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11 / 05 / 2020 | 365 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Crise du covid-19 : l’inévitable consolidation financière, coûteuse en emplois, sera-t-elle régulée par les pouvoirs publics et les élus du personnel ?

Chainemaimentaire
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La période de confinement global touche à sa fin. La réflexion des citoyens reste embrumée par les vagues impétueuses d’une information en continue, en multi-canal. Une lassitude de cette infobésité au ton alarmant sur les thèmes du Covid-19, se fait jour. A l’exception de la question scolaire, deux préoccupations essentielles et immédiates émergent et s’auto alimentent :  l’une centrée sur la santé « Dans quelles conditions vais-je reprendre le travail sans ramener le virus à la maison ? » et l’autre sur l’économie et l’emploi « Où cette crise va-t-elle faire atterrir la France et ma société ?  Aurais-je demain encore des ressources pour nourrir les miens ? ». Seule la seconde interrogation trouve ici en partie réponse, la première ayant déjà été traitée précédemment dans ces colonnes. 
 

Même si la Nation finit par juguler les conséquences d’ores et déjà dramatiques de ce virus, qui peut dire, avec assurance, étant donné les multiples inconnues, ce qu’il adviendra sur le long terme ? Aussi s’agit-il ici, de se borner aux seules évictions des hommes et des structures sur le court terme, c’est-à-dire dans l’année qui vient. L’objectif étant d’aider chacun à comprendre pour agir à son niveau.

Beaucoup a déjà été écrit sur les effets d’apprentissage en matière de télétravail que la crise a favorisé à grande échelle, ou encore sur la nécessité de relocaliser en France plusieurs activités essentielles : production de médicaments, de masques, de tests, et tellement bien d’autres biens… pour limiter notre dépendance, ce qui impose l’affirmation d’un Etat planificateur et stratège sur le plan industriel. 


En revanche, les mécanismes de soutien à l’économie et de protection de la trésorerie des entreprises et de soutien à l’économie et des emplois, fort heureusement mis en place par l’Etat pompier, pour réduire les impacts de cette déroute sanitaire, pourraient faire illusion à court terme sur les effets réels de cette crise séculaire. Une profonde transformation de l’économie est en gestation rapide, avec une montée de la précarité et de la paupérisation, par l’éviction d’entreprises de leur marché et celles des personnes du monde du travail.  
 

Désireux de relancer une dynamique économique en raison de la chute du PIB  évaluée à 8% pour 2020, les pouvoirs publics vont agir doublement en accompagnant d’une part une consolidation massive sur les plans économique et financier chez les acteurs privés et d’autre part en tentant de favoriser l’innovation. Ces deux tactiques  devront se compléter pour installer une stratégie d’endiguement des effets d’éboulements successifs, effets dominos, que la crise a enclenchés.   

La disqualification guette « les premiers de cordées » et l’éviction ceux qui ont démérité


Tout d’abord, sur le court terme, certains acteurs vont changer de rôle. La crise va raviver l’exigence de renouvellement et de « dégagisme ». Le ressentiment est tel dans la population que le président de la République a reconnu lors d’une allocution télévisuelle, les faiblesses et carences apparues dans la gestion concrète de cette crise sanitaire.
 

C’est un aspect peu évoqué mais il n’y a pas qu’au niveau de l’état où la gestion des affaires a fortement tangué. Faute de préparation, plusieurs dirigeants, parfois au sommet de l’entreprise, ont été eux aussi aux abonnés absents, ou n’ont pas su se mobiliser dès les premiers instants pour donner le cap et impulser les décisions en adéquation avec les urgences de l’heure. Dépassés, débordés, indécis, dans l’erreur, ils ont alors perdu en légitimité. Pire, nombre de discours se reposait sur le fatalisme de la situation et l’asservissement aux mesures gouvernementales, plutôt que d’anticiper et d’afficher que cette crise serait l’occasion d’apprendre.  Selon le Maréchal Lyautey, « Etre un chef, c’est ne rien faire, tout faire faire, mais ne rien laisser faire ! ». D’après cette formule martiale appropriée puisque la France serait, dit-on, entrée en guerre… le dirigeant est avant tout un animateur d’équipe qui ne se substitue pas aux autres responsables autour de lui mais qui arrête les choix stratégiques. A cette aune, une décision pour celui qui l’arrête s’avère à la fois une liberté mais aussi une souffrance. Cette disqualification par la gravité et l’urgence des premiers de cordée a pu être d’autant plus cruelle que d’autres intelligences ont fort heureusement su s’affirmer et rendre encore plus criante cette carence. 
 

