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10 / 05 / 2024 | 108 vues
Frédéric Homez / Abonné
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Mort au travail : la France au sommet

Si le sujet n’est que rarement médiatisé, la question de la mort au travail reste, pour les salariés et le milieu syndical, une réalité quotidienne sur laquelle la réflexion et l’action demeurent au premier plan.  Alors que le phénomène prend des proportions toujours plus inquiétantes, notre fédération en analyse les causes et propose des solutions dans le dernier numéro de sa revue mensuelle....

 

Si la France rêve de records en de nombreux domaines, elle se passerait bien de les atteindre dans d’autres. Elle est devenue ces dernières années championne d’Europe du nombre d’accidents mortels sur le lieu de travail. Les accidents de travail tuent en moyenne un peu plus de deux travailleurs par jour en France.
 

Face aux chiffres, le 27 mars dernier, le Premier ministre a annoncé une « grande initiative » pour « améliorer la qualité de vie au travail », sans plus de précisions, tant dans le contenu que dans le calendrier. Il y a pourtant urgence, et ce n’est pas la première fois que les pouvoirs publics semblent s’émouvoir de l’ampleur du problème, par ailleurs certainement sous-estimé.


Déjà, en 2019, 790 décès avaient été recensés par l’Assurance maladie pour 778 820 accidents. En 2021, il y a eu 640 000 accidents déclarés et 696 morts au travail. Mais les chiffres de l’Assurance maladie ne sont que partiels car ne sont pris en compte que les salariés du privé rattachés au régime général de la Sécurité sociale, avec pour conséquence plusieurs catégories de travailleurs qui échappent aux statistiques : indépendants, détachés ou non-déclarés, secteur agricole…

 

En outre, ni les accidents du travail dans la fonction publique d'État ni chez les travailleurs soumis aux régimes spéciaux (marins, cheminots, énergie) n'y sont comptabilisés. Il faut ajouter aussi les accidents du travail non déclarés du fait des pressions patronales, évalués par certains chercheurs à 750 000 par an.

 

Après la publication du rapport annuel sur les risques professionnels par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) de 2022, la revue Politis a compilé les données des différents régimes de sécurité sociale et est parvenue à l’effarant total de 903 morts sur l’année, ce qui en fait la période record en la matière, alors pourtant qu’il faut le prendre comme une hypothèse basse. Si l’on compare 2022 à 2019, dernière
année de référence avant la crise sanitaire, les chiffres sont en augmentation dans presque tous les secteurs.

 

Sur le temps long, on voit clairement qu’il s’agit d’une reprise de la hausse continue du nombre de morts au travail, interrompue seulement par la mise sous cloche de l’économie par la crise sanitaire.


Un problème de notoriété ?


La France est, en Europe, le pays où l'on meurt le plus au travail. Pourtant, la question du décès lors de l'exercice de sa profession n'est toujours pas jugée digne d’intérêt par la classe politique et le patronat comme sujet de débat public. Autant la presse ne manque pas d’articles sur le bien-être au bureau, autant ceux sur les accidents mortels brillent souvent par leur absence.


Le sujet n’est jamais médiatisé, sauf quand il survient sur un chantier déjà largement couvert par la presse, ou dans le cadre de la préparation d'un grand événement comme les JO 2024 ou le Grand Paris.


Le professeur d'histoire-géographie à Montreuil, Matthieu Lépine, l'auteur de l'ouvrage L'hécatombe invisible. Enquête sur les morts au travail, paru fin 2023, estime que les deux tiers des accidents mortels ne sont jamais évoqués dans la presse.


Lorsqu’ils font néanmoins l’objet d’une couverture médiatique, ils sont souvent pris comme un sujet secondaire venant illustrer le fait principal, comme la mort d’un saisonnier viendra s’insérer dans un traitement plus large d’une canicule.


Une image bien connue résume une partie du problème, celle de la chaussure de sécurité glissant sur une peau de banane, qui illustre régulièrement articles et reportages sur des articles sur les accidents du travail.

Trop souvent, on trouve derrière ces prismes médiatiques l'idée qu’il y aura toujours des morts au travail, que certains métiers seraient par nature risqués, qu’il s’agit en gros de « la faute à pas de chance », de la fatalité et que, finalement, les accidents du travail seraient un grand malheur sans cause. Si la réflexion en était restée au même stade il y a un siècle, les salariés en seraient toujours au même niveau de
protection.

Heureusement, les organisations syndicales ont pu agir pendant plusieurs décennies pour changer cela, notamment par l’intermédiaire du CHSCT .


Un phénomène structurel


Privilégier l’approche sous l'angle du fait divers participe à construire un récit qui relativise, mais surtout banalise la thématique. Présenter chaque accident comme un drame isolé et s’abstenir de le relier à d’autres faits similaires permet de ne pas aborder la question en tant que phénomène de masse, alors pourtant qu’elle existe en tant que tel, que ses causes sont systémiques et largement identifiées .

Pour la sociologue Véronique Daubas-Letourneux, directrice du département des sciences humaines et sociales à l’école des Hautes études en santé publique, ces données doivent être pensées comme un fait social.

