Le CPF, la voiture-balai de la formation, avec son petit moteur, sans carburant mais un gros compteur
Les réformes successives de la formation (2004, 2009, 2014, 2018) n'auront réussi qu'à repousser et reporter d'inéluctables, coûteuses et désormais introuvables reconfigurations éducatives.
Petits rappels concernant le Droit à la Formation (DIF devenu CPF en 2015)
Depuis 2004 les partenaires sociaux et les Pouvoirs Publics ont cru inventer la martingale éducative française, (avec le DIF puis le CPF).
Las, les résultats sur le terrain de ces presque 20 années d'essais-erreurs démontrent que les problèmes éducatifs de notre pays sont bien plus profonds et encalminés que les divers rapports, livres blancs et indicateurs internationaux veulent bien le faire croire.
Le DIF autrefois, comme le CPF aujourd'hui, ne parviennent pas à reformuler ni relancer la formation
- L'idée d'un droit à la formation cumulable durant quelques années naquit dès 2003 dans un Accord social unanime : tout comme la France avait inventé les congés payés en 1936 notre pays prétendait fonder une formation payée, universelle et tout au long de la vie.
- Très vite le système se grippa, s'immobilisa et est devenu désormais intouchable et ingérable.
- Au lieu d'en rester à un simple, effectif et financé, droit à la formation (comme le sont les congés payés) le monde du travail et les Pouvoirs publics ont cru devoir charger la barque à chaque réforme en faisant du CPF la voiture-balai de la formation (une voiture-balai sans carburant ni moteur mais seulement un compteur),
- Les systèmes de comptabilisation ont donc installé d'illusoires (et parfois dérisoire) livret d'épargne formation avec leurs plafonds (de 120 ou 150 heures ou de 5 000 à 8 000 euros) censés inciter les travailleurs à "consommer" leurs droits à la formation,
- La complexité, le fonctionnement actuel et l'absence de financement du CPF empêchent en fait toute généralisation à échelle de temps humain.
Le financement de notre formation est défaillant depuis 50 ans (1971)
S'appuyant sur un fallacieux système assurantiel appelé mutualisation (tout le monde paie très peu et quelques-uns peuvent effectivement se former) le système français n'a jamais été financé à la hauteur de ses besoins, de ses -prétendues- ambitions et des capacités des entreprises.
Depuis 2018 l'Etat prétend nationaliser la formation, l'organiser et la financer via France Compétences
- France Compétences est censé gérer la formation et l'apprentissage dans tout le pays (à l'instar de l'éducation nationale qui prétend tout faire pour l'éducation des jeunes).
- Le résultat des années 2020 à 2022 c'est 11 milliards de déficits depuis 2020 et des entreprises durablement désengagées de la formation.
- Mon "Compte formation" (mon conte formation) est devenu au fil du temps une légende urbaine, la fake news de la formation puisqu'il est censé (pour 30 millions d'actifs) :
- Compter des heures de formation pour le secteur public, compter les euros de formation dans le privé, les additionner (!) parfois, convertir des heures vers les euros en cas de départ vers le privé et inversement pour les salariés entrant dans la fonction publique.
- Distinguer les compteurs des salariés non qualifiés (qui sont plus dotés) des salariés à temps très partiel (inférieur à un mi-temps), des travailleurs handicapés, des jeunes sans qualification, des chômeurs, des élus, des bénévoles...
- Incorporer d'éventuels (et faibles) "abondements" des employeurs, des régions, de pôle emploi, des branches professionnelles ou des salariés eux-mêmes, (14 types d'abondements !)
- Inscrire la totalité des formations éligibles en France dans une méga base de données illisible et largement inutilisable.
- Contrôler les contenus des formations, leurs qualification (Qualiopi).
- Enregistrer les inscriptions à des formations, vérifier la réalisation des formations, contrôler la réalité des formations, payer les organismes de formation.
- Décrémenter les compteurs après les formations (dans le privé uniquement).
L'échec de la Caisse des dépôts (caisse des dépits) était inscrit dans le dispositif même
Ce travail titanesque et ubuesque, ce tonneau des danaïdes de la formation via un seul organisme national (qui n'avait par ailleurs aucune compétence ni créances dans le système éducatif) apparaît, sept ans après son démarrage, comme un échec social, conceptuel, organisationnel et désormais financier.