Par ailleurs, le retour au travail va s’accompagner chez les dirigeants dans du secteur privé d’un examen de la conduite de chacun. Le jugement va tomber à l’aune d’une période de vaches maigres qui s’annonce durable : quelle aura été l’utilité de chaque responsable et son implication, manifestées ou pas depuis le début de la crise. L’éviction qui va s’opérer concernera en priorité ceux qui n’ont pas su faire face…  « Vae Victis » Malheur aux vaincus… par la crise… Malheur à ceux qui ont failli... »


Au-delà de ces règlements de compte et de ces ajustements de compétences, la brutalité du choc engendre d’ores et déjà un phénomène massif d’éviction de l’emploi de centaines de milliers de salariés et de sous-traitants. « Les hypocondriaques retourneront ils fréquenter les restaurants ou les théâtres ? Les touristes chinois et japonais reviendront ils à Paris ? » 

Avec près de 8% de son PIB et environ 245 milliards de dollars, la consommation liée au tourisme va fortement se rétracter. La France était l’an passé le pays le plus visité au monde avec environ 90 millions de visiteurs qui étaient autant d’ambassadeurs de son mode de vie et de ses produits à l’étranger.
 

De fait, ce recul est triplement pénalisant car le tourisme contribuait au commerce extérieur, à l’équilibre de la balance des paiements, et au rayonnement des produits  du terroir et de luxe. Les entreprises de ce secteur étant toute chose égale par ailleurs l’équivalent des GAFAM américains pour notre pays.
 

Il est certes trop tôt pour situer les pertes d’emplois dans les secteurs du tourisme, de la restauration, de l’hôtellerie qui seront en partie compensées par les reports de déplacements touristiques à l’étranger, des personnes vivant en France. Mais le traumatisme sera lourd, le secteur de l’hôtellerie et de la restauration s’avérait une locomotive de l’économie française avec 25 % de salariés en plus sur la période de 2005 à 2017. Sixième employeur en France avec près d’un million de salariés auxquels il convient d’ajouter 300 000 saisonniers l’été. Comment vont réagir les 200 000 entreprises, en majorité des petites structures, sur le moyen terme  : c’est l’une des questions majeures qui se posent. 

 

De plus, des secteurs entiers  au-delà du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration souffrent et vont péricliter :  la culture, l’évènementiel, la distribution de proximité mais aussi l’aérien vont pâtir de l’effondrement de l’activité en raison du confinement et des nouveaux us et coutumes en matière de consommation. En bref, la crise sanitaire s’est attaquée à des filières clefs de l’économie française : l’aéronautique, la culture, le luxe, le tourisme.
 

Près d’un million de chômeurs pourraient venir gonfler les rangs actuels des 2,4 millions de personnes privées d’emploi au sens du BIT. Le taux de chômage, qui était tombé au dernier trimestre de 2019 à 8,1 %, progresserait selon certaines estimations à plus de 12%. Tant qu’un traitement et un vaccin ne seront pas commercialisés à grande échelle, il faut anticiper la prédominance d’une crainte face au virus et les flux de consommation en seront affectés.

De nombreux rachats par rapprochement et acquisition vont survenir, il s’agit du premier versant de cette consolidation

L’apurement massif des dettes pour tenter de soulager les acteurs de la reprise coutera des milliers d’emplois. Comme toujours dans les crises économiques, les sociétés vont devoir se réorganiser pour aligner leurs dépenses sur les recettes envisagées. Une bonne partie d’entre elles ne parviendront pas à rétablir les équilibres, y compris en supprimant des emplois, et perdront leur indépendance.

De nombreux rachats par rapprochement et acquisition vont survenir, il s’agit du premier versant de cette consolidation de grande ampleur. A ces rachats succéderont des plans de restructuration qui sont inéluctablement suivi de plans de suppression d’emplois. 

Le second versant de consolidation passera par les tribunaux de commerce qui vont apurer les dettes des débiteurs.  