Le nombre des accidents du travail et leur régularité montrent qu’ils ne sont pas simplement accidentels, d’autant plus qu’ils ne touchent pas toute la population de manière égale. Si on regarde la répartition par secteur économique et groupe socio-professionnel, on constate en effet que les ouvriers sont les plus touchés.


Il faut également prendre en compte une dimension supplémentaire de la question, complètement occultée à la fois par la classe politique, le patronat et les médias. En plus de ces décès, 35 000 personnes conservent chaque année un handicap à la suite d’un accident du travail. On peut ici parler sans exagérer d’un coût social élevé. Ces drames sont d’ailleurs souvent le point de départ d’une perte d’emploi et d’une exclusion du marché du travail.

Pourtant, ce coût-là n’est jamais mesuré.


Si l’État ne se donne pas les moyens de lutter contre le fléau des accidents du travail, c’est bien un choix.

Car ces accidents ne sont pas une fatalité et il est possible de lutter contre leur augmentation. Il existe des pistes qui permettraient de lutter concrètement contre ces drames. Il est nécessaire que les salariés aient à leur disposition des lieux où les sujets de santé et sécurité puissent être abordés. La suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et leur fusion avec les comités d’entreprise par le gouvernement en 2017 ne va malheureusement pas dans ce sens.

 

Notre organisation syndicale demande avec constance leur retour et c’est sur l’insistance de notre Fédération que la revendication figure dans la résolution adoptée par le CCN des 27 et 28 mars 2024 », qui explique que « face à la recrudescence des accidents du travail (25% en plus) depuis la disparition des CHSCT, à la multiplication des accidents et risques technologiques, FO revendique le retour des CHSCT et
leurs prérogatives. 

 

Mais il faut aller plus loin.


En donnant par exemple de nouveaux moyens à l’inspection du travail au lieu d’en diminuer les effectifs et de l’empêcher de protéger efficacement les salariés. Autre levier d’action incontournable : la formation tout au long de la vie et la transmission de connaissances, qui jouent un rôle crucial dans la réduction des risques au travail.


En ce domaine, la précarité de l’emploi est une véritable malédiction qui empêche une meilleure connaissance des procédures de sécurité, notamment pour les jeunes, qui sont statistiquement plus touchés par les accidents du travail. Il faudrait d’ailleurs pousser la réflexion plus loin et la faire porter sur l’intégration des enseignements sur les enjeux de sécurité au travail dès la formation initiale, en informant par exemple les futurs salariés de leur droit de retrait, qui permet à n’importe quel travailleur de quitter son poste si la situation présente un danger grave et imminent.


Si ces solutions ne sont pas mises en place, c’est que les priorités sont ailleurs. Les moyens ne sont pas mis sur la santé au travail mais sur la rentabilité et la profitabilité à l’excès, dont notre fédération dénonce de longue date les effets
 

DES CHOIX DELIBERES

 

Les facteurs accidentogènes ont beau être connus, gouvernements et patronat semblent parfois marcher main dans la main pour essayer de les mettre sous le tapis au nom de la productivité et de la compétitivité, laissant à chaque fois les salariés payer le prix de choix sur lesquels ils ont de moins en moins prise.....

 

UNE NOUVELLE INSTANCE



Les politiques publiques aggravent le problème plus qu’elles n’apportent de solutions.


Dans le cadre des négociations qui ont abouti à la convention collective nationale de la métallurgie, FO Métaux a revendiqué et obtenu un accord autonome sur la santé et la sécurité au travail qui élargit la notion à la qualité de vie au travail, renforce les acteurs du sujet et prévoit des actions spécifiques. Il a également permis la mise en place d’une Instance Paritaire sur la Qualité de Vie et les Conditions de Travail (IPQCVT) qui a tenu sa première réunion le 22 mars dernier. Nos représentants  y portent les revendications de notre organisation et continuent de faire avancer le dossier de la santé et la sécurité au travail, tandis que notre fédération  exige le rétablissement des CHSCT.

 

Pour plus de détails sur notre dossier du mois: 

Lire le journal

 

L'exception Française...

 

Derrière les batailles de chiffres, il y a des réalités. Fin 2022, lors des questions au gouvernement, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann s’indignait de ce que montrait ceux du ministère du Travail, calculs à l’appui.

 

En se basant sur l’étude statistique publiée le 2 novembre 2022, dans laquelle le ministère recensait 783 600 accidents du travail en 2019, soit plus de 2 500 accidents du travail par jour ouvrable, entraînant la mort pour 780 salariés, elle tirait matière à comparaison avec nos voisins. En reportant le nombre de décès au nombre de travailleurs, elle tombait sur un ratio de 3,5 accidents mortels pour 100 000 salariés.


En comparant aux résultats des autres pays européens, la France dépassait le double de la moyenne européenne (1,7) alors que le taux d'incidence était, par exemple, de 0,5 aux Pays-Bas, de 0,7 en Suède et de 0,8 en Allemagne. Ce qui faisait de la France, sans contestation, le pays européen ayant le plus fort ratio de décès du travail d'Europe...

 

 

NDLR: A lire également...

Comment les employeurs préviennent-ils les risques professionnels ? Dares Analyses n°19 – mars 2024 :

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