Organisations
Mise en place de la « super structure » France travail: un risque de belle cacophonie entre tous les strates décisionnelles
La loi n° 2023-1196 du 18 décembre "Pour le plein-emploi" (à laquelle notre organisation syndicale s’est fortement opposée dès le début.) a été promulguée après son adoption et une saisine devant le Conseil Constitutionnel qui n’en a censuré que quelques dispositions sur le partage de données à caractère personnel. Le texte institue la « super structure » France travail et réforme profondément l’accompagnement des demandeurs d’emploi et des allocataires du RSA.
Qu'en sera t-il exactement ?
La transformation de Pôle emploi en France Travail (articles 4 à 9)
Au 1er janvier 2024, Pôle Emploi est devenu l’opérateur France travail. La loi réorganise le service public national de l’emploi autour du réseau pour l’emploi (RPE) qui a pour mission de coordonner les acteurs de l’emploi et d’harmoniser leur offre de services. Désormais, chaque niveau national, régional, territorial et local aura sa gouvernance propre. La confédération FO redoute, en sus d’une territorialisation du service public de l’emploi, une cacophonie entre tous ces strates décisionnelles et les interlocuteurs en défaveur des demandeurs d’emploi et allocataires du revenu de solidarité active (BRSA).
Le réseau pour l’emploi RPE est ainsi constitué des acteurs du champ de l’insertion sociale et professionnelle, de l’emploi et de la formation :
- Les services de l’Etat, les régions, les départements et les communes,
- L’opérateur France travail qui a remplacé Pôle Emploi le 1er janvier 2024,
- Les missions locales qui continuent à accompagner les jeunes en difficulté d’insertion âgés de
16 à 25 ans,
- Les organismes de placement spécialisés (OPS) dans l’insertion des personnes handicapées
(actuel Cap Emploi),
- Les opérateurs privés ou public de placement,
- Les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE),
- Les entreprises de travail temporaire,
- Les entreprises adaptées et ESAT,
- Les structures d’insertion par l’activité économique,
- L’AFPA,
- Les caisses d’allocations familiales, etc.
Les missions du RPE sont très globales et généralistes : accueil, orientation, accompagnement, formation, insertion des demandeurs d'emplois ou personnes « rencontrant des difficultés sociales et professionnelles ».
Les membres de ce réseau devront se coordonner, favoriser la « complémentarité » des actions et élaborer des critères communs d’orientation des personnes en recherche d’emploi.
Notre organisation syndicale s’inquiète de cette pluralité d’acteurs qui vont être, dans la pratique, peu coordonnés.
Concernant le pilotage, un millefeuille de gouvernance administrative se met en place.
« Au sommet » se hisse le Comité national de l’emploi (CNE) présidé par le Ministre du travail composé des représentants du réseau pour l’emploi, des interlocuteurs sociaux, de l’Unedic et des associations d’usagers. Il sera composé de 46 membres répartis en 7 collèges. Les interlocuteurs sociaux y participent et ont une voix délibérative, et mauvaise « surprise » la règle de la représentativité y est instituée, les 5 organisations syndicales disposent de 7 voix.
Sa mission consiste à définir des orientations stratégiques au niveau national. Il devra élaborer les critères d’orientation des demandeurs d'emplois et des besoins des entreprises.
Une formation « bureau » est également prévu en nombre plus restreinte, non « plénier ». Il est à noter que le conseil d’administration ex. Pôle Emploi demeure et devient celui de l’opérateur France travail.
Les Comités territoriaux pour l’emploi au niveau régional : ils pourront soit être intégrés aux Crefop (Comités régionaux pour l’emploi, la formation et l’orientation professionnelle), soit être institués en tant que tels lorsque le préfet et le Président du conseil régional en question y consentent.
Les Comités départementaux seront les instances de suivi partagé des politiques d’insertion et d’emploi à leur niveau.
Les Comités locaux pourront aussi être créés après concertation du président du conseil régional, les présidents des conseils départementaux concernés. Ils devraient notamment assurer le pilotage, la coordination et l’adaptation de la mise en œuvre des orientations stratégiques.
Pour FO cette loi territorialise et complexifie le service public pour l’emploi. Il y a un vrai mélange des genres et des risques de conflits notamment en mettant dans les mêmes champs de compétences tant les présidents de conseils régionaux et départementaux ainsi que les préfets, tout cela sur fond de multiplication de sphères décisionnelles.
Une inscription généralisée, un contrat d'engagement pour les personnes sans emploi et de nouvelles sanctions (articles 1 à 3)
Une inscription généralisée auprès de l'opérateur France Travail sera mise en place, au plus tard en 2025, pour toutes les personnes sans emploi. Ainsi, sont concernés :
- Les demandeurs d'emploi qui relèvent aujourd'hui de Pôle emploi ;
- Les demandeurs du revenu de solidarité active (RSA)
- Les jeunes demandant un accompagnement auprès des missions locales ;
- Les personnes handicapées sollicitant un accompagnement auprès de Cap emploi.