Les Shadocks pompaient, pompaient, la Caisse des dépôts quant à elle comptait, recomptait, décomptait
Par temps de paix, hors crise économique majeur (et nous allons y entrer forcément) il aura manqué deux éléments majeurs à la formation continue de notre pays pour être réellement porteuse de compétences et nouvelles opportunités professionnelles.
- Il fallait d'abord définir un temps minimal et obligatoire pour la formation. Si notre pays n'a pas craint en 1881 de définir un temps obligatoire pour l'éducation des enfants (malgré les immenses réticences de la société de l'époque), pour l'éducation des adultes ce temps n'a jamais été abordé. Si lors de l'éducation initiale le temps ne semble pas compter (on peut rester une trentaine d'années désormais dans le système initial), en formation continue le temps de travailleurs n'est ni tracé ni même clairement défini. La formation demeure un effort facultatif à la fois pour l'employeur et pour le travailleur et cet effort est très peu (trop peu) consenti.
Les salariés (du public comme du privé) se forment en moyenne 14 heures par an. Ce chiffre n'a pas évolué depuis l'an 2000.La réduction du temps de travail n'aura jamais profité à la formation et la concurrence entre le temps libre, les loisirs et l'éducation est immense. - Il faut de l'argent pour se former. La France consacre depuis Jules Ferry des budgets importants pour son éducation initiale. Le premier budget du pays est dévolu au système scolaire public mais après, la formation (devenu pourtant un enjeu majeur) fait figure d'éternel parente pauvre et désœuvrée (le symbolique 1% formation n'a guère progressé depuis 1971).
Si l'Allemagne dépense plus de 2,5 % de son PIB en formation (avec des entreprises qui paient elles-mêmes pour la formation de leurs salariés) la France a inventé une machine à leurrer le corps social : la mutualisation.
Le CPF censé représenter l'avenir de la formation n'a pas été doté des 2 % de financements indispensable à sa généralisation (soit 10 milliards d'euros) mais de 0,2% de la masse salariale (des seules entreprises de plus de 10 salariés) soit moins de 900 millions.
Ce n'est donc pas de 500 € CPF dont disposent les 20 millions de salariés du privé mais de 30 € environ !
Le système de compteurs et de plafonnement est vain et contre-productif, il ne fait qu'encourager l'immobilité, les reports et la procrastination
L'idée du législateur en 2004 et les réformes suivantes était de créer un plafond d'heures (ou d'euros) de formation afin d'inciter les travailleurs (du privé comme du public) à "consommer" chaque année leur acquis de formation ou à les cumuler pendant 5 à 7 ans pour engager une formation plus longue (150 heures par exemple). Pourtant :
- En 2010 les compteurs DIF de 15 millions de salariés avaient atteint leur plafond (120 heures) sans que cela ne provoque le moindre choc ou mouvement vers la formation
- En 2020 : la fin des heures de DIF (et de leur transfert vers le CPF) n'aura pas plus provoqué d'émoi ou de demandes des travailleurs
- En 2021 : les Compteurs CPF des agents du secteur public ont atteint souvent leur plafond de 150 heures (soit 6 ans de cumul) et cela n'a ému ni les fonctionnaires, ni leurs employeurs ni même les représentants des personnels
- En 2022 : la plupart des compteurs CPF des salariés du privé fleurtent avec leurs plafonds de 5 000 € (4 740 € pour plusieurs millions de personnes n'ayant utilisé ni leur DIF ni leur CPF depuis 2009) et il est à parier (c'est sans doute aussi le pari de France Compétences qui est bien incapable de financer 1 million de CPF à 5 000 € pièce) qu'il n'y aura pas foule pour solder son compteur (un CPF à 5 000 euros... mais hors temps de travail).
2025 : il faudra bien un jour siffler la fin de partie pour le CPF
En 20 ans d'existence Le DIF/CPF n'aura servi qu'à reporter la montée en compétences des travailleurs français (classés par PIAAC à l'avant dernière place des pays de l'OCDE), qu'à masquer le manque de motivations du monde du travail pour changer, évoluer dans un monde où la culture, l'éducation et les capacités cognitives deviennent pourtant fondateurs et fondamentaux.