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20 / 10 / 2023 | 163 vues
Claire Thoury / Membre
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La liberté d’association et d’engagement, essentielle au bon fonctionnement démocratique

La France compte plus de 20 millions de bénévoles, c’est considérable, cela signifie que près d’1 Français sur 3 donne de son temps pour défendre une cause, porter un projet ou encore faire du lien. Dans un contexte de tension démocratique assez forte, d’une distance vive entre les citoyens et les institutions, d’une forte interrogation quant à l'efficacité de l’action publique, il apparaît plus qu’urgent de renforcer les corps intermédiaires et de renforcer le collectif et l’agir ensemble.

 

Le bénévolat, autrement dit le fait de donner de son temps pour une mission, pour une cause, pour un projet, récemment défini par le CESE comme “l’action de la personne qui s’engage librement, sur son temps personnel, pour mener une action non rémunérée en direction d’autrui, ou au bénéfice d’une cause ou d’un intérêt collectif” (1), est au cœur du modèle social français.

 

Profondément libre, l’action bénévole fait l’objet de beaucoup d’attention, d’envie aussi, parfois de peur. Pourquoi les gens s’engagent-ils ? Que cherchent-ils ? Que trouvent-ils ? L’action bénévole peut-elle être un remède ? Utilisée comme une réponse à tous les problèmes ? Comment éviter cette forte tentation à la régulation de l’action bénévole ? Et surtout qu’est-ce que cette forte tentation à la régulation nous dit de notre époque ?

 

La force associative
 

La force associative est une force extrêmement puissante, les associations maillent le territoire, elles sont partout, force du premier et du dernier kilomètre, elles ont indéniablement un rôle à la fois social et politique. Un rôle politique d’abord parce qu’elles sont l'émanation des citoyennes et citoyens, des habitants, qui décident de se rassembler et de s’organiser pour faire ensemble quelque chose qu’ils ne pourraient pas faire seuls. En cela, les associations offrent des possibilités infinies précisément parce que leur cadre est un cadre de liberté.

 

Faire association, c’est faire l’expérience du collectif, c’est travailler avec d’autres, négocier, construire selon des points de vue différents, c’est un exercice démocratique en soi de faire association. S’engager avec des gens que l’on ne connaît pas toujours, que l’on n’apprécie pas nécessairement, mais avec lesquels on partage une passion, une envie, une indignation qui nous rassemblent au-delà de nos différences.


En cela, les associations sont au cœur du contrat social, structurantes dans les parcours des individus qui œuvrent au service du collectif. Faire association est une aventure de libertés absolument essentielle à notre démocratie. Un rôle social ensuite car les associations sont parfois les seules à intervenir dans certains territoires, à agir dans certains domaines, dans certains champs.

 

Force du dernier kilomètre, elles couvrent des besoins non couverts précisément parce que notre modèle est non lucratif, que nos actions n’ont pas vocation à nous enrichir et que la rentabilité n’est pas ce qui guide nos espaces et domaines d’intervention.


La force associative est aussi et surtout une force citoyenne, elle a cette capacité à capter la demande sociale au plus près des attentes. Elle apporte et construit des réponses concrètes, en adéquation avec les besoins des territoires ou des individus. Cet ancrage dans le réel lui confère une puissance considérable, une capacité à répondre aux besoins sociaux mais aussi une force d’innovation.

 

A travers l’histoire, les associations ont inventé des espaces, des projets, des solutions : c’est le cas du Service civique, c’est le cas du SAMU social, c’est le cas des politiques du handicap, etc. A travers l’histoire, les associations ont fait émerger des sujets dans le débat public et contribué à construire l’action publique.


Je pense par exemple à l’expérimentation Territoires Zéro chômeur de longue durée directement inventée par les associations.

 

Cette capacité à innover et à inventer est grandement rendue possible par la force bénévole au cœur du modèle associatif.

 

Une interaction difficile avec les pouvoirs publics et une tentation dangereuse à la régulation

 

Dans le même temps, les relations avec les pouvoirs publics se tendent. On observe une méconnaissance profonde de ce que sont les associations mais aussi de ce qu’est l’engagement ou plutôt de ce qu’il n’est pas. Ce point est intéressant à souligner car longtemps, l’engagement était perçu comme anecdotique voire concurrentiel aux études, envisageable uniquement dans certaines situations, rarement encouragé et quasiment jamais reconnu.

 

Depuis quelques années, on observe une transformation du discours. L’engagement devient peu à peu intéressant, encouragé, perçu comme un apport dans le parcours d’un individu, comme une façon de créer du lien mais aussi comme un élément de différenciation.

 

Dès lors, la tentation de l’institutionnaliser se fait sentir. Si l’engagement a ses vertus, pourquoi ne pas le généraliser ? C’est la question que pose certains représentants politiques et c’est la question qui entraine les modules dits d’engagement obligatoires dans certaines écoles, c’est la question qui explique en partie la volonté de créer un service national universel. Sauf que l’engagement ne fonctionne pas comme cela.