L'inscription sera automatique pour les demandeurs du RSA dès le dépôt de leur demande d'allocation ainsi que pour les jeunes ou personnes handicapées demandant à être accompagnés. Tous seront inscrits sur la liste des demandeurs d’emploi auprès de l’opérateur France Travail. Aujourd’hui, seuls 40 % des allocataires du RSA sont inscrits à Pôle emploi. En tout, ce sont plus de 2 millions de bénéficiaires du RSA qui vont devoir s’inscrire à France travail et être pris en charge. Pourtant, il n’a été prévu par l’opérateur France travail (ex-Pôle Emploi) que 300 recrutements supplémentaires pour faire face à cet afflux de nouveaux inscrits.
Tous ces demandeurs devront également signer un contrat d'engagement qui vient remplacer tous les dispositifs actuels (projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) pour Pôle emploi, contrat d'engagement jeune (CEJ) ou parcours contractualisé vers l'emploi (PACEA) pour certains jeunes, contrat d’engagement réciproque (CER) pour certains allocataires du RSA).
Ce contrat d'engagement unifié comportera "un plan d’action précisant les objectifs d'insertion sociale et professionnelle" et une obligation d'au moins 15 heures d'activité par semaine pour les demandeurs d'emploi nécessitant un accompagnement et les allocataires du RSA.
Cette durée minimum de 15 heures, qui pourra être abaissée ou exclue en fonction de la situation du signataire (problèmes de santé, parent isolé sans solution de garde...) et au vu du diagnostic global, ne figurait pas dans le texte initial et a été introduite par amendement lors du débat parlementaire.
Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 14 décembre 2023 (DC, n°2023-858) est venu poser une réserve d’interprétation concernant cette mesure. En effet, les sages ont jugé que "cette durée devra être adaptée à la situation personnelle et familiale de l’intéressé et limitée au temps nécessaire à l’accompagnement requis sans pouvoir excéder la durée légale du travail en cas d’activité salariée ».
De même, la loi prévoit un nouveau régime de sanctions qui viendra remplacer le système existant.
Pour tout allocataire confondu, le texte prévoit une nouvelle sanction « suspension remobilisation ». Si l’allocataire ne conclut pas de contrat d'engagement, ou ne respecte pas une partie de ses obligations, le conseil départemental pourra décider de suspendre le versement de son RSA. France Travail pourrait aussi prendre cette décision, si le département lui délègue cette compétence.
L’allocataire sanctionné pourra toutefois récupérer rétroactivement les sommes perdues s’il se conforme à postériori à ses obligations mais dans la limite de 3 mois uniquement. Un décret devrait bientôt préciser le dispositif, notamment la part maximale de RSA pouvant être suspendue ou supprimée.
Concernant les sanctions des demandeurs d'emploi et des allocataires du RSA, le Conseil constitutionnel a précisé que le gouvernement, "en fixant ces durées et la part du revenu ou des allocations pouvant être suspendue ou supprimée", devra "veiller au respect du principe de proportionnalité des peines".
Comme nous l'avons déjà rappelé notre organisation syndicale est opposée à cette réforme qui jette l’opprobre sur les allocataires du RSA. En effet, aucune garantie n’est posée dans cette loi sur les « immersions en entreprise », pour lesquelles il pourra être demandé des tâches aux allocataires, ce qui reviendrait à une forme de travail dissimulé.
Or, ce travail contraint contrevient à la conception originelle du RSA, à savoir le fait de favoriser le retour à l’emploi, en permettant de cumuler l’allocation avec des heures de travail rémunérées (au Smic a minima). Il n’a jamais été question pour les concepteurs du RSA de créer de la main-d’œuvre bon marché…
Qui plus est, cette nouvelle régression sociale contrevient au principe de solidarité tel qu’inscrit dans l’article 13 du préambule de la Constitution de 1946 (faisant partie de notre bloc de constitutionnalité) : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Pour nous, ce devoir de solidarité doit s’appliquer inconditionnellement en permettant ainsi à chaque individu de bénéficier d’un minimum pour vivre.
Cette nouvelle logique de « droits et de devoirs » est donc contraire à notre modèle social fondé sur les principes d’universalité des bénéficiaires, d’unicité du système et d’uniformité des prestations. Il ne s’agit plus, en effet, d’un minimum garanti mais désormais d’un contrat d’engagement des responsabilités réciproques.
Enfin, nous déplorons que cette loi mette l’accent sur un durcissement des mécanismes de sanctions envers les allocataires du RSA. Ces sanctions à valeur punitive, n’auront pour conséquence que de plonger un peu plus les allocataires dans la précarité. Alors que les allocataires sont désormais soumis à une conditionnalité de leur allocation, les entreprises continuent de bénéficier des aides publiques sans aucune contrepartie.
Notre organisation syndicale:
- dénonce cette différence de traitement qui est inacceptable et demande l’abandon de cette mesure.
- pointe également le mélange des genres et des compétences (préfet et département) pour cette
nouvelle sanction et craint une inégalité de traitement entre les allocataires, selon la région (et
politique) de l’endroit où ils résident.
