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Comment réformer l’indemnisation du chômage ?
Pour Michel Monier, ancien Directeur général adjoint de l’Unédic et membre du Think Tank CRAPS (1) ,il convient de : « Redonner aux partenaires sociaux leur entière responsabilité c’est aussi fixer celle de l’État pour ne pas faire des comptes sociaux la variable d’ajustement des mécomptes publics »
La réforme des retraites est, à nouveau, au cœur du débat. Celle de l’indemnisation du chômage va suivre.
Pour réformer vraiment l’Assurance chômage et avoir un effet immédiat sur la dette maastrichtienne il n’y a qu’une seule solution. Il faut laisser l’Unédic se désendetter. Voilà du Monsieur de La Palisse direz-vous. Eh bien, oui, mais la … Palissade est haute à franchir !
Pour laisser l’Unédic se désendetter il faut que l’État s’engage à ne pas financer des politiques publiques en détournant partie des excédents de l’indemnisation du chômage (2) . C’est dire que l’État doit s’en tenir aux 11 % des ressources de l’Unédic qui, légalement, sont affectés au financement de l’établissement public France Travail. La lapalissade, c’est donc de dire que l’État s’en tienne au cadre légal et s’abstienne de tout détournement de procédure budgétaire.
Sortir de la « carambouille budgétaire »
Dans ses prévisions financières (juin 2024) l’Unédic tient compte des prélèvements que l’État annonçait dans la perspective de la réforme visant à une meilleure incitation à la reprise d’emploi : « Les recettes de l’Assurance chômage sont lourdement affectées par les prélèvements prévus par l’État, pour un total de 12,05 milliards d’euros entre 2023 et 2026. Ainsi, les recettes s’élèveraient à 45,7 milliards d’euros en 2024 (après prélèvement de 2,6 milliards d’euros par l’État), 46,1 milliards d’euros en 2025 (après prélèvement de 3,4 milliards d’euros) et 46,6 milliards d’euros en 2026 (après prélèvement de 4,1 milliards d’euros). » 12 milliards d’euros captés sur le financement de l’indemnisation du chômage, c’est ce qui permet à l’État d’afficher, sereinement en Loi de Finances, une diminution des crédits « emploi ». Ces 12 milliards d’euros sont un « faux-nez » budgétaire qui transfère une partie de la dette publique sur les dépenses sociales.
12 milliards d’euros, c’est peu au regard des 3200 milliards d’euros de dette publique mais, à l’horizon, proche, de 2026, l’endettement de l’Unédic se rapprocherait des 20 milliards d’euros alors qu’il resterait proche des 40 milliards d’euros si l’État se « refinance » sur l’indemnisation du chômage.
Inciter l’État à être responsable …
À l’argument de laisser l’Unédic se désendetter on objectera qu’une réforme de l’indemnisation du chômage doit, avant tout, viser l’objectif salutaire d’inciter les chômeurs indemnisés à reprendre plus rapidement un travail.
C’est dans cette même logique d’incitation que je propose que l’on laisse l’Unédic se désendetter. En affectant l’excédent de l’Unédic à son seul désendettement, l’État diminue, de fait « ses » ressources, diminuer ses ressources c’est, selon la théorie, une incitation à économiser, à économiser vraiment. J’attends la démonstration contraire qui ne peut pas être celle que, s’agissant de l’État, diminuer la ressource n’est pas une incitation à mieux faire (vous me suivez : si tel était le cas, alors pourquoi la diminution de l’indemnisation aurait-elle un effet incitatif à mieux reprendre un emploi sur les chômeurs indemnisés ?).
Laisser l’Unédic se désendetter serait doublement vertueux : à l’effet de contrainte sur la dépense publique s’ajoute celui de ne pas l’obliger à « faire rouler la dette » pour pouvoir refinancer ce que l’État capterait. À ce niveau on sort des lapalissades.
La responsabilité des partenaires sociaux
Si donc la réforme de l’indemnisation revient au cœur du débat je propose que la lettre de cadrage qui sera adressée aux partenaires sociaux s’ouvre par un engagement de l’État : « le premier objectif est de désendetter l’Unédic, l’État s’engage en conséquence à maintenir à hauteur de 11 % de la ressource de l’Unédic la subvention apportée au fonctionnement de France Travail. ». Voilà, certainement de quoi retrouver la confiance des partenaires sociaux et, mieux encore, obliger ces derniers. Les obliger à quoi ?
Les obliger à revoir certains dispositifs qui participent aujourd’hui à la précarité de l’emploi, bien davantage qu’à la flexibilité du marché du travail. Mais également, les conditions du cumul indemnisation-activité réduite, par exemple, ou encore le rechargement des droits, et le sujet de l’emploi des séniors et de l’indemnisation des « chômeurs âgés ».
Depuis que la contribution des salariés du privé a été remplacée par la CSG-activité, donnant à l’Assurance chômage un caractère de solidarité, une part de la ressource affectée à l’Unédic peut légitiment être utilisée à un dispositif de solidarité qui s’afficherait comme tel.
Le trépied de la réforme de l’indemnisation du chômage
Désendettement de l’Unédic, ajustement de dispositifs assuranciels et participation à un dispositif de solidarité soutenant la politique publique, ce peut être le trépied d’une réforme qui ne serait pas seulement celle de l’indemnisation au service de la « carambouille budgétaire ». Aux partenaires sociaux de l’inventer dans le respect d’un équilibre financier entre des mesures nouvelles « en économies » et des mesures nouvelles en dépenses. Aux partenaires sociaux de sortir de leurs silos : l’indemnisation du chômage, la formation professionnelle, la prévention santé au travail, la retraite doivent être traitées comme un tout, systémiquement. C’est à eux de (re)prendre la main sur les instruments de la démocratie sociale.
Redonner aux partenaires sociaux leur entière responsabilité c’est aussi fixer celle de l’État pour ne pas faire des comptes sociaux la variable d’ajustement des mécomptes publics.
1. https://www.thinktankcraps.fr/qui-sommes-nous/
2. Voir « Assurance chômage et carambouille budgétaire (à quoi sert l’Unédic) », Revue politique et parlementaire, 7 août 2023.