 

D’une part, l’engagement ne peut en aucun cas être obligatoire, lorsque je m’engage, je fais le choix de m’engager, je prends une décision.

 

D’autre part, aborder l’engagement de cette façon revient à ne l’appréhender que partiellement. En effet, l’engagement a intérêt à être analysé dans une dynamique, dans une trajectoire mais le processus par lequel j’en viens à m’engager a presque autant d’importance que l’engagement lui-même. Cette institutionnalisation bienveillante pose de nombreuses difficultés aux organisations associatives et plus généralement aux espaces classiques d’engagement car si celui-ci s'institutionnalise, il prend une dimension beaucoup plus normative au risque de perdre de ses aspérités.

 

Certains pourraient penser que c’est d’ailleurs pour cette raison que les pouvoirs publics interviennent en ce sens : institutionnaliser l’engagement c’est un bon moyen de le réguler. C’est ce point qui est particulièrement problématique voire dangereux. Réguler l’engagement, chercher à encadrer l’action militante et bénévole, imposer une vision normative de la citoyenneté, peut avoir des conséquences dangereuses car le conflit et les aspérités servent notre démocratie.

 

Cette tentation de réguler le militantisme s’inscrit dans une dynamique plus globale à l’égard des associations qui doivent désormais signer un contrat d’engagement républicain si elles souhaitent être subventionnées ou agréées, un contrat qui leur impose notamment de s’engager à ne pas troubler l’ordre public.

 

Au-delà de son caractère particulièrement insultant qui stigmatise les associations et qui traduit une profonde méconnaissance de ce qu’elles sont à la République, ce texte peut sérieusement entraver l’action associative. Inscrit dans la loi visant à conforter les principes de la République, ce texte doit normalement contribuer à lutter contre les séparatismes mais dans les faits, depuis son entrée en vigueur en janvier 2022, ce texte est utilisé avant tout contre les associations environnementales et les associations de droits et de causes parce qu’elles dérangent. Réguler l’action associative ou l’engagement bénévole peut conduire à les lisser or, ce sont les divergences et les oppositions qui contribuent à faire bouger les lignes et traduisent une vitalité démocratique certaine.

 

Un bénévolat qui mute, à l’image des associations, mais c’est bien ce qui fait notre force

 

Le monde associatif est aussi traversé par une mutation du bénévolat qui, à l’image des associations, évolue. Si cette mutation est inhérente à notre modèle puisque les associations évoluent avec les individus qui les composent et qui évoluent eux-mêmes à l’image de la société, elle a des conséquences assez concrètes sur les organisations.

 

Par exemple, on observe une diminution du bénévolat des séniors depuis plusieurs années maintenant mais cette tendance s’est accélérée avec la crise sanitaire. Dans le même temps, on observe une augmentation du bénévolat chez les plus jeunes, ce qui tord le cou aux discours faciles d’un désengagement de la jeunesse.

 

Néanmoins, la façon de s’engager des uns diffère fortement de celle des autres. Les plus âgés ont largement investi le bénévolat que l’on appelle de gouvernance, ils occupent les fonctions de présidents, trésoriers, secrétaires, organisent la vie de l’association, etc. Les plus jeunes, quant à eux, cherchent un bénévolat de projets et la conduite d’actions concrètes.

 

Ces mutations ont pour conséquence directe une difficulté croissante à renouveler les gouvernances bénévoles. Cette difficulté est accentuée par les lourdes responsabilités qui incombent aux dirigeants bénévoles puisqu’aux responsabilités déjà connues s’ajoutent celles imposées par le contrat d’engagement républicain qui stipule que les associations sont responsables de la non application du CER par leurs membres, bénévoles et salariés s’ils ont eu connaissance d’agissements et ne sont pas intervenus pour y mettre fin.

 

De la même façon, la réforme des retraites qui décale l’âge de départ à la retraite risque d’accentuer les inégalités d’accès au bénévolat puisque celles et ceux qui sont dans des situations socialement difficiles seront ceux qui devront travailler le plus longtemps. Par ailleurs, cette loi passe complètement à côté de la question de l’articulation des temps de vie pourtant très forte dans le monde associatif. Une étude de la Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé Au Travail des Hauts de France révèle que pour 35% des personnes interrogées, c’est le passage à la retraite qui déclenche le bénévolat (2).

 

Comment faire pour renouveler les instances de nos associations ?


Certains évoquent un statut du bénévole tandis que d’autres s’y opposent fortement.


