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Faut-il vraiment inscrire le piston si vite sur la liste des espèces en voie de disparition ?
Après le diesel, c’est désormais le concept même de moteur thermique qui semble menacé. De nombreux pays ont entériné sa mort au cours des deux prochaines décennies et le monde de l’automobile s’agite pour être prêt en misant sur une solution unique mais qui ne va pas sans poser de problème : le tout-électrique. Faut-il vraiment inscrire le piston si vite sur la liste des espèces en voie de disparition ?
Les jours du moteur thermique sont-ils comptés ?
Face à la pression de la lutte contre le réchauffement climatique, à l’inéluctable épuisement des ressources pétrolières, aux problèmes de pollution et au durcissement des normes, la classe politique semble avoir déjà enterré le moteur à explosion mais, malgré les annonces, il est permis de se demander si les conséquences sur l’industrie sont bien évaluées, alors que l’automobile emploie 400 000 salariés (sans compter les emplois de l’industrie pétrolière et des services de l’automobile).
Les études les plus récentes, par ailleurs réévaluées tous les mois, comptent 35 000 emplois directs menacés dans la filière automobile par la seule mise à mort du diesel et 400 entreprises en danger…
En 2021, chaque véhicule (particulier ou utilitaire) devra rejeter moins de 95 g de CO2 par litre d’air (contre 115 aujourd’hui) sous peine d’amende. En 2025, il faudra rejeter 15 % de moins qu’en 2021 et en 2030, 37,5 % de moins. Si l’on appliquait aujourd’hui les pénalités prévues pour 2021, PSA devrait théoriquement payer plus de 5,3 milliards d’euros d’amende (soit le triple de son bénéfice annuel) et Renault près de 3,5 milliards (soit le double du sien).
Dans la foulée du « dieselgate », la Norvège a été la première, en juin 2016 à faire part de son intention de supprimer les voitures thermiques, en se fixant 2025 comme horizon. Israël lui a emboîté le pas. Les Pays-Bas ont aussi commencé de débattre d’une telle mesure. En octobre 2016, la ministre suédoise de l’environnement a également évoqué la fin des voitures à carburant fossile. L'année suivante, la France et le Royaume-Uni ont annoncé la fin des ventes de voitures essence et diesel pour 2040, avec une interdiction de circulation dix ans plus tard. Le Danemark a choisi 2030 comme limite. En novembre dernier, le gouvernement espagnol a franchi une nouvelle étape en incluant les hybrides dans la catégorie « véhicules à motorisation thermique », qu’il prévoit d’interdire pour 2040.
Et du côté des constructeurs ?
Premier touché pour cause de « dieselgate », Volkswagen a annoncé que le groupe était actuellement en train de travailler sur la dernière plate-forme consacrée aux véhicules non-neutres en CO2. Celle-ci devrait être lancée en 2026 et la firme allemande prévoit que les derniers véhicules à essence et diesel soient vendus en 2040. Volvo a déclaré que la totalité de sa nouvelle gamme sera disponible en version électrique.
Chez l’Alliance Renault/Nissan/Mitsubishi, déjà leader mondial en matière de véhicules électriques, Renault s’apprête à étendre son offre d’hybrides légers et va profiter de l’expérience de Nissan pour commercialiser des hybrides rechargeables.
À terme, Kadjar, Espace, Talisman et Koleos devraient en être équipés. Renault aurait même un véhicule électrique low-cost à moins de 8 000 euros dans ses cartons. De son côté, PSA a annoncé un ambitieux programme d’électrification. Le groupe commercialiserait 7 hybrides rechargeables et 4 électriques d’ici 2021. Le DS 7 crossback hybride rechargeable doit ouvrir le bal au printemps 2019 en compagnie de la 3008 et de la 508, suivis d’un premier modèle 100 % électrique de nouvelle génération, l'e-208. La première technologie offrirait 60 km d’autonomie électrique, la seconde 340 kilomètres avec le cycle WLTP. Peugeot et Citroën veulent aussi adopter l’hybride 48 V sur l’essentiel de leur gamme dans les années qui viennent, l’équipementier français Valeo entendant de devenir le leader mondial de cette technologie.