- et revendique plus de moyens pour les collectivités, les CAF et « France travail » afin de permettre aux
acteurs institutionnels et à leurs agents de faire un véritable travail de prospection, de traitement, et
d’accompagnement des allocataires du RSA.
Réforme de l’accompagnement des personnes handicapées (articles 10 à 16)
Pour nous , l’inscription d’un accompagnement adapté à tous les demandeurs d'emploi en situation de handicap, via le rapprochement entre Cap emploi et Pôle emploi, est une bonne chose. Toutefois les CDAPH (commissions des droits et de l'autonomie des MDPH) doivent être confortées y compris dans leur mission d'orientation. De plus, s'agissant des nouveaux processus d'orientation vers le milieu protégé, on peut s’inquiéter d’un risque d’alourdir encore le parcours de la personne en situation de handicap.
Par ailleurs, l’élargissement des dispositions attachées à la RQTH aux autres catégories de bénéficiaires de l’obligation d’emploi répond à une revendication de FO. Ainsi, toutes ces personnes pourront accéder à des modalités spécifiques de formation, au recrutement en entreprise adaptée, à l’emploi accompagné notamment.
S’agissant de la RQTH, il est nécessaire pour nous de réintroduire ce critère d’accès à la retraite anticipée pour handicap, qui a été supprimé pour les périodes postérieures à 2016. Aujourd’hui de nombreux travailleurs handicapés découvrent que cet accès, qui était déjà très difficile, leur est rendu impossible du fait que la RQTH n’est plus admise pour ces périodes, et en l’absence d’un taux d’incapacité dont ils ne disposent pas. Parallèlement, nous demandons l’attribution d’un taux d’incapacité pour toute attribution de RQTH.
Notre organisation soutient aussi la portabilité des aménagements désormais inscrite dans le code du travail : la possibilité de conservation par le salarié handicapé, en cas de changement d'employeur, des équipements contribuant à l'adaptation de son poste de travail.
Enfin, l’accès à de nouveaux droits issus du code du travail pour les travailleurs des établissements et service d’accompagnement (et plus « aide ») par le travail (ESAT) est une véritable avancée, puisque ces travailleurs handicapés sont aujourd’hui loin de disposer des mêmes droits sociaux que les salariés des entreprises classiques : droit d’expression directe et collective ; droit d’alerte et de retrait ; adhésion à un syndicat ; droit de grève ; remboursement de frais et bénéfice de certains avantages (titre restaurant, chèque vacances…); accès au comité social et économique ; couverture par la mutuelle professionnelle. Mais la question des moyens qui seront mis en regard de ces mesures sera déterminante pour leur effectivité réelle.
Accueil des jeunes enfants et crèches (article 17 à 19)
Cette loi comporte aussi des dispositions sur l’accueil des jeunes enfants. Le gouvernement souhaite mettre en place un « service public de la petite enfance » dans un objectif revendiqué de longue date par FO de permettre aux parents d’avoir des solutions de garde abordables et garantissant la mixité sociale. L’objectif étant l’ouverture de 200 000 places d’accueil, d’ici 2030.
Les premières pierres de ce service public sont matériellement posées par cette loi « pour le plein emploi ». Il y est prévu que les communes se voient confier le rôle d’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant, rôle que nombre d'entre elles exercent déjà dans les faits. Les communes de plus de 10 000 habitants devront établir un schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant à partir de 2025. Les mêmes communes devront mettre en place des relais petite enfance à partir de 2026. Il y est aussi prévu un renforcement du rôle du président du conseil départemental et organismes débiteurs de prestations familiales en matière de contrôle des EAJE
(Établissements d’accueil du jeune enfant).
Ces articles qui marquent donc les premiers pas du service public de la petite enfance comportent certaines avancées. Cependant, l’impasse est faite sur les moyens qui restent insuffisants, notamment sur :
• L’accès à des solutions de gardes qui demeure en deçà des besoins.
• Les manques de personnels ou la revalorisation salariale dans le secteur de la petite enfance
et notamment de la PMI. Le renforcement du rôle des acteurs institutionnels, en matière de
contrôle, est une très bonne chose encore faut-il que ces contrôles débouchent sur des sanctions dissuasives. Or, aujourd’hui, ces sanctions ne sont pas suffisamment dissuasives et trop peu d’EAJE sont contrôlés par manque de moyens humains et matériels.
Aussi revendiquons-nous:
- des moyens supplémentaires pour la PMI
- ainsi que la mise en place de sanction beaucoup plus dissuasives envers les établissements qui ne respectent pas la réglementation en matière d’accueil du jeune enfant.
- de manière générale, la mise en œuvre d’un véritable service public de la petite enfance. Un service ouvert pour toutes les familles qui garantit une véritable mixité sociale et avec un
reste à charge soutenable.
- la mise en œuvre d’un véritable service public de la petite enfance. Un service ouvert pour toutes les familles qui garantit une véritable mixité sociale et avec un reste à charge soutenable.