Le Mouvement associatif n’a pas tranché ce point mais il semble important de ne pas créer un dispositif qui avantagerait les plus privilégiés mais bien de penser un moyen de rendre le plus accessible possible le bénévolat. L’une des cibles à investir prioritairement pourrait être le bénévolat des actifs qui reste beaucoup plus faibles que celui des plus jeunes ou des retraités. Il serait intéressant d’ouvrir un débat plus large sur l’articulation des temps de vie et, comme le Mouvement associatif l’écrivait en réaction au report de l’âge légal de départ à la retraite, “de développer les mesures favorisant et facilitant l’engagement de tous ceux et celles qui le souhaitent : sensibilisation à l’engagement dès le plus jeune âge, politique de développement du volontariat associatif, remobilisation et valorisation des dispositifs existants de congés d’engagement…” (3)

 

Le bénévolat associatif est extrêmement puissant, on l’estime à 1,4 million d’ETP. Sans les bénévoles, la France aurait un tout autre visage et de nombreuses activités n’existeraient pas : de l’animation des clubs de sport aux actions de solidarité locale en passant par l’organisation de festivals, la distribution de colis alimentaires, l’organisation des comités des fêtes, les actions de sensibilisation à la transition écologique, des campagnes d’interpellation du grand public à des risques sociaux, environnementaux, sanitaires parfois en résistance avec les pouvoirs publics, etc.

 

Cet apport du bénévolat à la société est difficilement quantifiable. D’abord parce que le bénévolat apporte aux personnes, il contribue à l’épanouissement et au bien-être individuel mais aussi collectif. Ensuite, parce que l’économie bénévole est une économie non marchande et parce que les richesses qu’elle produit ne s'évaluent pas avec les outils de mesure habituels.


La double tentation de la part des pouvoirs publics que l’on observe ces dernières années , de donner un cadre normatif à l’engagement d’une part et de cadrer l’action des associations à travers notamment le Contrat d’engagement républicain d’autre part, nous oblige à rester vigilants : ce sont d’abord et avant tout des espaces de liberté qui ne peuvent et ne doivent pas être régulés.

 

Le bénévolat est au cœur du modèle associatif qui est lui-même un élément structurant de notre société qui contribue grandement à la faire tourner. Les associations sont des espaces dans lesquels la citoyenneté s’éprouve, elles sont des éléments essentiels au bon fonctionnement de notre démocratie.

 

(1) Avis CESE juin 2022, “Engagement bénévole, cohésion sociale et citoyenneté” rapporté par Marie-Claire Martel et Jean-François Naton

(2) Observatoire régional de la Vie associative Hauts de France, Enquête sur l’engagement des retraités, CARSAT Hauts de France/ URIOPSS Hauts de France, février 2021, https://www.orva.fr/wpcontent/uploads/2021/06/rapportfinalv1-5du1406.pdf

 

(3) https://lemouvementassociatif.org/retraites-et-benevolat-une-vraie-reflexion-est-a-mener

 

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Si l’évaluation n’est pas nouvelle, elle est devenue un enjeu crucial pour les associations par la nécessité de « rendre compte », de « faire la preuve » de leur utilité et de leur efficacité, notamment dans le cas de l’octroi de fonds publics.

Plus globalement, l’évaluation est présentée comme une façon de répondre au besoin de reconnaissance et de légitimité institutionnelle du monde associatif, dans le contexte actuel marqué par la diffusion à grande échelle des principes du nouveau management public.

Dans cette perspective, cette revue de littérature vise à fournir des clés de compréhension et d’analyse permettant aux associations de se repérer dans la littérature foisonnante autour de l’évaluation, tout en gardant une posture de vigilance critique afin que la démarche d’évaluation soit réellement au service du projet associatif.

Ce travail replace tout d’abord l’évaluation dans une perspective historique afin de retracer les transformations socioéconomiques qui ont conduit, depuis les années 1980, à la place centrale que connaît l’évaluation aujourd’hui et au glissement progressif de la notion d’utilité sociale à celle d’impact social dans les pratiques évaluatives.

Ce travail met ensuite en évidence le caractère protéiforme de l’évaluation des associations, caractère accentué par l’hétérogénéité des secteurs d’activité représentés dans le champ associatif.

 

En effet, pour répondre à cette diversité, plusieurs approches singulières de l’évaluation sont adoptées de même que différentes méthodes pour la mettre en œuvre, malgré la domination notable prise, comme le met en exergue ce travail, par une approche causale de l’évaluation.

 

Ce travail montre enfin que l’évaluation est un objet politique et mouvant, sujet de débats et de controverses, qui constitue un projet réflexif en lui-même.

Présentant autant d’opportunités que de risques pour le monde associatif, l’évaluation n’est pas neutre pour les associations dans la mesure où elle peut influencer leur organisation, leur gouvernance, leurs ressources et leurs activités, autant d’éléments constitutifs de leur identité et de leurs spécificités.

 

La nécessité de garder une pluralité de méthodes et un espace de débat entre ces méthodes apparaît dès lors comme indispensable afin de sauvegarder la « biodiversité » des organisations et de valoriser une économie plurielle.

 

________ Auteurs : Marion STUDER, chercheuse associée au CLERSÉ, Lille. Giorgia TRASCIANI, chercheuse au laboratoire Tiresia, Politecnico di Milano, et au LEST, AixMarseille. Francesca PETRELLA, professeure en sciences économiques, université d’Aix-Marseille, LEST.