Si la volonté est réelle, est-ce suffisant ?
« Les risques sur l’emploi et l’industrie sont énormes. Aller vers l’électrique à marche forcée ne peut pas se faire sans organiser au plus vite une transition industrielle dans laquelle les pouvoirs publics devront jouer un rôle essentiel, alors qu’ils en sont encore à prendre la mesure de l’urgence », s'alarme le secrétaire fédéral Laurent Smolnik.
La transition écologique nécessaire de l’automobile a beau être en marche, elle va prendre beaucoup plus de temps que ce que promettent les politiques et certains acteurs de l’automobile. Si la fin de la commercialisation et parfois même de l’utilisation du moteur thermique sont avancées publiquement et que le basculement vers la propulsion électrique est présenté comme une évidence, la réalité est moins idyllique.
Pour le moment, l’autonomie réelle des voitures électriques reste largement inférieure à celles des véhicules thermiques et les écarts très importants entre les annonces généreuses et la réalité n’aident en rien.
En outre, les temps de recharges demeurent conséquents. Alors qu’un plein pour un moteur thermique prend cinq minutes et permet 700 km d’autonomie, plusieurs heures de recharge électrique sont nécessaires pour moins de 200 km de route. De quoi limiter l’électrique aux usages urbains, soit à peine 50 % des trajets des Français, malgré quelques possibilités de recharges partielles plus rapides. L’Hexagone manque par ailleurs d’un réseau de bornes de recharges digne de ce nom.
En mai 2018, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) recensait 9 513 stations pour véhicules électriques sur le territoire français, comptabilisant au total plus de 25 000 points de recharge accessibles au public, soit un point de recharge pour 5,7 véhicules pour un parc de presque 160 000 véhicules électriques.
L’objectif affiché par les pouvoirs publics est de 100 000 en 2022 mais semble nettement insuffisant au regard de la conversion à marche forcée qui s’annonce. Si, en 2019, un million de Français décidaient de passer à l'électrique (ce que le gouvernement ambitionne pour 2022), quelles en seraient les conséquences ? Les infrastructures peineraient tout simplement à suivre la demande de distribution en électricité. Encore ne parle-t-on que de 2,5 % d’un parc qui met en moyenne 40 ans à se renouveler intégralement. Autre problème : il faut produire cette énergie.
Une centrale nucléaire produit en moyenne 500 000 mégawatts par mois, par conséquent la consommation annuelle de 1 million de voitures représente 4 mois et demi de production d'une centrale nucléaire (sur une base de 15 kwh pour 100 km et 15 000 km annuels par automobiliste). Autrement dit, pour alimenter 40 millions de voitures électriques, il faudrait 12 centrales nucléaires pour ce seul usage. Dans 15 ans, la moitié du parc des centrales sera à fermer, pour cause d’obsolescence mais aussi des engagements de ramener le parc nucléaire à 50 % de la production électrique, sujet sur lequel notre organisation est en désaccord car il en va de l’indépendance énergétique de la France.
Dans ces conditions, d’où viendra l’électricité ? En Chine, premier parc automobile du monde, 70 % de l’électricité proviennent de centrales fonctionnant à l'énergie fossile. Autrement dit, la voiture électrique y roule au pétrole !
Autre problématique : la construction desdits véhicules, plus particulièrement de leurs batteries
Actuellement, près de 75 % de la chaîne de valeur du véhicule électrique provient d’Asie ; la batterie représente plus de 30 % du prix du véhicule. La création d’une filière de batteries, que notre organisation réclame depuis plusieurs années, semble enfin en voie de création ; un investissement à hauteur de 700 millions sur cinq ans par l'État français a été annoncé en février dernier pour développer ce projet et faire émerger une filière capable de rivaliser avec les constructeurs chinois et coréens notamment.