Les entreprises les plus riches, celles qui ont une trésorerie solide et un cash-flow maintenu, s’apprêtent à absorber les structures défaillantes dans leur secteur.

Les entreprises fragiles avant la période souffrent plus que celles qui connaissaient croissance soutenue et marges positives.
Des dépôts de bilan par dizaines de milliers commencent à se généraliser auprès des tribunaux de commerce, ce qui va conduire à un apurement massif des dettes par les juges.

Plusieurs cas peuvent se proposer aux responsables d’entreprise et aux représentants du personnel :
 

  • Le dirigeant peut demander à bénéficier de la mise en place d’un plan de sauvegarde. Ce plan s’il est accepté permet à l’entreprise d’obtenir des délais de paiement et de profiter de cette période d’observation durant laquelle il n’est pas en cessation de paiement pour procéder à sa restructuration. Aidé le cas échéant par un administrateur judiciaire l’entreprise met à profit ce répit pour payer les sommes dues, à défaut, le plan de sauvegarde conduit soit à la liquidation judiciaire soit au redressement judiciaire.


Si l’entreprise a déposé son bilan et se trouve en cessation de paiement, elle est à vendre :
 

  • La liquidation judiciaire pure et simple de l’activité asphyxiée par la rupture des équilibres. Cette disparition d’activité conduit à la destruction de tous les emplois concernés et à la cession des actifs qui demeurent par le liquidateur judiciaire. 
  • Soit encore par la mise en place d’un plan de continuation de l’activité par le gérant sous contrôle d’un administrateur judiciaire nommé par le tribunal de commerce. Le passif s’étalera alors, avec un plan de remboursement des dettes aux créanciers qui peut durer 10 ans. En vérité simplement 10 %, des plans de continuation arrivent à leur terme. Cette seconde option serait malgré tout de nature à différer quelques temps les conséquences sur l’emploi. En cas d’échec d’un plan de continuation les actifs sont liquidés ou cédés à un repreneur.
  • Soit pour finir par un plan de cession de l’activité à un repreneur validé par le tribunal de commerce.  Dans ce dernier cas avec l’aide de l’administrateur judiciaire retenu par le tribunal pour suivre l’opération, le maintien de l’emploi doit absolument rester un des critères, si ce n’est le critère absolu, de la cession. Car le repreneur n’est pas tenu comme dans le cadre d’une simple cession de reprendre les salaries. En résumé, l’acteur jugé plus solide qui rachète est lui-même conforté en général par le rachat à vil prix d’actifs souvent prometteurs aussi doit-il prendre en charge au maximum les salariés concernés par l’achat à la barre du tribunal. Rien de plus normal car si d’importants effets d’aubaine nourriront les opportunistes dans cette consolidation avec apurement des dettes, en revanche de nombreux créanciers vont en pâtir. Les débiteurs autorisés par les juges du tribunal de commerce à geler ou à ne pas régler les factures, d’autres plaies financières seront alors reportées chez les créanciers. 
     

La vigilance devra rester de mise pour les représentants de l’Etat à la Direccte. Les représentants des salariés, avec l’aide et le conseil de leurs experts au sein des CSE, devront se mobiliser le plus en amont possible pour éviter une forme d’abattage préjudiciable à l’emploi. En résumé, étant donné le volume prévisible des plans de liquidation et de cession d’activité, ces derniers seront expédiés à marche forcée par les juges des tribunaux de commerce. Les options seront activées comme de coutume par les intéressés au rachat, souvent de brillants lobbystes convaincus et sachant convaincre les banques.  
Dans cette épreuve, les représentants du personnel auront fort à faire pour préserver les intérêts des salariés qui ne convergeront pas toujours avec ceux des repreneurs. 
 

  • Enfin, d’autres options peuvent être engagées comme celle de la continuation de l’activité par la création d’une coopérative.
     

Certes dit on, le pire n’est pas certain, et rien n’est inéluctable. De nombreuses entreprises, petites et grandes, vont au cours de cette période se réinventer, lancer de nouveaux produits, innover pour assurer leur résilience. Mais la marche reste haute et mieux vaut voir bien pour vivre loin , et surtout ne pas se tromper dans la validation des divers plans car comme dit un poème africain « Rien ne ressemble plus à tronc d’arbre dans le fleuve qu’un crocodile endormi ».  .

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