartialité et la neutralité des agents publics ne semblent pas s’appliquer également à tous les agents…
En revanche, en France, sur le fondement de la Déclaration des droits de l’Homme qui pose un certain nombre de principes, la République a bâti une doctrine du service public au tournant des 19 ème et 20ème siècle enrichie par les réformes intervenues à la Libération sur la base des travaux du Conseil National de la Résistance (statut général de la fonction publique ; extension du secteur public et de ses missions). Un droit de la fonction publique s’applique aux agents publics qui garantit un certain nombre de droits et impose des devoirs… Parmi eux : égalité devant le service public, les emplois publics et l’impôt ; continuité et adaptabilité du service public ; neutralité, impartialité et protection des agents publics ; laïcité ; probité etc.
ESSAYONS DE SYNTHETISER
Les USA sont dotés d’une constitution fédérale, de deux chambres parlementaires dotées de larges prérogatives (bien supérieures à celles du Parlement français) et d’une puissante Cour constitutionnelle. Les médias sont libres. Une dérive réellement fasciste du régime paraît donc peu probable. En revanche une dérive souverainiste, autoritaire et ploutocratique est de toute évidence à l’œuvre.
La question qui se pose à nous est double : comment réagir à l’offensive américaine contre ses propres alliés et que feraient les épigones français du trumpisme s’ils arrivaient au pouvoir ?
Nous avons vu que la réponse à la première question passe par la fermeté et un sursaut européen.
La réponse à la deuxième question dépend de la ligne de partage idéologique au sein même du RN entre la ligne incarnée par Marion Maréchal Le Pen et celle incarnée par Marine Le Pen, et de son évolution possible…
Terminons en relevant que D.Trump vient à peine d’ être élu, pour lui comme pour tout nouveau gouvernement les difficultés ne font que commencer et que les « midterm elections » ne sont que dans deux ans.