Pour ce faire, il faudra relever de nombreux défis technologiques, dont la mise au point de technologies permettant de meilleurs rendements et une plus grande durée de vie, comme Renault vient de le faire avec sa Zoé, doublant son autonomie grâce aux feuilles de graphène, qu’on sait enfin produire en grande quantité et à bas coût, qui réduisent aussi la recharge et accroissent l’autonomie. Restera ensuite le problème de l’accès aux matières premières, dont les métaux rares, qui rend impératif la mise en place d’un réel recyclage des batteries.
Là encore, des avancées technologiques majeures sont essentielles et demandent de lourds investissements en recherche et développement. En juillet dernier, lorsque le Japon a rejoint la liste des pays décidés à enterrer le moteur à explosion, les constructeurs japonais ont également annoncé la création d’un consortium qui aura la mission d’assurer aux partenaires une disponibilité à long terme des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries. Cet objectif vise à contrer la domination des fabricants chinois et à garantir la compétitivité de l’industrie automobile japonaise. La France aura gagné à être plus réactive…
Les vertus écologiques de l’électrique sont également à remettre en question. La voiture électrique n’est pas forcément plus propre à produire que sa cousine à pétrole et la fabrication et le recyclage des batteries sont loin d’être irréprochables, en particulier l’extraction de certains éléments rares, dont la raréfaction prévisible et appelée à s’accentuer constitue un handicap supplémentaire.
- Autre point : ces batteries n’ont pas une durée de vie extensible et arrivent rapidement à expiration
Une voiture électrique ne fera donc pas le bonheur des marchés d’occasion, contrairement par exemple à un véhicule diesel, qui est certes, plus polluant à court terme mais dont la durée de vie est hautement supérieure. Le processus d’industrialisation d’un véhicule électrique est près de quatre fois plus énergivore que celui d’un véhicule classique.
Les véhicules électriques pourraient d’ailleurs figurer parmi les victimes du changement climatique : selon une étude de l'American Automobile Association (AAA), avec une température extérieure de 35° et la climatisation enclenchée, l'autonomie des véhicules électriques baisse en moyenne de 17 %. Le froid ne leur réussit pas davantage, puisque par - 6° le chauffage activé, les modèles testés ont perdu en moyenne 41 % de leur autonomie.
- Dernière question, mais d’importance, le modèle économique du véhicule électrique est-il pérenne ?
Pour le moment, sans subvention d’État, la voiture verte ne trouve pas son modèle économique, sorti du haut de gamme, de la deuxième voiture exclusivement urbaine ou de quelques flottes d’entreprise. Mais si le moteur thermique disparaît, l’État peut-il se priver de la manne fiscale des carburants ? Elle représente 30 milliards d’euros dans le budget de l’État (sur environ 280 milliards d’euros de recettes fiscales).
Dans ces conditions, faudra-t-il lourdement taxer l’électricité utilisée dans les véhicules électriques, au risque de saper leur attractivité ?
Si les pouvoirs publics et, dans une moindre mesure, les entreprises passaient finalement un peu vite à l’électrique alors que le moteur à combustion interne n’a pas dit son dernier mot et pourrait, via l’hybride, faire des étincelles ?
Côté diesel, Honda et Peugeot ont innové avec des technologies de traitement des NOx très efficaces qui répondent aux normes Euro6 et laissent entrevoir un futur nettement moins polluant.
Dans la famille essence, le moteur à allumage par compression, la technologie de la compression variable ou encore la préchambre de combustion issue de la F1 promettent des baisses de consommation phénoménales. Seule la pile à combustible (qui fabrique sa propre électricité à bord à partir d’hydrogène et est parfaitement aboutie) semble hors course, tant la fabrication, la distribution et le stockage d’hydrogène posent toujours problème, sans oublier le coût élevé de cette technologie.
Une chose est sûre : le moteur à piston a encore quelques beaux jours devant lui…